— par Roland Sabra —
Ce mardi-là, nous devions choisir entre deux films autrichiens: Amour dans le cadre du CMAC à Madiana et Kuma Une seconde femme, déjà projeté un mardi sur la même plage horaire. Inattention ou désinvolture du programmateur? on ne saura pas. Notre choix s’est porté sur le film d’Umut Dag. Pas sûr que ce fût le bon choix. Autrichien d’origine kurde le metteur en scène, après quelques films publicitaires et des courts métrages, passage obligé, en est à son deuxième long métrage. Le premier en 2011 s’appelait Papa. Toujours dans la fibre familiale il nous propose d’explorer de nouveau la thématique du patriarcat, déclinée sur le mode bon enfant.Le film commence au Kurdistan par une cérémonie de mariage. Fatma et Mustafa, installés en Autriche, marient leur fils, Hasan, au village avec une belle oie blanche, Ayse. C’est un mariage un peu triste : ostensiblement le marié montre qu’il n’est pas à la fête. Des tensions souterraines et qui affleurent au détour d’un regard, dans l’étouffement d’un cri, dans l’avortement d’un geste imposent un climat pesant. Ce n’est qu’au retour à Vienne que l’on comprendra le pourquoi du malaise. Fatma prépare le lit de noces pour la mariée tandis que le titulaire du titre de mari s’efface et laisse son père avec son épouse. Le mariage n’était qu’un leurre pour permettre à Mustafa d’épouser une seconde épouse de l’âge de ses propres enfants, soutenu complaisamment dans ce détournement de l’interdit européen de la polygamie par Fatma sa première épouse. Certes les deux filles du couple coincent un peu, surtout la préférée de Mustafa qui voient une « bouseuse » de leur âge et même plus jeune se lover dans le lit du père. Fatma est apparemment ravie de la seconde épouse qu’elle prend sous son aile protectrice et qu’elle va chérir plus que ses propres filles. Ayse semble éperdue de reconnaissance à l’égard de cette fausse belle-mère que le réalisateur dote d’un cancer et les scènes d’apitoiement, d’effluves de larmes et de compassion réciproque se succèdent. Chimio après chimio les scènes aux yeux humides autour d’un lit d’hôpital, d’une confidence, de la préparation d’un plat ou de la vaisselle à faire s’enchainent. Tout est motif prétexte à y aller d’une larme, grosse de préférence. Il faut dire Ayse n’est que pur amour. Elle aime tout le monde : son mari de lit, les filles de ce mari là qui ne le lui rendent pas, la première épouse et son fils, son mari officiel, le vendeur de l »épicerie, le chat et le chien s’ils étaient là. Aux gestes de haine qu’elle suscite elle répond par un charmant sourire plein d’affection, désarmant, forcément désarmant. « Soeur Thérésa et la polygamie » pourrait-on croire. Sauf que la vraie Mère Thérésa n’avait que peu de rapport avec l’image de catéchisme que l’on a construit autour de son personnage.
Bref le cancer de Fatma n’était qu’une fausse piste du scénario pour mieux surprendre le spectateur puisqu’en réalité c’est Mustafa qui va rejoindre les 72 vierges qui l’attendent aux portes du paradis . De quoi est-il mort? Peu importe, on n’en saura rien. Il laisse comme souvenir à Ayse une petite fille en gestation et un trop plein d’amour qui ne demande qu’à s’épancher sur ce qui passe à sa portée, à savoir dans un premier temps son vrai mari. Mais manque de chance il lui révèle son homosexualité. Déception bien sûr et re-larmes pour la énième fois. Bon ce n’est que partie remise. Toujours pleine de bon sentiment et serviable comme pas deux Ayse se propose de travailler hors de la maison pour ramener de quoi faire bouillir la marmite. La voilà donc dans l’épicerie turque du coin où elle retrouve le garçon de courses. Et ça ne rate pas. ils tombent amoureux l’un de l’autre, ils consomment sur place, dans la boutique, ce n’est pas très confortable, entre boucherie halal et boites de pois chiche, mais bon quand on s’aime…
Avant dernier rebondissement: les amants furtifs sont découverts dans la réserve de l’épicerie par le boutiquier, Fatma et l’une de ses filles. La violence contenue, refoulée et masquée par les bons sentiments se déchaine, toute amarre rompue. Ayse est rouée de coups. Le déshonneur est tombé sur la famille Les dernières scènes du film la montre visage tuméfié. Menacée d’être renvoyée au village kurde, elle ne doit son maintien à Vienne qu’ à l’intervention de Hasan, son mari officiel, qui frappe du poing sur la table et pour la première fois s’impose. Solidarité d’opprimés, lui l’homosexuel dissimulé et elle la seconde épouse cachée vont faire front commun. Et le film se termine par ce que l’on présume être un retour « à la normale ».
Ce film qui aurait pu être un grand film plonge dans la pleurnicherie, se vautre dans le pathos, en nous présentant une version de la polygamie sur le mode tranquille. Le père est le seul personnage du film à n’avoir tiré que des avantages à cette situation polygamique, somme toute pépère pour lui. Le sur-titre du film » Affronter le poids des traditions » est tout à fait usurpé. Le vieux, sa première épouse et la seconde forment un trio qui baigne dans le bonheur bien léger nous dit le film. Il n’y a que les filles du premier lit qui prises dans une rivalité œdipienne font la gueule. Ce n’est qu’à la disparition du patriarche, un bon grand père, blanchi sous le harnais, plein douceur, de tendresse, de gestes affectueux pour ses femmes que la situation déraille. Umut Dag veut certainement nous dire que la violence qui se déchaine après la mort du père était déjà là, tapie, prête à bondir au moindre dérapage, que derrière ce trop d’amour la haine déjà pointait dans le noir d’un regard, dans l’esquisse d’un coup se transformant en fausse caresse. L’apparente normalité de la polygamie et du patriarcat ne serait qu’illusion. Mais il le dit mal, dans une redondance de scènes larmoyantes qui ont du valoir au budget accessoire-oignon de joli dépassements. Seul le montage du film nous a paru intéressant : une succession de scènes dans lesquelles le sens est plus souvent suggéré qu’il n’est clairement formulé et dont l’énigme ne se dévoile que dans la suivante, ou alors un peu plus loin. Dommage que cela tourne parfois au procédé.
Sortie 6 juin 2012 (1h 33min)
Réalisé par
Umut Dağ Avec Nihal Koldas, Begüm Akkaya, Vedat Erincin plus Genre
Drame Nationalité
Autrichien
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