— Par Victor Anicet —
Monsieur l’Archevêque de Fort de France et Saint-Pierre,
Mesdames et Messieurs les représentants des autorités civiles, militaires et religieuses,
Mesdames, Messieurs,
Il est des créations dont se satisfait plus ou moins l’artiste qui les conçoit ; des créations « contentement », des créations « tâtonnement », des créations « atermoiement »…
Et puis, il est des créations comme du nouveau né qui parait, qui s’insinuant dans la vie de l’artiste, ébranlent ses habitudes ; des créations « tempête » qui s’abattant sur la tête de l’homme, bouleversent le champ de ses perceptions…
Lorsqu’on me confia en 2002 la réalisation des vitraux de la cathédrale de Saint-Pierre, j’avais conscience du défi artistique à relever, mais non des limites qu’il me faudrait repousser dans l’exercice de mon art, ni de l’extraordinaire introspection qu’il me faudrait mener dans l’antre indicible de la lumière.
Ma démarche a consisté tout d’abord à m’imprégner du lieu. Je voulais créer des vitraux, à l’image de cet espace, propice au recueillement, symbole de rassemblement ; en rapport avec cette cité chargée d’histoires ; en accord avec la culture et l’identité d’un peuple.
Le thème suggéré par le père Catayée aux membres du Club Sooptimiste de Trinité -Saint-Pierre : la résurrection. Thème biblique, thème philosophique, thème universel… Thème cher à la ville de Saint-Pierre, meurtrie dans son sang et dans sa chair, pour renaître d’elle-même sur les cendres du volcan.
Deux évidences se sont alors imposées : utiliser un graphisme abstrait pour suggérer l’émotion plus que pour l’imposer ; puis conjuguer cette écriture aux couleurs de notre île pour véritablement ancrer l’œuvre dans la réalité. A cette étape de mon cheminement, je pressentais qu’il me manquait un élément fondamental : le lien qui permettrait au céramiste que je suis de s’extraire de l’opacité de la matière pour atteindre la translucidité du verre.
C’est au mitan de notre forêt tropicale, espace matriciel par excellence, que j’ai trouvé l’inspiration salvatrice. Durant des semaines, j’ai sillonné la route de la Trace, de l’Alma aux Nuages, contemplant le silence, traquant les ambiances, scrutant les nuances, les jeux d’ombre et de transparence. Mon regard a cheminé le long de l’enchevêtrement végétal, photographiant l’entrelac de formes et de courbes, détourant au passage les interstices de matière ajourée. Je voulais disséquer à l’oeil nu le spectre de la lumière, pénétrer au coeur de sa substance pour en extraire la quintessence colorée.
Il me restait ensuite à traduire graphiquement la palette d’émotions que m’avaient fournie mes pérégrinations. L’écriture surréaliste d’André Breton dans « Martinique, charmeuse de serpents », magistralement illustrée par André Masson ou encore la fameuse « Jungle » de Wifredo Lam m’y ont aidé. Tous trois avaient été intronisés au monde de la Trace par Aimé Césaire lors de leurs passages respectifs en Martinique et s’en étaient inspirés dans leur parcours créatif.
Après plusieurs mois de recherches et de maturation, je me suis mis à peindre d’une écriture inspirée, guidée par mes rencontres, investie par des souvenirs et mes sensations.
Les maquettes terminées, Il me fallait enfin choisir les artisans qui passeraient à la réalisation effective du vitrail. C’est à Reims, à la Maison Simon, sous le patronage de Benoît que j’ai trouvé les compétences appropriées. Grâce au talent exceptionnel de ces Compagnons de France, aguerris au travail minutieux et rigoureux, ma création a enfin pris corps.
La lecture verticale des vitraux de la cathédrale de Saint-Pierre invite à l’élévation spirituelle, comme un long cheminement de l’ombre à la lumière. La base décline des tons froids et des coloris sombres qui progressivement se teintent en chaleur, en courbes et en rougeoiement pour atteindre, au sommet, le cercle protecteur et rayonnant, symbole de communion, de plénitude, à l’instar de l’hostie ou du soleil couchant.
Il est des créations dont se satisfait plus ou moins l’artiste qui les conçoit ; des créations « contentement », des créations « tâtonnement », des créations « atermoiement »…Et puis, il y a La Création, celle qui marque le parcours artistique et spirituel d’un homme et qui donne sens à son existence.
Ces vitraux qui ornent maintenant la façade ouest de la cathédrale de Saint-Pierre, tourneront le dos aux fidèles venus assister à l’office. Filtres colorés, créateurs d’ambiance et de solennité, distillateur d’intemporalité, ils leur apporteront, je l’espère, la lumière sécurisante et apaisante qu’ils sont venus trouver.
Discours de Victor ANICET prononcé à l’occasion de l’inauguration des vitraux de la Cathédrale de la Ville de Saint-Pierre – Martinique.
Saint-Pierre le 08 Décembre 2006.