— Par Martine Sagaert —
« Ce que l’on peint est inexplicable. Tout est une question de climat, d’atùmosphère, de lumière, de mystère aussi. » C’est ce que Paul Delvaux, l’un des plus grands peintre figuratifs di XXe siècle, avait dit à mon père, dans l’entretien qu’il lui avait accordé, le 7 septembre 1973, dans sa maison du béguinage de Furnesi. L’artiste avait alors soixante-treize ans. Outre la peinture murale de la salle de jeu du d’Ostende, nous avions découvert ses oeuvres grâce aux aouvrages de Claude Spaak, Maurice Nadeau et Antoine Terrasse. L’exposition qui s’était tenue en 1972, -« Peintre de l’imaginaire, symboliste et surréalistes belges« , avait enrichi notre connaissance de Delvaux. Nous étions, en cet été, 1973, en vacances à Koksijde. C’est là, plus précisément à Saint-Idesbald, qu’en 1980 a été inaugurée la fondation Paul-Devaux et qu’en 1982 un musée lui a été consacré. Depuis, les hommages et rétrospectives se sont multipliés et ses oeuvres sont présentées partout dans le mopnde.
Récemment, à Marseille, dans l’exposition « Visages » à la Vieille Charité, Toutes les lumières (1962), oeuvre emblématique du peintre, aurait pu servir d’introduction à « Paul Delvaux, le rêveur éveillé », exposition qui se tient actuellement au musée Cantini. En une centaine d’oeuvres, pour la plupart des huiles sur toile, mais aussi des pièces graphiques (lithographies, encres de Chine, crayons, fusains) présentées sur près de 1 000 m2, selon un parcours thématique en six sections, nous pénétrons dans l’univers insolite d’un créateur, qui connut sa vie durant une telle joie de peindre, qui habitait si intensément son oeuvre que l’expression « fuir dans le tableau » semble faite pour lui.
Paul Delvaux (1897-1994) a très tôt envie de dessiner. Son père, l’avocat Jean Delvaux, et sa mère, Laure Jamotte, acceptent de l’inscrire à l’Académie des beaux-arts de Bruxelles. Très vite, il s’en écarte.
Il travaille d’après nature, sur le motif, notamment à Rouge-Cloître, dans la forêt de Soignes, au sud-est de Bruxelles, et il expose avec le groupe belge Le Sillon. Après cette période postimpressionniste, il est influencé par les expressionnistes flamands, James Ensor (à propos duquel il écrira une notice), Constant Permeke et Gustave de Smet. Datent de cette période le Couple (1931) ou la Dispute (1934). Dans la Vénus endormie (1932), les
grotesques couleurs terre, à l’arrière-plan, contrastent avec la jeune femme nue, allongée sur une étoffe lie-de-vin.
À la kermesse de Bruxelles, Delvaux découvre la collection du fameux Dr Spitzner, qui le marque durablement. C’est alors qu’il introduit les squelettes dans son « théâtre d’apparition ». Ensuite, l’exposition « Minotaure » au palais des
Beaux-Arts de Bruxelles, qui présente notamment des oeuvres de Giorgio de Chirico et Magritte, infléchit son parcours pictural (le Rêve, 1935). Dès 1936, il construit lentement son propre univers, né du rapprochement insolite d’objets, où l’architecture métallique des gares (il peint des trains depuis les années 1920) voisine avec les églises, les temples grecs et les aqueducs romains, où les lumières artificielles se juxtaposent aux flammes des lampes à pétrole et des bougies, où les frontières entre l’extérieur et l’intérieur sont abolies, où les jeunes filles aux seins de lait côtoient les dames en dentelles, où les vierges sages sont proches des courtisanes. De cet univers, où règnent les déesses, « femmes plus belles d’être semblables » (Éluard), les hommes sont le plus souvent absents. Le peintre (quelquefois représenté) est-il le seul initié, le seul à être admis dans le temple d’amour ? Le peintre (ou son double, Jules Verne, le visionnaire) est-il le seul à voir juste, à être en capacité de bâtir au-delà des apparences ?
Delvaux n’improvise pas. Il construit chaque oeuvre minutieusement (par étapes : croquis, esquisses, etc.), accordant une extrême importance aux détails.
Les objets sont fidèlement représentés (les trains, les maisons, les chapeaux, les drapés), mais il subvertit l’académisme non seulement par l’introduction d’éléments hétérogènes, mais par la multiplicité des perspectives, par les jeux de miroirs, les encadrements intérieurs, les jeux optiques. Ainsi naissent des oeuvres magistrales
comme Solitude (1955), les Ombres (1965), l’Acropole (1966), Chrysis (1967), Sérénité (1970) ou l’Ermitage (1973).
Le peintre Walter Vilain disait justement : « Paul Delvaux crée un drôle de silence. À l’intérieur de ces espaces, on laisserait tomber une pierre, elle ne ferait pas de bruit. » Monde imaginaire. Univers du mystère et de l’inquiétude,
univers angoissant de l’attente, univers érotique des rencontres potentielles.
Martine Sagaert
« Paul Delvaux, le rêveur éveillé »,
exposition au musée Cantini, du 7 juin au 21 septembre 2014 (réalisée en collaboration avec le musée d’Ixelles, Bruxelles, Belgique).
Paul Delvaux, le rêveur éveillé, catalogue d’exposition, textes de Georges Banu, Olivier Cousinou, Laura Neve, Régine Rémon, Baldine Saint Girons, Gaëtane Warzée.
Éditions Snoeck, 2014, 30 euros.
Voir aussi :
Fondation Paul-Delvaux, Saint-Idesbald, Belgique : http://www.delvauxmuseum.com
« Paul Delvaux dévoilé », exposition au musée d’Ixelles, Bruxelles, du 23 octobre 2014 au 18 janvier 2015.