Christiane Taubira parle sans notes. Un phrasé bien scandé. Un débit maîtrisé. Son discours inaugural a duré près de trois quarts d’heure et a impressionné le public. Elle y a retracé l’évolution de l’institution matrimoniale qui «porte fortement la marque de la laïcité, de l’égalité et de la liberté». «Aujourd’hui, nous parachevons l’égalité», a-t-elle conclu. Et, à l’adresse de la droite : «Vous pouvez garder le regard obstinément tourné vers le passé […]. Nous sommes fiers de ce que nous faisons.» «On me dit qu’elle est hypermnésique ou qu’elle a appris par cœur son discours, mais ce qu’elle dit, elle l’a dans la tête, rapporte une conseillère. Elle est imprégnée.» Ses services de communication n’ont jamais son speech à l’avance. Pendant la discussion, ses collaborateurs lui glissent des fiches. «Elle n’y touche pas, rapporte Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois, son voisin dans l’hémicycle. Quand quelqu’un lit un papier, on a tendance à se dire que ce n’est pas lui qui l’a écrit. Elle emporte l’adhésion. Quand il y a des applaudissements, ce n’est pas par solidarité obligée, c’est par enthousiasme.»
«Loufoque». Elle siège tous les jours, week-ends compris. Souvent enveloppée dans une étole ou son manteau jeté sur ses genoux, elle écoute attentivement les interventions, des plus sérieuses aux plus loufoques. Christiane Taubira rit quand c’en est trop. Au micro, elle cite René Char, Léon-Gontran Damas, Paul Ricœur. Elle répond de mémoire sur le moindre alinéa de n’importe quel amendement. On ne peut pas la prendre en défaut. Il faut dire qu’elle s’est préparée à ce marathon.
Depuis le mois de juin, elle a travaillé chaque aspect technique de la réforme. Toutes les pistes ont été envisagées, avant de définir le périmètre du texte. Elle a beaucoup lu : du droit, de l’ethnologie… Moins de littérature et de poésie que d’habitude, elle qui dévore normalement quatre à cinq livres par semaine. Elle a rencontré des intellectuels, juristes, psys, universitaires, avec des positions différentes. Des habitudes de chercheur. «Elle a le background, l’aisance et l’appétit», glisse un membre de son cabinet. «Elle ne se laisse pas démonter, observe le député PS Olivier Faure. Elue de Guyane pour la première fois en 1993, elle est rompue à la mécanique parlementaire. Elle aime ça.» «Elle est patiente, elle aurait pu avoir la volonté de passer le relais après la discussion générale. Mais non, elle est là, pédagogique», relève Claude Bartolone arrimé à son perchoir. Et elle se répète quatre, cinq, six fois, quand il faut détailler sa circulaire qui demande la délivrance de papiers d’identité français à des enfants, même s’ils sont nés par gestation pour autrui (GPA). Une consigne qui a mis le feu à l’hémicycle et galvanisé l’opposition. A gauche, on y voit une «erreur». Vite pardonnée.
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