La mémoire de l’esclavage n’est pas une victime collatérale de la commémoration de la Shoah!

— Par George Pau-Langevin —

concurrence_memorielleChaque fois que les mémoires de l’Esclavage et de la Shoah se retrouvent mesurées, comparées ou opposées, les passions, les emportements et les outrances qui s’expriment démontrent combien la connaissance historique et scientifique de l’une et de l’autre doit progresser et progresser encore avant que ne s’effacent, enfin, les tentations de l’inutile concurrence des mémoires et des victimes.

Peut-on encore évoquer la singularité de la Shoah sans que les descendants d’esclaves – dont je suis – ne se sentent minorés ou, pire, niés dans la mémoire des souffrances et des atrocités qui furent infligées à leurs aïeux ? Peut-on, de même, rappeler avec force la singularité de la traite des Noirs, de ses abjects fondements et de la monstruosité de son bilan humain, sans pour autant blesser la mémoire de ceux qui ont perdu la vie dans les camps, jetés dans les rouages d’une industrie de la mort programmée et planifiée au seul motif qu’ils étaient Juifs ?

Chacun de ces deux crimes contre l’humanité a acquis sa singularité dans l’Histoire. Une singularité conquise de haute lutte et qui, pour la Shoah comme pour l’Esclavage, continue de se construire à mesure que la connaissance des faits historiques se renforce et que l’œuvre de mémoire collective progresse. La reconnaissance de la singularité de ces mémoires est essentielle, car elle seule permet de ne plus comparer, de ne plus opposer ni se perdre dans des querelles sémantiques qui éloignent des vrais enjeux de la mémoire.

Je refuse et je refuserai toujours de penser que la mémoire de l’esclavage est une éternelle victime collatérale de la commémoration de la Shoah.

Ceux qui le pensent font fausse route, se trompent de colère et négligent en réalité l’importance et le sens de la loi du 21 mai 2001 reconnaissant la traite et l’esclavage en tant que crime contre l’humanité, que je n’ai cessé de contribuer à faire vivre dans toutes les fonctions que j’ai occupées depuis. Pour ma part, à ce qui nécessairement distingue ces deux mémoires singulières, je préfère et je préférerai toujours rechercher ce qui les rapproche. Car nous n’aurons jamais fini de mieux comprendre comment la barbarie des hommes peut, sous des formes différentes, parvenir à des atrocités innommables en déniant toute humanité à d’autres hommes sur la base de leur origine ou de leur couleur. Je considère et je considérerai toujours que ces deux mémoires, loin de s’opposer, doivent se parler et se comprendre mutuellement.

C’est pourquoi j’estime que je serai tout autant à ma place, debout et fidèle à mes origines et à mes convictions, le 26 avril prochain aux commémorations de la libération du camp de concentration de Dachau en Allemagne, où périrent notamment des Juifs et des Noirs, que lorsque j’accompagnerai le président de la République pour l’inauguration du Memorial ACTe, à Pointe-à-Pitre en Guadeloupe, le 10 mai, pour la Journée nationale de mémoire de la traite, de l’esclavage et de leurs abolitions. J’honorerai ainsi, avec le même souci de vérité, de reconnaissance et de respect, deux mémoires singulières qui éclairent les engagements de ma vie.

George PAU-LANGEVIN

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