Monique Mirabel : à corps et en corps

Les saisons de la vie

Les saisons de la vie Les poètes, les écrivains ont su magnifier les différents cycles de la vie. Mais comment les artistes plasticiens ont-ils pu les représenter ou les évoquer ? Ghirlandaio, dans son tableau Portrait d’un vieillard et d’un jeune homme, montre la jeunesse et la vieillesse. Rembrandt, lui, ponctue chaque moment essentiel de sa vie par des autoportraits et nous voyons dérouler, sous nos yeux, les changements effectués par le temps.

Gauguin nous donne une réponse au problème de la destinée en montrant côte à côte les différents âges de la vie, de l’enfant à la vieille femme dans D’où venons nous ? Que sommes nous ? Où allons nous ?

  • Cependant, Picasso, vieillissant, affrontant cet état nouveau, se représente soit dans des scènes burlesques et ironiques entouré de modèles – scènes déjà visibles dans ses dessins de jeunesse – soit accentuant ses défauts physiques. Bien différente est l’attitude d’Opalka qui, à chaque toile, joint une photographie témoignant de son vieillissement progressif, ainsi qu’un enregistrement de sa voix énumérant les chiffres qu’il peint. Opalka couvre ses toiles d’une suite ininterrompue de nombres, chacune constituant un Détail d’une suite dont l’issue devrait coïncider avec sa propre disparition.

Monique Mirabel, dans À corps et en Corps, interroge les cycles de la vie en représentant le corps féminin dans ses différentes phases, séparément ou côte à côte. Elle ponctue visuellement des étapes de la vie apportant des modifications physiques en relation avec le vécu.
D’où son parti pris de cadrerdes parties précises, des seins au ventre et de ne pas représenter le visage.

 Comment
les empreintes du temps traversent-elles
les démarches artistiques contemporaines
?

Epanouissement,
Pastel sur paier, 36 X 50,6 cm, 2005

 

Le ventre multiplié

Le
corps est le lieu de tous les marquages,
de toutes les blessures, de toutes
les traces.

Michel Journiac

A corps et en corps défie les tabous liés à la représentation de la nudité féminine et de la nudité
mature. Cette réplique obsessionnelle du ventre convoque, comme un écho, le souvenir du film de Peter Greenaway, Le ventre de l’architecte ou celui des sculptures de Kiki Smith, Shields (l 999). La déclinaison plastique de cette portion du corps choisie par Courbet comme quintessence de l’érotisme exprime chez Monique Mirabel l’inquiétude de l’humain confronté à sa déchéance et à
sa finitude, la hantise du temps qui passe.

La série Sans titre 1999 attirait le figuratif aux confins de l’abstraction, éloignant les oeuvres de l’anecdote narrative, les dotant d’une capacité de renouvellement sous le regard de chacun.
Par contre, les ceuvres récentes renouent avec la figuration.

Photographies et pastels juxtaposent quatre générations de ventres féminins.

A la carnation veloutée, lumineuse, quelquefois flamboyante de certaines silhouettes nubiles, Attente, Korê ou Lae, répondent des profils marqués par la fécondité, Épanouissement, qui évoquent la Venus de Willendorf. (*)

La photographie a pour Monique Mirabel une triple fonction. Elle peut être le point de départ de la réalisation finale aux pastels. Mais elle peut être aussi utilisée pour elle-même, en raison de son
rendu plus réaliste, dans des montages photographiques en noir et blanc. Elle intervient encore, parfois imprimée sur transparent, dans la mise en page de Gaïa ou Fenêtre sur II, où un même motif est répété à trois ou quatre reprises comme pour une mise en abîmes : la forme principale aux pastels est photographiée puis intégrée par collage dans la composition. Elle l’enrichit par la déclinaison de la forme primordiale dans un autre format, sur un autre support et avec une autre
texture.

Certains collages photographiques sont des citations d’oeuvres de Jenny Saville ou apportent, toujours à travers la citation d’oeuvres, un écho formel sous la forme de paysage. Faut-il voir dans ce parti pris de la répétition, la prédilection pour les recherches formelles ou le support d’une réflexion sur la destinée humaine ?

 

Comment chaque artiste apporte t-il sa part personnelle dans la déclinaison d’un thème universel ?

Gaïa,
Pastel sur papier, photos, 49,8 X 36
cm, 2006

Corps sculptural, Corps tactile, Corps matière

Les corps peints par Monique Mirabel renvoient dans un premier temps à la représentation de la féminité et de la fécondité dans la sculpture des arts premiers, Vénus hottentote, ou bien Vénus callipyge ou stéatopyge.

Qu’en est-il du regard de l’artiste qui utilise comme point de départ la photo noir et blanc de corps jeunes, et de corps de femmes mûres ou vieillissantes. En se référant à certaines autres démarches, celles des portraitistes, par exemple, on prend immédiatement conscience de la volonté de Monique Mirabel de s’inscrire dans le réel. On ne retrouvera donc ni romantisme, ni érotisme.

Corps sculptural donc, puisqu’il inscrit ses rondeurs dans l’espace pictural, au lieu de jouer sur le vide et le plein comme dans les productions de Henry Moore. Un corps qui affirme sa présence, et qui exprime les revendications de l’artiste ; il s’agit de montrer l’œuvre, mais également de susciter la réflexion. Ainsi, cette démarche tend à exprimer la fragilité et la vulnérabilité des corps face à l’inéluctable, comme le souligne l’artiste.

Evoquer le corps sculptural revient à se référer à ces œuvres qui ont été façonnées, manipulées, triturées, poncées, comme le sont les êtres humains par les épreuves de la vie.
Un peu comme ces immenses corps allongés de Moore, sculptés dans le bronze, le bois, ou la pierre, représentations allégoriques exposées à l’érosion et au passage des saisons. Dans les créations de Monique Mirabel, les corps sont de façon allégorique, soumis au passage du temps.

Comment l’artiste exploite-t-il le passage de la photographie à la peinture, et de la sculpture à la peinture?


Lae,Pastel sur papier, 50?5 X 35,7 cm, 2006

Bref panorama sur l’érotisation de la chair dans l’art occidental

Pour que le corps se pare de séduction, il fallait que la nudité se déplaçât des sujets religieux vers les thèmes mythologiques. Ainsi, à la Eve coupable succède la fière et désirable Vénus (Botticelli
: La Naissance de Vénus, 1486).

Le souci de bien peindre la chair est né avec Léonard de Vinci à la fin du XVe siècle. Le sfumato qu’il utilise lui sert à estomper les contours de ses figures afin d’éviter que la ligne de leur silhouette ne s’interrompe de façon brutale. Puis, l’interprétation maniériste au XVIe siècle avec Parmesan, Lotto, Pontormo ou Bronzino – trouve dans le traitement du corps, un lieu privilégié : ondulation de la grâce, sophistication des poses, dynamisme dans l’agencement des figures, blancheur lisse des nus, déformations anatomiques.

C’est au XVIIe siècle que le peintre flamand Rubens peint des femmes charnues comme jamais artiste n’en a peint. La chair pour Rubens livre des sensations tactiles qui réintroduisent du désir et du plaisir dans la peinture : chaleur des peaux luisantes de sueur, chevelures ondulantes de femmes qui caressent leur propre corps où le laissent palper par d’autres…

Le XVIIIe siècle français livre aussi ses saveurs nacrées… Boucher par exemple peint dans une palette claire et acidulée des décors où la mythologie est prétexte à déshabiller les corps. Il incarne cette grâce féminine volontiers libertine en célébrant les souples chairs diaphanes de ses modèles. Les peintres du XIXe siècle, quant à eux, réagissent contre toutes ces joliesses artificielles en peignant des corps lourds (Renoir : Baigneuse au griffon, 1870 – Courbet : La Femme à la vague, 1868) – avec des vérités de carnation qui perturbent les convenances : l’érotisme est dénonciation sociale et le bourgeois est montré avec sa prostituée (Manet : Le déjeuner sur l’herbe, 1863).

Au XXe siècle, le regard sur l’anatomie s’est métamorphosé avec toutes les possibilités qu’offrent les nouvelles technologies et le traitement virtuel de l’image. La chair tactile devient par le biais de la chirurgie esthétique, affaire d’anatomie « hybride » et de beauté alternative chez Orlan. A l’opposé, la vérité réaliste des corps de Vincent Corpet restitue à l’aide de supports traditionnels, une vision non hiérarchisée.

Quels sont les différents moyens plastiques que l’artiste peut mettre en oeuvre pour susciter la sensation tactile des corps qu’il représente ?

Une technique le pastel

 Le pastel est une poudre solidifiée faite de pigments de couleurs broyés et agglutinés à l’eau, gommée avec soit de l’argile, du talc ou du kaolin. Durs ou tendres, les pastels s’appliquent sur des supports rugueux qui  retiennent la poudre qu’il faut, par la suite, fixer.

L’usagede pastels dans l’histoire de l’art remonte au XV’ siècle. C’était une technique de complément du dessin qui se réalisait, à l’époque, sur des papiers colorés. C’est le peintre allemand du XVIe siècle, Holbein qui, le premier, lui accorda un intérêt notoire.

Monique Mirabel affectionne tout particulièrement cette technique qui offre une tonalité veloutée aux corps qu’elle représente. Cette tonalité est en effet due à la réflexion diffuse de la lumière sur les particules pigmentaires du medium que l’artiste écrase avec le pouce : ce qui pourrait rappeler la gestuelle des premières peintures rupestres préhistoriques. Dans ses séries, Monique Mirabel travaille directement le pastel en procédant par masses de tons locaux moyens – roses, orangers, beiges – sur lesquels elle dessine des hachures superposées plus claires ou foncées qui laissent apparaître, en épaisseur, les demi-teintes de tons voisins. Avec ce médium, l’artiste peut suggérer la matière onctueuse des corps et accroître la densité de la matité ou du velouté des peaux.

Les techniques picturales sont-elles solidaires de l’expression et du message artistique ?

Textes
: Dominique Brebion,Sophie d’Ingianni, Suzanne Lampla, Monique Mirabel

Photos : Dominique Mirabel

Conception graphique : Bleu Marine

05/05/2006

Reproduction
sur ce site à partir d’un
document papier