Par Selim Lander. Un cinéaste autrichien d’origine kurde a filmé à Vienne un huis-clos dont on ne sort pas tout-à-fait indemne. Son héroïne, la jeune Ayse, a tout en effet de l’héroïne tragique. Courageuse, vertueuse, belle, elle semble avoir tout pour réussir sa vie mais le destin qui l’entraîne est le plus fort, qui la conduira de Charybde en Scylla, même si la fin de son histoire demeure incertaine. Mariée pour la forme, en Turquie, à un beau jeune homme, Hasan, elle sait qu’en réalité elle est appelée à devenir la seconde épouse de Mustafa, le père d’Hasan (un moyen de détourner la prohibition de la polygamie). Derrière ces manigances, la mère, Fatma, première femme donc de Mustafa, laquelle, atteinte d’un cancer, a voulu une épouse de substitution pour son mari et, pour ses enfants, une mère. Il ne faut surtout pas dévoiler les détails de l’histoire mais l’on peut néanmoins révéler que Ayse verra deux fois l’espoir se lever, après la mort du père, puis quand elle commencera à travailler à l’extérieur, échappant ainsi à l’atmosphère étouffante de l’appartement où est filmée la plus grande partie de l’histoire. Espoir hélas à chaque fois déçu.
Umut Dag a magistralement réalisé ce premier film. La direction d’acteurs est étonnante. La mère (Nihal Koldas), faussement aimante mais sujette aux colères dévastatrices ; ses deux filles enfermées dans la haine de l’étrangère ; le père (Vedat Erincin), marié malgré lui, attendrissant au contraire dans ses efforts pour se montrer gentil avec la jeune femme qui lui est tombée sur les bras ; le fils (Murathan Muslu) qui ne sait comment se comporter avec sa fausse épouse ; plus quelques autres personnages dont un vendeur de supermarché auquel on doit les seuls moments de sensualité du film.
Quant à la comédienne qui joue Ayse (Begüm Akkaya), elle est tout simplement sublime : elle exprime à la perfection la naïveté de ces « bonnes personnes » qui ne cherchent qu’à faire plaisir ; aussi son chagrin et ses larmes apparaissent-ils d’autant plus sincères quand elle se voit incomprise et rejetée. Bref, un grand film ! Ce qui prouve à nouveau qu’il n’est pas nécessaire de mobiliser de gros moyens pour faire du (très) bon cinéma.
Au CMAC de Fort-de-France, les 15 et 22 janvier 2013.
On n’en dira pas autant du film La Playa de Juan Andrès Arango. Il s’agit d’un de ces innombrables « films de rues », c’est-à-dire centrés sur de jeunes voyous qui traînent dans les rues (ici celles de Bogota). La photo est à peu près aussi indigente que l’histoire et les personnages. Le principal protagoniste (si tant est que ce mot soit justifié ici) aspire à devenir coiffeur et se montre très préoccupé par la nécessité de se procurer un rasoir. « Rasoir » de mauvais augure pour l’intérêt suscité par cette Playa. Enfin, il en faut pour tous les goûts, dit-on. En l’occurrence, tous les spectateurs de ce film ne portaient pas un jugement aussi sévère que nous-même.
Au CMAC de Fort-de-France, les 15 et 19 janvier 2013.