Soirée de présentation du livre
— Par Victor Lina —
Le jeudi 6 novembre dernier, s’est tenue, à l’Atrium, une première présentation du livre récemment paru : Lacan aux Antilles de Charles MELMAN.
Le commentaire qui va suivre et qui n’engage que son auteur, n’a pas été soumis, avant publication, aux intervenants qui se sont exprimés lors de cette rencontre.
Cette manifestation à l’initiative de L’A.L.I.-Antilles (Association Lacanienne Internationale) a été réalisée avec le concours du G.A.R.E.F.P. (Groupe Antillais de Recherche d’Étude et de Formation Psychanalytique).
La soirée s’est déroulée à partir de l’argumentaire suivant :
L’ouvrage « Lacan aux Antilles » traite de questions qui ont toujours été posées dans notre société, entre autres, la colonisation esclavagiste et le bilinguisme français-créole. Des psychanalystes y proposent une lecture inédite de ces questions.
Les questions abordées : celle du sujet, celle du désir et du devenir homme et femme dans ces sociétés.
Jeanne WILTORD, psychanalyste, qui a présidé cette présentation a situé cet ouvrage dans le contexte d’une histoire. Celle d’une période appartenant au développement de la psychanalyse en Martinique. Celle d’hommes et de femmes qui ont participé à l’approfondissement et la diffusion de la théorie psychanalytique en lien avec une pratique clinique, une expérience de vie auprès d’autrui ici et ailleurs.
Charles MELMAN, psychiatre, psychanalyste, membre fondateur de l’A.L.I. est depuis 1989, un partenaire assidu de ce travail mené au G.A.R.E.F.P.
Ce livre relate les premières contributions communes et, en particulier, celles auxquelles, ce grand témoin de la clinique, a participé.
Le titre « Lacan aux Antilles » indique, sans doute, une coïncidence, peu fortuite, entre la participation de Charles MELMAN aux travaux de mises à l’étude d’une pratique qui ont été, notamment, entrepris par les psychanalystes regroupés au sein du G.A.R.E.F.P. et l’intérêt grandissant en Martinique pour la lecture de la théorie freudienne proposée par Jacques LACAN.
Jeanne WILTORD précise qu’il s’agit d’un travail qui a été initié à travers des séminaires qui se sont tenus une à deux fois par an pendant plus d’une décennie. Elle indique aussi que les paroles de MELMAN sont des hypothèses qui sont proposées, en vue d’une mise au travail partagée, en vue d’ « une pensée au travail ».
Nous avons retenu de relever deux points parmi ceux qui ont été développés par WILTORD :
Le premier concerne le rapport des personnes issues de ces sociétés antillaises, à la parole et au langage. Ce rapport s’appréhende à la fois dans sa singularité et dans sa fonction de lien social.
Il est fait référence à l’ « insoupçonné tourment » mis en exergue par Édouard GLISSANT. Cet insoupçonné tourment, paradoxalement, affecte, selon ce point de vue, tous les antillais quel que soit la langue qu’ils parlent.
Dans nos sociétés issues de la colonisation esclavagiste racialisée et constituées au gré d’une violence comme mode privilégié des relations, deux langues sont parlées le français et le créole. Si dans la langue française, des membres de ces sociétés se sont retrouvés en position d’exclus ; que peut être leur rapport à cette langue ? Quelle place un sujet, souligne WILTORD, peut trouver dans une langue quand cette langue ne lui fait pas d’autre place que de le traiter comme un déchet ?
Pour chacun le rapport à la langue tient compte du lieu à partir duquel il est transmis. Or la langue française dans nos sociétés est amenée principalement par l’intermédiaire de l’école publique. Ce mode privilégié de transmission induit un usage réglé de la langue à l’aune de l’orthodoxie grammaticale en prescrivant l’évitement à tous prix du péril de la faute.
Suivant cette modalité de la transmission, la langue s’offrirait sans faire place au manque irréductible que tout système langagier recèle au plan de la représentation.
Le second point porte sur la jouissance et la perte
Une perte affectant la jouissance est la condition pour entrer dans le langage. L’acceptation de cette perte fait traumatisme. Or si l’esclavage constitue un traumatisme, quelles en sont les modalités ? Quelles en sont les impasses ? L’esclavage condense-t-il le traumatisme ? L’histoire fait-elle de tous des victimes ? La position de victime doit-elle rester figée ? Quel bénéfice retire-t-on à se maintenir à cette place ? La position victime n’appelle-t-elle pas, à l’instar de celle l’hystérie, un maître ?
Luis LIENAFA, théologien, a partagé ses réflexions sur le thème suivant : « Comment devient-on homme et femme dans cette contrée » ? Il centre son propos sur la question de la transmission et de la donation par la lignée maternelle.
LIENAFA, sur la base des éléments du texte transcrit à partir des interventions de MELMAN, souligne la place importante des mères dans nos sociétés.
Cette notion de la transmission et celle de la donation, sont données en référence à l’objet par le truchement d’un de ses pendants, la castration.
La castration, précise LIENAFA, présente deux aspects ; l’un s’apparente à la violence qui préside à l’origine du fait d’user du langage mais aussi d’en être élu quand l’autre détermine la différence sexuelle à partir du référent phallique. Dans ce second cas, la castration est dite symbolique.
LIENAFA présente une lecture du tableau de la sexuation proposé par LACAN et introduit la question de la donation généreuse opérée par la mère et celle de la transmission assurée par le père qui ne donnerait que ce qu’il a reçu.
La valeur ou la pertinence des questions soulevées par MELMAN est ici interrogée au regard de la « réalité locale ».
Marie-Nadiège YERRO, psychanalyste apporte des précisions sur la question de la transmission par filiation et de la transmission par donation et propose un examen de cette problématique en l’illustrant par une situation issue de sa pratique clinique.
Marie-line LOUISE-JULIE, psychanalyste, propose de partager les interrogations et les pensées que la lecture du livre a suscitées chez elle. C’est en particulier la question du sujet qu’elle a choisi de développer. Il s’agit d’un sujet différent de l’être substantiel ou de l’être de la certitude. C’est le sujet appelé à occuper une place dans un discours.
LOUISE-JULIE souligne que la parole introduit une coupure, une entaille à l’intérieur de laquelle vient se loger le sujet de l’inconscient. Il est dans l’écart, comme le rappelle MELMAN, entre deux signifiants. Un tel sujet surgit à condition que la langue soit marquée par le refoulement.
LOUISE-JULIE fait remarquer que l’introduction d’un défaut, d’un raté dans la façon de parler la langue officielle est une marque du sujet de l’inconscient. Aujourd’hui, se pose pour le sujet le problème de pouvoir se situer face à la prévalence du discours de la science. Ce discours décrit un univers réglé par le nombre.
Dans les sociétés qui sont les nôtres et apparues dans les conditions qui nous spécifient, a-t-on affaire à un même sujet ?
Les deux langues, créole et français qui conditionnent le sujet sont utilisées aujourd’hui de façon comparable. Quelles sont les conséquences subjectives de cette évolution ? Se pose la question du lieu de la résidence du sujet de l’inconscient ? Car souligne LOUISE-JULIE, la langue créole n’est plus cachée, elle n’est plus interdite.
Le sujet aura-t-il à s’éloigner plus haut dans les mornes ou au plus profond de la forêt de l’inconscient ?
Les intervenants et participants ont fait de cette soirée un possible point de départ pour des réunions publiques où pourraient se discuter les nombreuses questions soulevées et à soulever.
Victor LINA