Par Noémie Luciani
D’un village de pêcheurs près de Dakar part une pirogue. A son bord, un capitaine improvisé, Baye Laye, et une trentaine d’hommes déterminés à rejoindre l’Espagne. Peu d’entre eux ont conscience des dangers du voyage, et certains n’ont même jamais vu la mer… Les heures et les jours passent. D’une vague à l’autre, les rêves perdent de leurs couleurs, la bonne humeur s’inquiète. Les sourires s’estompent sous les regards méfiants.
Ce n’est pas dans sa manière de dire l’histoire que La Pirogue cherche à surprendre. Lisiblement enchaînées les uns aux autres, les péripéties se succèdent et s’accumulent, inévitables, dans la trajectoire d’un destin. Celui que nous suivons, Baye Laye, est parti presque malgré lui, comme le Maximus de Ridley Scott, dans Gladiator. A ses côtés, nous portons un oeil un peu décentré sur les choses. Le temps et la distance du jugement nous sont laissés.
Peinte avec une rigueur documentaire, cette fiction nourrie d’un réel inquiétant est racontée avec une pudeur sans naïveté qui étonne, tant on s’attend à sentir l’urgence de dire, qui excuse tant de maladresses.
Point de tout cela : modération, justesse, nuances, dès cette première scène de lutte où se mélangent sans heurts modernité et folklore. Les combattants s’arrosent de différents liquides exigés par la coutume à l’aide de bouteilles en plastique. Les spectateurs les encouragent en chantant et en tapant des mains. Ils portent des vêtements traditionnels ou contemporains, négligent parfois le spectacle pour consulter un téléphone portable. Qui peut définir cette réalité, circonscrire ses limites ? Séparer ce qui vient d’ailleurs de ce qui vient d’ici, celui qui reste de celui qui part ?
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Le Monde.fr | 16.10.2012