— Par Roland Sabra —
Après une magnifique Antigone qui a enthousiasmé le public martiniquais la semaine dernière, l’Atrium nous offre, Vendredi 14 et Samedi 15 mai , « Sizwe Banzi est mort » dans une mise en scène du légendaire Peter Brook. La pièce écrite au début des années 70 par des auteurs sud-africains appartient à ce qu’on appelle le Théâtre des Townships. Issu des ghettos ce théâtre de par son existence même était un défi politique au régime de l’Apartheid puisque celui-ci avait interdit le théâtre aux populations noires.
Il s’agit d’un théâtre de l’urgence, de l’immédiateté qui a pour objectif de récupérer sur les lieux mêmes du crime raciste une parole que l’on voulait muette. Si le contenu est fortement social, quelques fois politique il n’est jamais militant. On y traite du chômage, des problèmes de l’éducation, de la violence dans la rue et dans la famille, de l’emprise de l’alcool, de la condition de la femme et – tout récemment – du sida. Il s’agit d’un théâtre complet qui sollicite l’intellect du comédien mais qui n’oublie pas de convoquer, de solliciter son corps sur la scène.
Deux personnages donc. Sizwe Banzi arrive chez Styles photographe pour faire de faux papiers afin de pouvoir travailler. Il doit renoncer à son nom, à son identité et endosser celle d’un autre. C’est l’histoire de cette déchirure qui est nous contée. Le rôle du photographe est tenu par un sublime comédien malien, Habib Dembélé qui interprète avec talent inouï, tout un ensemble de personnages souvent drôles, car l’humour est la politesse du désespoir, mais toujours touchants, à l’aide de quelques objets dérisoires, –un cintre devient un téléphone, un portant à vêtement sur roulette devient une porte, une canne devient un clavier de piano. La maturité et l’aisance du comédien sont impressionnantes, il joue avec les retardataires, les interpelle comme le griot le fait à l’égard du public, improvise par moments quand les accessoires viennent à lui manquer. Un autre Dembélé ( Kariba Dembélé ) dans le rôle de Sizwe Banzi incarne un paysan illettré, pataud, à peine dégrossi qui accentue le contraste avec Styles devenu entre temps Bantou. A la création de la pièce à Avignon il ya quatre ans de cela c’était Pitcho Womba Konga, musicien de rap et comédien congolais qui tenait le rôle de Sziwe Banzi. Les deux versions se tiennent. Kariba Dembélé accentue juste les différences et les incompréhensions entre l’homme de la ville et l’homme des champs. Sa stature, sa haute taille soulignent de façon paradoxale la fragilité du personnage dans un environnement étranger et hostile au premier abord.
La mise en scène de Peter Brook porte la touche du travail habituel de cet immense metteur en scène, dépouillée, économe de moyens, elle est en ce sens totalement respectueuse et fidèle aux conditions de naissance de ce théâtre de la survie. Elle a d’emblée une haute portée symbolique, car l’actualité de ce théâtre est toujours vive comme en témoigne la situation, ici en Martinique, mais ailleurs aussi, hélas! des Sans-papiers.
Le lecteur l’aura compris, la soirée était belle, illuminée par le talent et l’intelligence.
Roland Sabra le 16/05/10 à Fort-de-France