— Tribune de Marcel Sellaye et Max Rustal pour le GRS —
Le GRS soutient la courageuse lutte menée par les salarié-e-s de la SME et leurs organisations. Cette lutte est exemplaire à plus d’un titre. Elle a fait écrire noir sur blanc l’obligation pour la SME de mettre fin aux violations du droit du travail sur des questions aussi élémentaires que celles des locaux de syndicats et des instances et des règles de sécurité (danger pour la vie des salariés du travail isolé interdit). Elle a fait acter l’obligation d’un débat sur l’antillanisation des cadres, sujet dont les premières évocations dans l’entreprise sont récentes. Elle a inscrit l’engagement d’appliquer des accords déjà signés et jamais respectés⋅ En réclamant une augmentation convenable et égale pour tous, en la basant sur « la masse salariale totale », l’intersyndicale a surpris la direction qui n’a cessé d’expliquer, bien entendu, que tout ça est compliqué quand on compare aux augmentations en pourcentages plus favorables aux plus hauts salaires.
À la SME, la culture des inégalités, on connait, on aime, on s’y accroche⋅ Ainsi les « cadres détachés » qui s’en sortent avec la bagatelle de 200 à 250 mille euros annuels, à quoi il faut ajouter les logements cossus, les voitures de fonction, le carburant et autres gratuités, les voyages (budget annuel qui peut attendre 3 00 000€ pour une petite poignée d’heureux élus « expatriés » – sic – venus de France) et jusque, cela est arrivé, … le mobilier déménagé avec les effets personnels au départ de l’eldorado. Tout cela est tabou, intouchable ! Ces avantages sont sans équivalent avec ce que vivent les cadres de la Lyonnaise dans la Creuse ou à Trifouillis-les-Oies. Et pas question bien sûr de comparer ces largesses avec le sort des nombreux salariés passant d’intérim en C.D.D. sur des années avant d’être remerciés et remplacés ou triés pour faire parti du sérail. En attendant pendant que des salariés souffrent de problèmes de colonne vertébrale, les « cadres expatriés » se la coulent douce au « pays des revenants » et envisagent l’avenir avec optimisme !
Le premier mérite de la grève a été de jeter une lumière crue sur la réalité de cet appendice de Multinationale (Lyonnaise des Eaux/Suez dont l’exploitation de la filière eau n’est que l’une des activités). Et d’après les chiffres remis aux syndicats par la Direction, les bienheureux cadres ont été augmentés de 44% entre 2008 et 2013 et de 6,63% pour 2012/2013 seulement ! Ce qui n’empêche pas certains de s’émouvoir devant les primes des salariés admis au statut permanent …
Il est curieux que les élus politiques sans lesquels la SME n’aurait eu aucun marché, n’aient jamais questionné publiquement le système, exigé un regard critique sur la politique générale de l’entreprise, une manière de bilan social donnant la parole aux différentes parties en cause. Pas la moindre réaction au vu de l’augmentation régulière du poste « domiciliation », qui n’est autre que la sournoise désignation de la somme versée par la SME à la société mère. De 644 020 € en 2009, cette rançon est carrément passée à 1 000 000€ en 2013, soit 35,6% d’augmentation sans que – à notre connaissance – cela ne suscite l’intérêt d’aucun élu !
Pour la SME, la chasse aux coûts est une priorité de gestion, pas tous bien sûr : ses managers formatés pour la tâche n’acceptent pas par exemple de lâcher quelques subsides aux artisans du pays. Systématiquement, ils ont supprimé tout ce qu’ils pouvaient comme recours aux petites entreprises locales en les mettant en concurrence mortifère avec les celles de France ! Et tout cela à bas bruits, sans nulle protestation de nos responsables !
En quelques semaines, les salariés ont été reçus par bien des Politiques : la présidente du Conseil général, le Président du Conseil régional, le maire du Diamant, président du SICSM (syndicat intercommunal des communes du Sud qui a la responsabilité de la gestion de l’eau), le député Alfred Marie-Jeanne, la conseillère de la ministre des colonies. Ici ou là, oreilles attentives, propos bienveillants, voire soutien verbal appuyé. Mais aucun n’a rué publiquement dans les brancards, n’a appelé le peuple à soutenir les grévistes et surtout n’a osé remettre en cause l’organisation par laquelle l’eau de la Martinique est l’objet d’un enrichissement de quelques uns sans que le plus grand nombre soit réellement satisfait d’un service trop souvent défaillant. Aucun n’a évoqué dans les médias le fait curieux qu’une seule proposition a répondu à l’appel d’offre lancé pour le marché des Eaux du sud. N’est-ce pas étrange ?
Pourtant il n’y a pas de meilleur moment pour poser ces questions : le passage éclair du Président des filiales Outre-mer, le sieur Didier Valon a permis de sonder l’arrogance et de pointer les contradictions. À peine débarqué, il a fait le choix de l’insulte et la désinformation. Voulant jeter le discrédit sur le mouvement, il accuse froidement les grévistes d’avoir asphyxié l’hôpital du Marin, alors qu’il est connu et re-connu que cette gravissime coupure d’eau est due à l’intervention intempestive des fameux cadres dont nous payons si cher la soi-disant expertise. Prétention qui fait bien rire les salariés ne sachant que trop à quel point ils sont souvent les bouées de secours de leurs supérieurs hiérarchiques ! Malgré les avertissements fermes de l’Intersyndicale, le sieur Valon a persévéré diaboliquement en menaçant les travailleurs de faire intervenir la gendarmerie en cas de grève, propos bienvenus pour faire gagner à la mobilisation quelques grévistes supplémentaires. Avec son staff, il s’entête maintenant à refuser l’application d’un accord qui vient à peine d’être signé suite à la grève, en respectant la signification évidente de chacun de ses mots. Cette ignorance crasse de l’idiosyncrasie du peuple martiniquais, (ignorance étrangement partagée par une Directrice des ressources humaines expliquant à voix basse que les salariés n’auraient jamais ce qu’ils avaient signé) s’est accompagnée de propos totalement incohérents : d’un côté il s’affirme adepte de la religion du service public, de l’autre il déclare sans fard qu’il n’hésitera pas à dégager la SME de la Martinique si les profits ne sont pas suffisants. La seule réponse digne tient en un seul mot : chiche !
Ce mot, c’est aux élus de le prononcer car ils ont les moyens de le réaliser sans attendre l’Indépendance, la révolution, le socialisme, etc. Dans un brochure de 2010 rappelée dans notre « Manifeste pour la nouvelle période », nous revendiquons : « Expulsion du Capital de la gestion de l’eau et ceci au profit d’une régie unique sous le contrôle des travailleurs et de la population ».
C’est le moment de faire le saut, celui de la responsabilité vraie ! Si l’on veut sauver le personnel des burn-out, du harcèlement moral (combien d’affaires sont ou devraient être devant les tribunaux !), de la pwofitasyon ; si on veut remettre en cause les privilèges scandaleux de certains sur le dos des autres, antillaniser les cadres avec la compétence et l’éthique qui s’imposent ; si on veut garantir de vrais emplois, diminuer le pillage du pays par des groupes assoiffés d’argent, les élus concernés doivent pour une fois faire preuve de courage politique. C’est l’heure de renoncer à quelques misérables avantages et mettre aux postes de commande les intérêts des travailleurs et des usagers du service public. C’est beaucoup leur demander ? Ce ne sera qu’une petite affaire si la population prend la parole, l’exige, se mobilise en commençant par soutenir des grévistes qui dans l’affaire ne se battent pas pour eux-seuls, mais pour le respect et la dignité martiniquaise !
Marcel Sellaye & Max Rustal pour le GRS