HC Editions rendent hommage au peintre Louis Laouchez qui occupe une place singulière parmi les artistes martiniquais. Ses sources multiples – africaine, caribéenne et européenne – également prégnantes et assumées, inventent l’artiste négro-caraïbe. Le fondement mental de son œuvre, lui aussi tripode – esthétique, éthique et politique – demeure toujours en prise directe avec les réalités de la Martinique.
Ses peintures sont dominées en fonction des époques, par des couleurs telluriques ou au contraire flamboyantes et témoignent toutes d’un fort travail de composition. Ces peintures affirment le lien entre la Caraïbe et l’Afrique, lien aussi présent dans ses totems : bois sculptés de grande taille, hiératiques, peints, dans lesquels on retrouve les signes et les figures qui habitent ses peintures et constituent son univers. Forte de sa puissance d’évocation, l’œuvre de Louis Laouchez impose un style d’une rare expressivité dans une légitimité culturelle libre. La diversité des matériaux et des moyens d’expression, l’investissement des registres figuratif et abstrait, l’usage dense des couleurs et des signes ouvrent cette œuvre à l’universel.
Quatrième de couverture
Louis Laouchez, une quête identitaire ardente pour ne pas mourir d’universalité
par Pr Bernard ZADI ZAOUROU de l’Université d’Abidjan-Cocody Abidjan
Depuis toujours, dans le monde noir comme ailleurs en Occident ou en Orient, s’est constamment développé un étrange motif de discussion relatif aux liens qui unissent le général au particulier, l’universel au spécifique.
Dans leurs rapports politiques, les nations, selon leur degré de puissance et jouant à fond le jeu de la balance des forces ont, soit saboté ou carrément refusé ce débat, soit au contraire, mobilisé toutes leurs énergies pour l’imposer, l’informer de preuves irréfutables et en tirer toutes les conséquences susceptibles de servir leur cause.
Au cours de l’histoire, n’ont vraiment eu intérêt à la reconnaissance et au respect de cette unité dialectique – général/particulier ou universel/spécifique, c’est tout un – que les nations et peuples subissant le joug de puissances impérialistes. En toute logique, ces dernières avaient tout à gagner à considérer leurs valeurs, spécifiques pourtant, comme des valeurs universelles que tout le monde devait reconnaître comme telles. En clair, qui domine est tout à la fois l’alpha et l’oméga et croit avoir mission de façonner le dominé à son image.
La voici donc, la contradiction qui crée en théorie le problème fondamental autour duquel s’organise toute action (lutte politique, philosophique ou idéologique) liée à l’épineuse question de l’identité. Car oui, l’identité, le voilà le maître mot, le concept opérationnel et notionnel qui inspire, non pas tant sur le plan esthétique mais dans sa thématique, l’œuvre de Louis Laouchez. À ce propos, l’artiste lui-même me confiait dans une correspondance récente: «Mes sources d’inspiration ? L’Afrique, la politique, l’œuvre d’émancipation, de dignité, de fierté de l’homme Antillais qui refuse les genres, les codes, les courants venus d’ailleurs, générés par d’autres et important pernicieusement leurs modèles chez nous».
Le discours est sans ambiguïté: à l’heure où les puissances qui dominent le monde prêchent les vertus de la mondialisation, ce que laisse clairement entendre Louis bouchez, c’est son refus catégorique de voir l’identité antillaise se dissoudre dans les manifestations d’on ne sait quelle culture en soi, dont certaines civilisations l’Occidentale notamment – seraient tout à la fois les génératrices et les détentrices exclusives. Tout, pour ne pas que les Antilles meurent d’universalité imposée, tel est le but ultime de cette œuvre immense. Avec cette thèse, comment ne pas se souvenir du poète Aimé Césaire qui, parlant justement du combat de la Négritude pour l’identité nègre, disait qu’en la matière, «Hegel avait montré la voie». Pour le philosophe allemand, rapportait-il, la meilleure façon d’accéder à l’universalité, ce n’est pas de nier, renier ce qu’on a de spécifique mais de l’approfondir au maximum. Martiniquais lui-même, Laouchez ne peut pas ne pas avoir pris intérêt, dans sa jeunesse, à l’exaltant combat identitaire du vieux maître martiniquais.
On l’a dit et redit à toutes les époques et sous tous les cieux: le génie, oui, mais il faut pour que s’accomplisse l’œuvre et quelle traverse le temps, un dixième de génie et neuf dixièmes de travail. De mon point de vue, la carrière du peintre martiniquais illustre parfaitement cette parole forte et de grande sagesse.
La peinture organise les couleurs en un ballet d’une incroyable symphonie qui comble nos sens et calme les prétentieuses poussées de la raison. Ce n’est pas dire qu’un peintre, ça ne raisonne pas. Qui ne se souvient en effet du résistant espagnol Goya? Je veux simplement dire qu’avant tout discours sur les sources du poète Laouchez, sur sa thématique, les supports dont il se sert ou sa technique, il importe d’aller tout de suite à l’essence de l’œuvre, c’est-à-dire aux couleurs qui la caractérisent d’une période à l’autre.
«Laouchez a su tirer de son âme antillaise, l’âpreté du ciel et de la terre d’Afrique: couleurs crues et matériaux austères, cendres et glaises noirs génipas et blanches coulées de kaolin, qui semblent directement transposés des masques» (in Simone Schwarz-Bart). Le poète lui-même nous fournit les raisons de ce lien si puissant l’unissant à l’Afrique éternelle, qui a, de son propre aveu, profondément marqué de son empreinte et son être intérieur et son œuvre, bien évidemment.
Dans l’interview qu’il a accordée à Jean Marie-Louise, il déclare en effet: «Concernant la tradition, la véritable gifle, signifiante et positive, c’est de l’Afrique que je l’ai reçue. C’est en Afrique que j’ai vraiment compris ce qu’était la tradition d’un peuple et que j’ai pris conscience de ce que pouvait être l’ancrage dans une tradition orale, dans un héritage historique et dans un espace géographique ( .. ). À partir de là, ma démarche plastique a complètement changé. Elle a connu une nouvelle naissance».
Des critiques d’art de renom et le poète lui-même ont insisté sur la place primordiale qu’occupe l’Afrique parmi les sources qui ont inspiré, nourri cette œuvre étonnante par la constance et la force avec lesquelles s’affirme son enracinement qui fonde son authenticité, sa spécificité donc et la rend reconnaissable entre mille autres œuvres.
À ce stade précis de notre réflexion, une question s’impose. Louis Laouchez doit-il tout à l’Afrique ? À l’Afrique seule ? Ici se signale en filigrane le problème du métissage culturel de l’Antillais en général, de notre poète martiniquais en particulier.
Nous répondrons à notre propre question par la négative: non, l’œuvre de Laouchez ne doit pas tout à l’Afrique; à l’Afrique seule. Ce serait céder à une opinion réductrice. Du reste, le poète avait lui-même, comme par anticipation, répondu à notre question. En effet, nous tenons de Maryse Condé l’information selon laquelle Louis Laouchez cite souvent le proverbe africain que voici : «Le bout de bois a beau demeurer dans Peau, il ne deviendra jamais caïman». Oui, on l’a dit bien souvent, ce poète a des racines africaines et son séjour en Côte d’Ivoire a éveillé en lui – qui y sommeillait – tout le trésor culturel de la source primordiale, celle à laquelle se sont abreuvés ses millions d’ancêtres d’avant «l’antique déchirure qu’évoquait Césaire dans Moi Laminaire».
Il ne faut pas l’oublier, Laouchez est d’abord et avant tout un Antillais, c’est-à-dire, comme le souligne avec raison Maryse Condé, à la croisée de mille chemins comme ce dieu Légba auquel un de ses tableaux rend hommage. D’ailleurs, n’est-ce pas cette antillanité qui le conduit, avec son éternel complice Serge Hélénon, à créer en 1970 l’école négro-caraïbe.
Comment ne pas comprendre tout le poids de cette parole? L’itinéraire que trace la romancière guadeloupéenne est tout à fait l’inverse de celui qui donna son nom au «Commerce triangulaire» cause de «l’antique déchirure». Au commencement, il y avait le tracé du cruel «voyage sans retour»: Afrique, Europe, Amérique. Depuis, les siècles et les luttes de résistance sans nombre ont refait la face du monde et de l’Afrique-Mère et engagé dans un irrésistible élan de libération et de renaissance notre peuple, qui se déploie du Brésil aux Caraïbes en passant par la Colombie et les États-Unis. C’est bien cette épopée-là que bâtissent et célèbrent, depuis les rois du Blues, du Gospel et du Merengué, depuis la tempête du jazz qui continue de balayer le monde, poètes et politiciens dont Laouchez n’est pas le moindre des chevaliers.
L’œuvre artistique de Louis Laouchez est grande et je suis vraiment fier de savoir que c’est dans notre pays à tous deux, la Côte d’Ivoire qu’il a fait ses premiers pas de géant des arts plastiques.
Pr Bernard ZADI ZAOUROU de l’Université d’Abidjan-Cocody Abidjan, Octobre 2008
Joëlle Busca et Jean Marie-Louise
25 x 32 cm / Relié sous jaquette
208 pages / 150 reproductions en couleurs
ISBN 9782357200036
45.00 €
19/10/2009