— Par Selim Lander —
Programmation éclectique du festival de jazz de la Martinique pour sa 20ème édition, avec un partage équilibré entre formations martiniquaises et importées. Le décor planté sur la scène de la grande salle de l’Atrium était particulièrement réussi : de grandes voiles rectangulaires ; un écran sur lequel grossissaient des notes dessinées en relief – croches ou doubles croches – ainsi que des clefs de sol, donnant l’illusion qu’elles se rapprochaient des spectateurs ; un éclairage vif sans être agressif avec des jeux de couleurs qui variaient selon les groupes. Enfin et surtout un public nombreux et même, événement rarissime, une salle comble le 6 décembre au soir (pour une jauge de 939 places).
Faute d’avoir pu assister aux six soirées (plus un « brunch » dans les jardins du Conseil Régional le dimanche 7), nous dirons quelques mots seulement des formations qui se sont produites le jeudi 5 et le vendredi 6. Commençons par le pianiste Bob James et son quartet qui a clôturé en beauté les concerts de l’Atrium, en deuxième partie le 6. On ne dirait pas de lui qu’il est un pianiste virtuose, par contre il sait comment faire parler un piano. La comparaison avec les pianistes qui accompagnaient Steve Turre et Humberto Ramirez fut, à cet égard, éclatante. En outre, il a une manière étonnante de « dialoguer », au sens propre, avec ses musiciens. Il l’a en particulier démontré avec son batteur, Clarence Penn, un noir élancé et élégant (tandis que B. James se rattache lui-même à la catégorie des vié blan,… mais sympathique). Le jazz de B. James n’est ni moderne, ni classique ; c’est une musique facile faite pour plaire au plus grand nombre et cela marche. Un regret : on n’a guère entendu le guitariste, Perry Hugues, d’ailleurs placé dans le dos du pianiste, donc hors de sa vue, ce qui ne facilitait pas son insertion dans le groupe. Autre regret, que le bassiste ait joué sur un instrument électrique, comme d’ailleurs celui qui accompagnait Humberto Ramirez. À nouveau, la comparaison avec la contrebasse authentique du groupe de Steve Turret parlait suffisamment en faveur de l’instrument traditionnel. Ceci dit, on ne reviendra pas ici sur le combat perdu d’avance contre l’amplification des instruments. Rappelons quand même que l’acoustique des salles de concert est conçue pour que la musique ne soit pas amplifiée et pour que l’on jouisse du son vrai des instruments. Mais cela fait des lustres que nous n’avons plus entendu du jazz non amplifié, y compris dans des petites salles. La messe est donc dite. On n’arrête pas le progrès, comme on dit. Enfin quand on dit le « progrès »…
Le 5 en première partie de soirée, découverte intéressante de Steve Turret, un virtuose authentique, lui, de la conque marine (dite lambi). Dommage qu’il l’ait réservée pour la fin, jouant surtout du trombone à coulisse, certes non sans qualités, mais enfin le trombone n’est pas l’instrument le plus séduisant qui soit (bien qu’il se fasse apprécier dans les cortèges funéraires de la Nouvelle-Orléans). Si le lambi ne l’est pas non plus, tirer des notes d’un tel objet est un tour de force qui mérite d’être salué. Pour jouer une mélodie et bénéficier d’une amplitude de notes suffisante, le musicien alterne entre plusieurs conques, passant de l’une à l’autre avec une dextérité remarquable. Le groupe martiniquais de joueurs de lambi Watabwi, invité à monter sur la scène, a fourni un troisième élément de comparaison et permis de mesurer, cette fois, l’exceptionnelle virtuosité de Steve Turret. Auquel on doit également, comme déjà noté, de nous avoir fait entendre Buster Williams aux commandes d’une vraie contrebasse (hélas amplifiée mais à l’impossible nul n’est tenu…)
Les deux autres prestations, à savoir la deuxième partie de soirée du 5 et la première du 6 ont moins convaincu. Le 5 donc, la senora ou senorita Buika, une dame ou damoiselle afro-espagnole qui bénéficie d’une certaine réputation dans le chant andalou ; les amateurs qui connaissent ses disques confirment son talent. En Martinique, nous avons vu paraître sur la scène une petite chose fragile, pieds nus suivant la mode lancée, bien malgré elle, par une certaine chanteuse capverdienne, avec une robe fendue sur le côté pour laisser apparaître une jambe maigre et nerveuse, comme les bras également dénudés et agrémentés de tatouages. Cela étant, l’apparence importe peu, on était là pour la musique. Or là, pour une fois peut-être, l’apparence n’était point trompeuse. Car notre chanteuse (accompagnée par une guitariste flamenco et un percusionniste – ce dernier pratiquement inexistant) n’était visiblement pas dans son assiette, s’abreuvant sans arrêt d’un breuvage qui n’était pas d’eau pure, tenant des propos assez peu cohérents et finissant son tour de chant assise sur une chaise. Difficile dans ces conditions « d’assurer » au plan musical ; la voix de Buika partait trop souvent en vrille pour se transformer en cris peu mélodieux. La fréquentation des réseaux sociaux nous apprend que certaines des personnes présentes on trouvé la chanteuse magnifique, une bête de scène stupéfiante, terrible ! Nous confirmons : ce soir là, elle fut effectivement « terrible » mais au sens propre.
Last and least, en première partie du 6, Humberto Ramirez et son groupe. Nous avons envie de dire : Humberto Ramirez, hélas ! Le monsieur est trompettiste et vient de Porto Rico, quelque chose qui ressemble à notre île en américain et en plus grand (ce qui n’a rien à voir, bien entendu, avec la prestation du monsieur en question). D’abord, alors que le concert était déjà en retard en raison d’une intervention des officiels, H. Ramirez et ses musiciens mirent du temps à monter sur la scène, en dépit de plusieurs salves d’applaudissements (ironiques) saluant leur entrée (fictive). Enfin ils vinrent. Et l’on vit apparaître ce que l’on ne saurait décrire autrement que comme des employés du jazz. Nous n’avons rien contre les employés qui remplissent des missions essentielles dans la société moderne, néanmoins on attend des musiciens, et des jazzmen en particulier, plus de fantaisie et d’enthousiasme. Or nous ne vîmes ni n’ouïmes rien de cela. H. Ramirez joue de la trompette, instrument plus séduisant a priori que le trombone. Il aurait pu, comme d’autres trompettistes, nous emporter au septième ciel mais il eût fallu montrer un peu plus de passion. Au lieu de cela, il ne cessait de tourner le dos à la salle pour s’éponger le front et, sitôt passé le relai au pianiste, il se réfugiait dans un coin de la scène avec le saxophoniste et ils se mettaient alors à discuter entre eux comme s’il n‘y avait pas près de mille personnes qui les regardaient ! H. Ramirez se produisait ce soir-là en « sextet » (trompette, saxophone, piano, basse, batterie et percussions). C’est pourtant dans les morceaux les plus doux joués en « quartet » (exclus le saxophone et les percussions), que son ensemble a la plus séduit. Bien que la musique fût simple et répétitive, la trompette devenait enfin l’instrument chargé d’émotion qu’on attendait.
Si l’on devait, pour finir, donner un conseil aux organisateurs du prochain festival, il serait celui-ci. Pour les soirées de prestige, réservées aux étrangers venus d’ailleurs, se contenter d’une seule formation par soirée en la choisissant d’une manière bien plus sélective et en lui demandant évidemment de jouer davantage de morceaux. Son cachet serait sans doute élevé mais, en tout état de cause, inviter moins de groupes étrangers ferait une économie considérable – non négligeable en ces temps de restriction budgétaire. Bien entendu, l’objectif premier serait d’élever la qualité et donc la satisfaction du public, plutôt que de faire des économies. A titre d’exemple, on aurait écouté volontiers la musique de Bob James pendant toute une soirée.
Au CMAC de Fort-de-France, du 29 novembre au 7 décembre.