Bilan du Festival d’Avignon en forme de promesses

— Par Jean-Pierre Han —
avignon-2014Le Rêve d’Olivier Py – diriger avec l’éclat qu’il mérite le Festival d’Avignon-, sur le point de devenir réalité en juillet dernier, a failli tourner au cauchemarr. La faute à une « petite affaire » négligée de puis des lustres, ou plutôt amendée en prévison d’une future disparition, refilée d’un gouvernement à l’autre de droite comme de « gauche » comme une patate chaude, et qui, bien sûr, n’a pu que susciter les vifs mouvements de protestation que l’on sait. Il s’agit, on l’aura deviné, du régime des intermittents du spectacle. Affolement et colmatage à la va-vite des « responsables » politiques qui ont fini, sans bouger d’un iota de leurs décisons, par nommer une commision ad hoc composée d’Hortense Archambault, ancienne codirectrice du Festval, Jean-Denis Combrexel, ancien directeur général du travail, et Jean-Patrick Gille, député PS, nommé pâr le gouvernement médiateur dans le conflit. Le groupe doit rendre ses premières conclusions avant la fin de l’année; l’une de ses premières décisions étant de sursoir à ses travaux durant le mois d’août pour cause de vacances !

La faute aussi, en ce qui concerne le rêve virant au cauchemar, au… ciel, en qui Olivier Py a toujours affi rmé croire, et qui, pour l’occasion, et pour contredire son souhait, redevint « autoritaire ». Bref, des trombes d’eau vinrent perturber les premières représentations de la nouvelle édition du Festival, dont on se demandait légitimement s’il aurait vraiment lieu et qui, au moment de son diffi cile démarrage, se voyait pour ainsi dire puni par des éléments dits naturels. À partir de là on comprend aisément que dans sa conférence de presse fi nale Olivier Py ait pu se féliciter du bon déroulement des opérations, même si le « manque à gagner » n’est pas négligeable et risque d’obérer les prochaines éditions du Festival. Pour le reste il s’agissait pour le nouveau directeur (le premier à être également metteur en scène depuis Jean Vilar) d’imprimer sa marque. Et pour se faire redessiner spatialement les lieux, non pas des représentations, c’eût été mission impossible, mais de déambulations dans la cité papale et de rencontres. Car, ce fut dit, il s’agissait de redonner la parole au public (pour autant qu’elle l’avait perdue). Le centre névralgique du Festival commença à glisser du cloître Saint-Louis vers le site Louis-Pasteur de l’université. Décentrement qui en perdit plus d’un, bousculant les habitudes de tous. Tant mieux. Pour ce qui concerne la programmation proprement dite, on aura assisté à de véritables infl échissements plus qu’à des changements radicaux, retrouvant même l’un des « chouchous » de l’équipe de direction précédente, Thomas Ostermeier, ou encore Claude Régy dans un registre particulier, celui d’une mise en scène d’une pièce de Maeterlinck (Intérieur) avec des acteurs japonais, mais il est vrai que cette fois-ci prééminence fut donnée au théâtre dit de texte. On ne voit pas comment il aurait pu en être autrement avec Olivier Py, poète et dramaturge qui nous off rit donc à la FabricA un somptueux Orlando ou l’impatience de près de quatre heures, véritable manifeste de son art théâtral, de son art de vie tout simplement, que malheureusement nombre de spectateurs professionnels trouvèrent trop long et répétitif, mais malgré tout réussi. À partir de là, concernant une oeuvre très personnelle et intime comme celle de Py, on peut se poser la question de sa longueur et de l’ennui qu’elle serait censée distiller si elle ne correspond pas à notre propre capacité à épouser sa durée. Se pose, à mes yeux tout au moins, la question de la légitimité du créateur de choisir sa propre logique et la propre durée de sa création. En tout cas, long ou pas, Orlando ou l’impatience lançait véritablement le Festival, que le Prince de Hombourg, de Kleist, mis en scène par Giorgio Barberio Corsetti en ouverture du Festival dans la cour d’Honneur – première annulée pour cause de grève, troisième interrompue pour cause d’averse, etc.– n’avait pas été capable d’assumer. Pour le reste, rien de véritablement révolutionnaire ; le Festival se déroula au fi l des jours et des nuits cahincaha avec ses hauts – le Mahabharata-Nalacharitam, du Japonais Satoshi Miyagi, donné dans la carrière de Boulbon, et dont j’avais dit ici même qu’il ferait un tabac lors de ce Festival, l’ayant apprécié dans son pays natal, Le Sorelle Macaluso, de la Sicilienne Emma Dante – et ses bas, Falstafe, de Novarina, vu par Lazare Herson-Macarel, Dire ce qu’on ne pense pas dans des langues qu’on ne parle pas, de Bernardo Carvalho, mis en scène par Antonio Araujo. Rien de franchement bien particulier, pas même le début de polémique virant carrément au lynchage médiatique concernant un spectacle qui cumulait tous les défauts : annoncée devoir durer trois heures, la représentation s’étirait sur cinq heures ! Il était signé par une jeune femme nouvellement nommée à la tête du Centre dramatique national de la Commune à Aubervilliers, ce qui déjà ne plaisait pas à tout le monde. Marie-José Malis, c’est d’elle qu’il s’agit, présente en outre le défaut d’être une intellectuelle brillante, passée par Normale sup (tous les articles incriminant son spectacle le stipulent), et travaille avec Alain Badiou. Son Hyperion, de Hölderlin, fut donc décrié (le mot est faible) avec acharnement, ce qui, même si en l’état actuel des choses il ne fonctionne pas vraiment, est totalement injuste. D’ailleurs au fil des représentations, la tendance de la réception du spectacle commença à s’inverser. L’autre question que pose ce spectacle est de savoir quel public le Festival tente de toucher. À l’évidence celui visé par Marie-José Malis ne correspond pas vraiment à un public festivalier en demande de réjouissances bien plus légères, et l’on se pâmera bien plus volontiers aux dix-huit heures d’Henry VI, de Shakespeare (que je n’ai pas vu, m’étant arrêté aux deux heures trente de la première partie donnés en cours de saison aux Gémeaux de Sceaux), conçu comme une suite de séries de télévision, selon les propos du metteur en scène, Thomas Jolly, en dehors également du côté performance sportive de la durée. Le spectacle de Marie-José Malis doit faire l’ouverture du Théâtre de la Commune d’Aubervilliers à la fin de ce mois. Retravaillé et resserré, on souhaite vivement qu’il trouve son public : l’enjeu est de taille et nous restons dans l’accompagnement attentif de la démarche de la nouvelle équipe que dirige Marie-José Malis.

Ce n’est pratiquement qu’au bout d’une bonne dizaine de jours que le Festival nouvelle version sembla enfin trouver son rythme de croisière, les intentions d’Olivier Py se faisant plus nettement jour. Avec enfin de bons spectacles, ceux des Néerlandais Ivo van Hove (The Fountainhead) et Josse de Pauw (Huis) remettant au goût du jour le dramaturge Michel de Ghelderode, tombé dans l’oubli, ou encore celui de la Roumaine Gianina Carbunariu, Solitaritate, tous dans des recherches de formes en accord avec notre temps, le plus souvent dans des thématiques tournant autour du thème de la mort. L’une des autres thématiques sur lesquelles Olivier Py voulait absolument mettre l’accent dans sa programmation concerne le (ou la) politique. Sur ce plan autant dire que nous fûmes très loin du compte. Peu audible avec le texte de Bernardo Carvalho (Dire ce qu’on ne pense pas…) à cause d’un travail scénique nous renvoyant à du vieux théâtre des années 1970, vu et revu mille et une fois, ce qui se dégageait dans le spectacle de danse de Robyn Orlin, At the Same Time we Were Pointing a Finger at You… était tout simplement insupportable dans sa forme populiste, alors que le très attendu La Imaginacion del futuro, du Chilien Larco Layera, faisant de Salvador Allende une marionnette responsable de la dictature de Pinochet rejoignait curieusement dans sa forme même le propos de la chorégraphe sud-africaine… Pour aussi contestables que furent ces spectacles auquel on peut ajouter Vitrioli, du Grec Yannis Mavritsakis, mis en scène dans un inutile tapage par Olivier Py lui-même, le désir d’aborder le politique, tout comme la volonté d’être universel (accueil de l’Égyptien Hassan El Geretly et d’autres artistes du pourtour méditerranéen) sont à prendre en considération.

Nul doute que la mutation du Festival (avec notamment une programmation destinée au jeune public) est à suivre avec attention… Nous n’en avons eu, avec cette première édition, que les prémices.
Jean-Pierre Han

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