C’est maintenant que la « Mobilisation générale pour le Logement » doit se traduire dans les actes à travers des décisions politiques qui s’inspirent du « Contrat social pour une nouvelle politique du Logement ». Ce contrat social, signé par le Président de la République le 1er février 2012 alors qu’il était en campagne électorale, constitue désormais pour la Fondation Abbé Pierre la grille d’analyse et d’évaluation des mesures adoptées (ou qui doivent l’être) par le nouveau Gouvernement. Sa mise en oeuvre apparaît d’autant plus importante que la situation économique et sociale, loin de s’améliorer, a continué à se dégrader tout au long de l’année 2012.
UN CONTEXTE SOCIAL PRÉOCCUPANT, DES DIFFICULTÉS DE LOGEMENT TOUJOURS PRESSANTES
Dans un contexte économique et social difficile, la situation est particulièrement périlleuse pour les personnes les plus modestes et les moins qualifiées qui sont les premières touchées par la montée du chômage et le développement de la précarité et de la pauvreté. Ce sont elles qui sont les plus exposées à une souffrance sociale, souvent invisible, mais dévastatrice. Et c’est pour elles que les aides publiques et le régime de protection sociale, bien qu’indispensables, deviennent de moins en moins efficaces, comme si les amortisseurs sociaux étaient désormais à plat.
Derrière des statistiques en berne, toujours plus de souffrances sociales
Le mois de décembre 2012 représente le 19e mois consécutif de hausse du chômage et la France compte désormais 3,1 millions de chômeurs, soit 10,8 % de plus que l’an passé. Le chômage de longue durée1 touche désormais 1,9 million de personnes, un record absolu (+11,7 % en un an) et près d’un demi-million de personnes inscrites à Pôle emploi le sont depuis plus de 3 ans (+19,8 % en un an), ce qui signifie que le nombre de demandeurs d’emploi en fin de droits est de plus en plus élevé (586 500 n’ont plus que le RSA, soit une hausse de 14,3 % en un an).
À côté de cette progression du chômage, on enregistre une inquiétante montée des emplois précaires (12 % des salariés ont un contrat temporaire) et une augmentation préoccupante du sous-emploi (1,3 million d’actifs). Il n’est donc pas étonnant de constater une augmentation du nombre de travailleurs pauvres : 1,9 million de personnes exercent un emploi mais disposent, après avoir comptabilisé les prestations sociales (primes pour l’emploi, allocations logement, etc.) ou intégré les revenus de leur conjoint, d’un niveau de vie inférieur au seuil de pauvreté. 3,7 millions de personnes vivent ainsi dans un ménage confronté à cette difficulté2.
Globalement, la France comptait 8,6 millions de personnes pauvres en 20103 ce qui représente 14,1 % de la population (contre 8,2 millions en 2009, soit 444 000 personnes de plus). Une orientation à la hausse, depuis 2005, qui s’accompagne d’un creusement des inégalités entre les deux extrémités de l’échelle des revenus, et d’une « hausse lente et progressive » de la grande pauvreté, qui est aujourd’hui « difficilement enrayée par notre système de protection sociale » (ONPES, rapport 2012).
Le développement de la précarité et de la pauvreté a pour effet de conduire les personnes concernées à de multiples renoncements. Avec un budget contraint, de très nombreux ménages rognent sur toute dépense qui n’est pas « indispensable », et se livrent à une gymnastique budgétaire pour essayer de jongler avec leurs différents créanciers.
La dégradation de la situation économique et sociale touche l’ensemble du territoire national. 9 maires sur 10 ont maintenu, voire augmenté, leur volume d’aides en 20124. Le dernier baromètre de l’Unccas, « Les CCAS au pied du mur », enregistre une hausse des demandes d’aide pour la
quatrième année consécutive avec une tendance « plus fortement exprimée en milieu rural ». En tête, les demandes d’aides financières (pour 50 % des CCAS) et les demandes d’aides alimentaires. Les Restos du Coeur font de leur côté état, fin décembre 2012, d’une hausse de 12 % des demandes, un mois après le lancement de leur campagne d’hiver.
Des manifestations inquiétantes
sur le front du logement
LA SATURATION DES DISPOSITIFS
D’HÉBERGEMENT ET LA DIFFICULTÉ À RÉPONDRE À L’URGENCE SOCIALE
Alors qu’un rapport parlementaire de janvier 2012 sur la politique d’hébergement d’urgence5 estime que 150 000 personnes sont sans domicile dans notre pays, les alertes se sont multipliées tout au long de l’année pour dénoncer une situation qui ne cesse de se tendre.
Le principe fondamental de l’accueil inconditionnel n’est toujours pas effectif en 2012. Les demandes d’hébergement reçues au 1156 ont augmenté de 37 % en novembre 2012 (par rapport à novembre 2011), de 52% chez les jeunes de 18 à 24 ans et de 60 % chez les familles avec enfants, désormais majoritaires. Faute de places disponibles, plus de 3 personnes sur 4 n’obtiennent pas de prise en charge7. L’augmentation des appels au 115 se manifeste dans des territoires qui étaient jusqu’à présent épargnés, y compris en zone rurale, sachant que de nombreuses personnes n’appellent plus par découragement.
D’un côté, la loi impose l’accueil inconditionnel des personnes sans abri et, de l’autre, la saturation des centres d’accueil contraint de laisser
des personnes à la rue. Les capacités d’accueil et d’hébergement restent notoirement insuffisantes et inadaptées à l’évolution des publics (notamment des familles avec enfants) et ce sont, chaque hiver, les mêmes « solutions » qui sont « bricolées » en urgence dans le cadre des plans hivernaux qui conduisent, in fine, à la remise à la rue de dizaines de milliers de personnes (en dépit du principe de continuité de la prise en charge).
En 2012, des professionnels de l’urgence sociale désemparés ont décidé d’exercer leur droit de retrait dans de nombreux territoires (la Somme, Toulouse…), d’autres de démissionner. En Seine- St-Denis, les cadres des services sociaux du Conseil général évoquent, dans une lettre ouverte au Premier ministre8, la « chronique annoncée d’un gâchis humain et social inévitable ».
LA DIFFICILE SITUATION DES LOCATAIRES
La hausse des prix augmente la part du logement dans le budget des ménages sans que les aides au logement ne parviennent à la compenser, « certains ménages supportant aujourd’hui, malgré le bénéfice de l’aide, des taux d’effort prohibitifs et des restes à vivre particulièrement faibles » (Igas, rapport 2012). Ce constat s’applique avant tout aux locataires du parc privé mais aussi du secteur Hlm.
Les impayés progressent et tous les indicateurs disponibles soulignent une inquiétante dégradation de la situation. En 2012, selon un bilan effectué par l’Unccas, les difficultés quotidiennes liées au paiement du loyer ou des factures d’énergie sont devenues le premier élément déclencheur des nouvelles demandes d’aides adressées aux CCAS. Le Secours Catholique signale dans son dernier rapport que sur 60 % des 1 422 000 personnes accueillies en 2011 confrontées à des impayés, 40 % des cas concernent le loyer et l’énergie. Les FSL sont davantage sollicités pour des
aides au maintien dans le logement que pour des aides à l’accès, notamment pour faire face aux dépenses d’énergie. Et selon les données du Médiateur national de l’énergie, 19 % des dossiers traités en 2012 concernent des consommateurs en difficulté de paiement (+ 4 points en un an) et 42 % d’entre eux affirment avoir restreint leur chauffage au cours de l’hiver 2011/2012 pour limiter leurs factures. Dans le secteur Hlm, si le taux d’impayés est relativement stable (autour de 6 % au niveau national), le nombre de personnes en procédure de rétablissement personnel a bondi de 28 000 en 2009 à 48 000 en 2011.
Il n’est donc pas étonnant de constater de nouveaux records atteints en matière d’expulsion (plus de 113 000 décisions de justice en 2011). Ce phénomène extrêmement inquiétant s’accompagne d’un net durcissement dans le traitement des situations, les procédures d’expulsion étant mises en oeuvre de manière plus systématique (12 759 expulsions réalisées avec le concours de la force publique en 2011).
POURSUIVRE ET ACCÉLERER LA MISE EN OEUVRE DU « CONTRAT SOCIAL POUR UNE NOUVELLE POLITIQUE DU LOGEMENT »
Le changement de majorité politique, en 2012, n’a évidemment pas modifié un contexte socio-économique difficile. Les difficultés d’accès au logement sont toujours très prégnantes et les fractures territoriales à l’échelle de la ville ou du territoire national continuent de se creuser. Certes, on ne peut attendre des résultats significatifs après sept mois d’action gouvernementale. Mais on peut apprécier si la perspective qu’elle dessine est de nature à faire reculer le mal-logement et à mieux répondre aux besoins sociaux en matière de logement.
Face à l’urgence sociale, il faut agir rapidement. Or, si des avancées concernant les objectifs de production de logements sociaux et de régulation des marchés peuvent être notées, il n’en va pas de même pour les deux derniers axes du Contrat social. Une Conférence nationale de lutte contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale s’est tenue au début du mois de décembre, mais les mesures discutées à cette occasion n’ont pas encore trouvé place dans un programme pluriannuel. Quant à la politique de la Ville, elle fait l’objet d’une évaluation et de réflexions qui ne donneront pas lieu à des réformes concrètes avant le milieu de l’année 2013. La Fondation Abbé Pierre souhaite donc attirer l’attention des responsables politiques sur quatre enjeux majeurs qu’il convient de ne pas éluder pour atteindre les objectifs du Contrat social.
Premier enjeu – Produire suffisamment de logements pour répondre aux besoins sociaux
Dans son discours de politique générale, le chef du Gouvernement a fixé un objectif de production de 500 000 logements par an, dont 150 000 sociaux, qui reprend celui proposé par la Fondation. Trois séries de mesures adoptées depuis l’alternance politique concernent le logement social qui apparaît comme le vecteur majeur du développement d’une offre locative accessible, même si le logement privé est également sollicité à cette fin avec un nouveau dispositif d’incitation fiscale à l’investissement. Cependant, on peut regretter que l’objectif d’un vaste plan de conventionnement de 100 000 logements par an à loyers sociaux ou intermédiaires dans le parc locatif privé ne constitue pas (encore) un axe d’intervention pour le nouveau Gouvernement.
1. Pour soutenir la production de logements sociaux, le projet de loi « relatif à la mobilisation du foncier public en faveur du logement et au renforcement des obligations de production de logement social » prévoit la cession de terrains publics pour la construction de logements sociaux avec une décote pouvant aller jusqu’à 100 % de leur valeur selon la part de logements locatifs sociaux intégrée aux programmes. Cette politique, qui n’est pas nouvelle, devrait permettre de produire 110 000 logements sociaux sur la période 2012- 2016. Elle est nécessaire et d’effet relativement rapide, mais ne peut toutefois se substituer à la mise en place de politiques foncières territorialisées permettant de tenir l’objectif de production de 150 000 logements sociaux par an.
Le second volet de cette loi renforce les objectifs de l’article 55 de la loi SRU en prévoyant le passage de 20 % à 25 % de logements sociaux dans le parc de résidences principales des communes qui n’en disposent pas suffisamment. Cela ne remplira pas l’objectif national de production, mais y participera pour une part significative (près de 190 000 logements — de l’ordre de 63 000 par an — si toutes les communes concernées jouent le jeu, soit 41 % de l’objectif annuel de 150 000 logements sociaux). La loi prévoit également le possible quintuplement des prélèvements financiers pour celles qui ne respectent pas leur obligation, mais cette mesure n’est qu’un plafond et une simple option pour les préfets qui disposent toujours d’une large marge d’appréciation.
2. Un nouveau dispositif de soutien à l’investissement privé assorti de contreparties sociales prévoit d’inciter les particuliers à enrichir l’offre résidentielle de 40 000 logements locatifs intermédiaires par an. Ce dispositif sera réservé aux zones qui souffrent d’une pénurie d’offre locative, les loyers devraient être inférieurs de 20 % à ceux du marché et les revenus des occupants plafonnés.
3. La loi de finances pour 2013 renforce également la taxe sur les logements vacants et l’étend aux agglomérations de plus de 50 000 hab. (contre 200 000 actuellement), ce qui peut participer à l’élargissement de l’offre de logements, même si sa portée est plus circonscrite. Les mesures de réquisition, évoquées à la fin de l’année 2012, participent de la même logique : importantes sur le plan symbolique et pour inciter les propriétaires à remettre leur bien en location, leur effet est nécessairement limité. Mais l’offre ainsi mobilisée pourra se révéler essentielle pour les personnes privées de logement.
Pour autant, la baisse du niveau de la construction en 2012 souligne l’ampleur de l’effort à réaliser pour atteindre l’objectif national de production. Il sera difficile à l’accession à la propriété et à l’investissement locatif privé de contribuer à une hauteur estimée suffisante (respectivement de l’ordre de 250 000 et 100 000 logements par an). Mais il sera encore plus difficile de produire 150 000 logements sociaux sans inverser le mouvement de désengagement financier de l’État dans un contexte où les collectivités territoriales et les organismes Hlm peuvent difficilement augmenter leur effort. C’est l’équilibre général du modèle économique du logement social qui est en jeu, car il ne permet pas aujourd’hui d’assurer durablement les moyens financiers nécessaires au financement des opérations, en particulier dans une perspective d’augmentation du nombre de logements PLAI et de construction en secteurs tendus (l’annonce du relèvement du taux intermédiaire de la TVA de 7 à 10 % aggravant encore les perspectives).
Il est tout aussi indispensable que les objectifs nationaux soient déclinés sur les territoires de façon cohérente et de mobiliser les collectivités locales au-delà de la seule mise en oeuvre de la loi SRU. Dans l’hypothèse où les 500 000 logements seraient principalement construits dans les grandes aires urbaines9, les trente agglomérations qui représentent environ 48 % de la population de ces aires devraient construire 240 000 logements par an, dont 72 000 logements sociaux. Or, dans la programmation actuelle, 84 100 logements manquent à l’appel10. Pour atteindre l’objectif, il faudrait donc augmenter de 54 % la programmation inscrite dans les PLH des trente premières agglomérations françaises11 et s’assurer de sa réalisation (en pariant sur le fait que les autres, plus petites, prendraient leur part dans l’effort à produire).
Deuxième enjeu – Maîtriser les loyers et améliorer la couverture des aides au logement
La régulation du marché immobilier est une exigence car elle est de nature à limiter la hausse du coût du logement dont souffrent d’abord les ménages les plus modestes, mais aussi ceux des catégories populaires et des couches moyennes.
Un décret d’encadrement est venu fixer le montant maximum d’évolution des loyers de relocation des logements privés dans les zones « où le niveau et l’évolution des loyers comparés à ceux constatés sur l’ensemble du territoire révèlent une situation anormale du marché locatif »12 (38 agglomérations, y compris Paris). Le loyer ne peut excéder l’ancien, révisé en fonction de l’IRL (avec dérogation possible en cas de travaux ou de loyer manifestement sous-évalué), mais le propriétaire n’a pas à transmettre le montant de l’ancien loyer au nouveau locataire, ce qui limite les possibilités de recours.
Cette mesure ne constitue donc pas un blocage des loyers comme ont voulu le laisser entendre certains. Son champ d’application est assez large, mais exclut les locations meublées (certains professionnels de l’immobilier conseillant même de louer les logements meublés et non plus vides), les locations saisonnières et les logements Hlm. Le loyer initial reste fixé librement pour les logements neufs, les logements décents loués pour la première fois et les logements vacants ayant récemment fait l’objet de travaux d’amélioration d’un montant égal à au moins une année de loyers.
Le décret, entré en vigueur le 1er août 2012 pour un an, constitue donc une première étape pour soutenir les locataires en mettant temporairement fin à un système particulièrement pénalisant pour eux. Pour autant, il ne permettra pas à lui seul de réguler le marché locatif et la réforme plus large annoncée pour 2013 revêt à ce titre un caractère déterminant.
Deux autres pistes, déjà ouvertes, devraient permettre d’apporter un cadre plus favorable à la régulation des loyers. Les observatoires locaux de l’habitat devraient permettre d’objectiver les marchés locaux de l’habitat, dans leur diversité. La sécurisation des propriétaires contre d’éventuelles défaillances des locataires (la garantie universelle des risques locatifs annoncée par le gouvernement) pourrait également contribuer à l’équilibre de la relation locative sachant que les démarches engagées dans ce sens (les agences immobilières à vocation sociale par exemple), montrent que des propriétaires peuvent échanger une légère perte de rentabilité contre une plus grande sécurité.
Parallèlement, le retour à la revalorisation des aides au logement indexée sur l’IRL (et non plus limitée à 1 % dans le cadre des plans de rigueur) permettra d’atténuer la dégradation de la situation des locataires liée à la hausse des loyers. Mais nous sommes encore loin d’une revalorisation et d’une amélioration indispensables de leur couverture, notamment du « forfait charges » compte tenu du coût de la facture énergétique d’autant plus lourde que les ménages sont modestes et habitent des « passoires thermiques ». De leur côté, le projet de loi visant à instaurer une tarification progressive de l’énergie et les engagements sur l’isolation thermique de 600 000 logements anciens, ne garantissent pas la prise
en compte prioritaire des situations de précarité énergétique et risquent donc de passer à côté de l’enjeu social, alors que l’efficacité des tarifs sociaux du gaz et de l’électricité reste limitée et ne permet pas de sortir les ménages de la précarité.
L’instabilité des aides au logement, renforcée par la fongibilité des indus de prestations sociales et la variabilité de certaines — comme le RSA activité —, pose également problème et constitue une source de fragilité pour leurs bénéficiaires. Tout comme l’écart entre les loyers plafonds pour le calcul des aides personnelles et ceux réellement pratiqués. Dans le secteur locatif privé, 80 % des loyers sont supérieurs au loyer pris en compte pour le calcul des aides. Dans le secteur Hlm, près de 4 logements sociaux sur 10 (39 %) sont concernés et cela d’autant plus qu’ils sont récents13 : 70 % à 75 % des logements sociaux construits depuis 2000 (PLUS), 66 % de ceux construits entre 1980 et 2000 (PLA), et 12 % pour les logements construits avant 1980 (HLMO). On comprend mieux pourquoi les ménages les plus modestes se retrouvent dans les fractions les plus anciennes du parc locatif social avec des loyers sous les plafonds APL, celles qui souvent ont été construites en ZUP… devenues les zones urbaines sensibles d’aujourd’hui.
Troisième enjeu – Refonder
la politique en faveur des sans-abri et des mal-logés
L’action en faveur des publics les plus fragiles a surtout fait l’objet de mesures ponctuelles. En matière d’accueil d’urgence, la démarche gouvernementale a été chaotique (annonce du maintien des places hivernales en mai, puis fermeture en dehors de trois centres restés ouverts) et faite d’ajustements successifs pour répondre à la montée des besoins et à la pression des associations. Le Gouvernement n’était manifestement pas prêt à gérer son premier hiver. En matière d’expulsions locatives, la circulaire du 26 octobre 2012 est intervenue beaucoup trop tardivement pour être efficace (cinq jours avant le début de la trêve hivernale) alors que François Hollande, candidat à la présidence de la République, s’était engagé à ne plus expulser sans solution de relogement, dès le 1er février 2012. Le traitement des bidonvilles, dans un climat extrêmement tendu et stigmatisant à l’égard de leurs occupants, a également suscité de vives inquiétudes. La circulaire interministérielle du 26 août 2012 relative à l’anticipation et à l’accompagnement des opérations d’évacuation apporte un cadre de référence nouveau qui peut contribuer à modifier les pratiques à l’avenir. Mais la Fondation Abbé Pierre déplore une application inégale de ce texte et la poursuite des évacuations sans solution sur différents territoires.
La Conférence nationale contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale, qui s’est tenue en décembre, pourrait par ailleurs conduire à dessiner une approche plus globale de la politique en faveur des personnes en difficulté. A ce titre, le rapport consacré à la politique d’hébergement et d’accès au logement, pourrait constituer une étape importante si le gouvernement en reprenait les préconisations. Il insiste sur la nécessité d’instaurer des pratiques vertueuses dès 2013 (des réponses aux 40 000 ménages en grande difficulté, l’élaboration de diagnostics territoriaux…) pour lancer une dynamique nouvelle, mais souligne que c’est aussi l’élaboration d’un plan quinquennal qui est en jeu pour reconstruire une action publique cohérente fondée sur une approche globale, pour renforcer les dispositifs à destination des plus faibles et instaurer un véritable système de protection sociale du logement.
Ce plan doit tourner autour de cinq axes d’intervention. Il s’agit d’abord de construire une vision partagée de l’ensemble des difficultés de logement (personnes à la rue, hébergées, en logement précaire ou indigne…) pour ajuster les politiques nationales et locales. Les conditions et les capacités d’accueil des plus démunis doivent être adaptées et transformées pour éviter les remises à la rue et mettre fin aux hébergements indignes, en diversifiant les réponses. Un troisième axe doit chercher à mieux informer les personnes et à réinterroger les pratiques du travail social en adaptant l’accompagnement aux besoins plutôt qu’aux dispositifs et en variant les formes d’accueil. Face à l’aggravation de la crise économique et de ses conséquences, les dispositifs et les procédures doivent être améliorés dans le but d’intervenir le plus rapidement possible pour éviter les ruptures et mieux prévenir les exclusions et les expulsions. Enfin, il s’agit de garantir un logement qui soit décent et pour cela de traiter les logements indignes, les copropriétés dégradées et les causes de la précarité énergétique liées à la mauvaise qualité des logements, dans lesquels les ménages modestes se retrouvent souvent relégués.
Quatrième enjeu – Poursuivre la rénovation urbaine et relancer la politique de la ville
Au-delà du renforcement des critères de la loi SRU, l’enjeu majeur pour les mois à venir concerne la poursuite de la rénovation urbaine et la relance de la politique de la ville. Le Ministre délégué à la Ville annonce une refonte des dispositifs, dans le cadre d’un projet de loi pour 2013, qui semble s’orienter vers un recentrage de l’action sur un plus petit nombre de quartiers (2 500 aujourd’hui), avec une approche à l’échelle de la ville, mêlant politique spécifique et mobilisation des politiques de droit commun. Une nouvelle étape de la politique de la Ville — comme elle en a déjà connu un certain nombre depuis trente ans.
À certains égards, la réorientation de la politique de la ville paraît aussi dictée par un contexte budgétaire contraint, de même que des incertitudes dominent quant à la mise en oeuvre d’un PNRU 2. Pourtant, la rénovation urbaine a permis des avancées significatives. Elle doit donc se poursuivre, mais en tirant les enseignements de ses premières réalisations de façon à redonner aux quartiers populaires les moyens de mieux répondre aux attentes de leurs habitants, d’être en capacité de constituer des espaces de développement et de jouer un véritable rôle de promotion sociale : lutter contre la spécialisation spatiale en répartissant mieux l’offre de logements accessibles à l’échelle des agglomérations, accroître la production de logements très sociaux… tout en développant des projets intégrés croisant les questions scolaires, de transport, d’emploi, de citoyenneté, de culture…
Quoi qu’il en soit, les quartiers populaires ne doivent pas être sacrifiés sur l’autel de la rigueur budgétaire.
CONCLUSION : UN BESOIN
DE COHÉRENCE ET DE SOLIDARITÉ
La politique du logement est confrontée à de nouveaux défis. Elle doit faire face à la dégradation de la situation socio-économique et à l’intensification des difficultés de logement tout en redéfinissant son ambition et ses orientations pour redonner espoir à ceux qui sont confrontés au mal-logement. Certaines mesures adoptées par le nouveau gouvernement s’inscrivent dans ce sens. Mais il reste à trouver l’articulation entre les mesures d’urgence, pour éviter les basculements et protéger les plus faibles, et les mesures structurelles pour satisfaire l’ensemble des besoins et limiter pour cela l’emprise du marché sur le logement. De ce point de vue, l’année 2013 sera déterminante pour donner à la politique du logement les orientations nouvelles nécessaires à l’instauration d’un véritable système de protection sociale du logement et pour assurer une meilleure équité qui prenne en compte la diversité du mal-logement selon les territoires et garantisse l’exercice de la solidarité.
L’analyse fait apparaître un besoin de cohérence, notamment entre la dimension sociale et la dimension économique et financière de la politique du logement, mais aussi en matière de gouvernance face au constat d’une dispersion des responsabilités. Une nouvelle étape de la décentralisation devrait renforcer le choix du niveau intercommunal pour mettre en cohérence les approches (habitat, urbanisme et sociale). Mais parallèlement, le rôle de l’État doit être affirmé et repensé. C’est à lui que revient la responsabilité de mettre en oeuvre le droit au logement et de créer les conditions du développement d’une offre de logement abordable, d’assurer sa pérennité, de mettre en place les mécanismes de protection à portée universelle et des dispositifs spécifiques pour les plus démunis. C’est à lui de prévoir les moyens financiers nécessaires quitte à mobiliser des ressources complémentaires, issues notamment des marchés immobiliers qui ont bénéficié de la hausse très rapide des prix du secteur. C’est dans ce sens que la Fondation Abbé Pierre propose la création d’une « contribution de solidarité urbaine », dans une logique de lutte contre la ségrégation territoriale et de péréquation à l’échelle des bassins d’habitat en renforçant les capacités financières des collectivités locales pour la production de logements à vocation sociale.
Tout doit être fait au niveau national et local pour favoriser l’accès de tous à un logement et prévenir le risque de le perdre. Tout doit être fait pour rendre effectifs les principes régulièrement affichés par le nouveau gouvernement, qu’il s’agisse de l’accueil inconditionnel ou du principe de continuité dans l’hébergement, de l’opposabilité du droit au logement ou plus largement de l’égalité des territoires et de la solidarité nationale envers les plus fragiles. Autant de principes fondamentaux qui doivent être placés par les responsables politiques en tête des priorités pour redonner de nouvelles perspectives à ceux qui sont les victimes, souvent silencieuses, d’une exclusion qui s’enracine dans notre pays.
1. Demandeurs inscrits depuis plus d’un an en incluant une activité réduite.
2. Enquête Emploi, Insee, 2011.
3. Sont considérées comme pauvres, les personnes dont le niveau de vie est inférieur à 60 % du revenu médian, soit 964 euros par mois.
4. Étude réalisée par l’Association des petites villes de France (APVF) auprès de 200 maires de communes de 2 500 à 5 000 hab.
5. Rapport d’information n°4221 sur l’évaluation de la politique de l’hébergement d’urgence, Danièle Hoffman-Rispal et Arnaud Richard, Assemblée Nationale, janvier 2012.
6. FNARS, « Premier baromètre hivernal du 115 pour 2012-2013 », auprès des 115 de 37 départements, décembre 2012.
7. La situation s’est un peu améliorée en décembre avec l’ouverture des places hivernales.
8. Lettre ouverte des cadres du service social au Conseil général de Seine-St-Denis du 29 octobre 2012 adressée à J-M. Ayrault, C. Duflot et M. Touraine.
9. Les grandes aires urbaines sont définies en adjoignant à chaque pôle sa couronne. Elles accueillent en 2008, 82,6 % de la population française.
10. L’analyse se base sur les objectifs inscrits dans les PLH en vigueur, et non sur les constructions réalisées.
11. Seules trois agglomérations, celles d’Angers, Montpellier et Rennes, permettent de tenir cet objectif.
12. Article 18 de la loi du 6 juillet 1989.
13. Étude réalisée par les services du ministère du Logement à la demande du Haut Comité pour le logement des personnes défavorisées