— par Les défricheurs —
De quoi parle t-on ?
Du projet de décret concernant les rythmes scolaires pour l’école primaire (maternelle et élémentaire). Il s’inscrit dans le cadre de la loi sur la Refondation de l’école et en constitue l’un des premiers actes. Il faisait partie des propositions de campagne de François Hollande, et est actuellement porté par le Ministre de l’Éducation Nationale, Vincent Peillon. Son fondement est le suivant : « La réforme des rythmes scolaires poursuit en premier lieu un objectif pédagogique : la réussite des enfants à l’école primaire dépend pour une part essentielle des conditions dans lesquelles se déroulent leurs apprentissages. Or, depuis la mise en place de la semaine de quatre jours en 2008, les élèves français subissent des rythmes scolaires totalement inadaptés à leurs rythmes biologiques ».
La mesure phare du décret est de porter le nombre de jours travaillés dans la semaine de 4 à 4,5 jours soit 9 demi-journées, en allégeant le nombre d’heures de cours fondamentaux au profit d’activités éducatives l’après-midi (culture, sport, etc.). Les enfants iront donc à l’école le mercredi matin. Par dérogation, des établissements scolaires pourront néanmoins choisir le samedi matin. La réforme rentrera en vigueur à la rentrée 2013 et pourra s’étaler sur deux ans pour les communes en faisant la demande. Le Ministre de l’Éducation Nationale souhaite que plus de 50% des collectivités aient mis en place les nouveaux rythmes scolaires à la rentrée de septembre 2013.
Sur quelles données le décret s’appuie t-il ?
Le projet de décret se fonde sur trois types de données : un rapport de l’Académie Nationale de Médecine de 2010, une étude internationale ayant confirmé le déclassement de la France au niveau de l’apprentissage de la lecture en CM1, et enfin sur des expérimentations de semaines de 4,5 jours de cours, considérées comme concluantes, dans des villes françaises de taille moyenne et en milieu rural.
L’Académie Nationale de Médecine. Le Ministère reprend les arguments d’une partie des médecins et chronobiologistes de l’Académie : « Depuis la mise en place de la semaine de quatre jours en 2008, les écoliers français ont le nombre de jours d’école le plus faible des 34 pays de l’OCDE : 144 jours contre 187 jours en moyenne. Ils subissent de ce fait des journées plus longues et plus chargées que la plupart des autres élèves dans le monde. Selon les scientifiques spécialistes des rythmes de l’enfant, cette extrême concentration du temps est inadaptée et préjudiciable aux apprentissages. Elle est source de fatigue et de difficultés scolaires ».
Pour les chronobiologistes, un week-end de pause de deux jours altère la capacité de l’enfant à reprendre l’école le lundi matin, car ce dernier s’est en quelque sorte déconnecté de l’école et s’est souvent couché tard le samedi soir. Sa concentration n’est optimale qu’à partir du mardi à 12h. La coupure du mercredi rompe de nouveau le rythme, engendrant une nouvelle fatigue si les enfants se couchent tard le mardi soir. Aussi, « pour tenir compte des données biologiques, il faudrait une année scolaire de 180 à 200 jours (avec comme corollaire la réduction des grandes vacances), 4 – 6 h de travail par jour selon l’âge de l’élève, 4 jours et demi à 5 jours de classe par semaine en fonction des saisons ou des conditions locales ». Pour compenser un rythme plus important de fréquentation de l’école, il s’agirait de faire des journées plus légères sur le plan des apprentissages fondamentaux. En ce qui concerne l’étalement des rythmes annuels cette fois-ci, l’étude de 2012 préconisait le rythme de sept semaines travaillées et deux semaines de vacances et le raccourcissement des grandes vacances avec une période commune à toutes les académies allant du 13 juillet au 16 août. Ce sujet qui avait été abordé par V. Peillon après son entrée en fonction a été reportée, les « esprits n’étant pas encore mûrs ».
Le déclassement de la France.
Le décret s’appuie par ailleurs sur les résultats de l’enquête de PIRLS de 2011 (Progress in International Reading Literacy Study) qui a porté sur 45 pays, dont 4470 élèves français répartis dans 277 classes de CM1. Et « Cette étude révèle la situation dégradée de notre école : avec un score de 520 points, la France n’arrive qu’en 29e position sur 45 pays, en-deçà de la moyenne européenne, qui est de 534 points, pour ce qui est des performances en lecture des élèves de CM1. Autre constat particulièrement préoccupant : cette baisse de niveau n’est pas le fait des seuls élèves les plus en difficulté ; ce sont l’ensemble des écoles et l’ensemble des élèves qui enregistrent des résultats en recul par rapport à la moyenne européenne ». L’étude explique enfin que « les écoliers français souffrent plus que leurs camarades européens d’un manque de confiance en eux. Ils sont généralement à l’aise avec les questions à choix multiples de réponses mais s’abstiennent davantage que les autres de répondre lorsque les réponses doivent être rédigées. Ils sont également les plus nombreux à ne pas terminer les épreuves ». Il existe des évaluations équivalentes pour les mathématiques mais l’étude PIRLS mathématiques de 2011 ne concernait pas la France.
Des expérimentations concluantes de semaines de 4,5 jours. Le projet de réforme met enfin en avant des expérimentations concluantes. Notamment dans les villes de Brest, Angers ou encore Nevers, avec pour résultat : « des élèves moins fatigués et plus attentifs grâce à une plus grande régularité sur la semaine, des journées moins lourdes et un équilibre harmonieux entre apprentissages, activités sportives ou culturelles et temps de récupération ». Deux types de répartition des charges de travail en journées sont
mentionnés « à 15h30 des ateliers permettant aux enfants de prendre part à des activités sportives ou culturelles. Autre exemple, à Toulouse, les élèves travaillent le mercredi matin, sortent à 16h05 l’après-midi et sont accueillis après la classe dans des centres de loisirs associés à l’école qui leur proposent des activités diversifiées et encadrées ».
Le contenu du décret à ce stade
Au final le décret prévoit l’étalement des 24 heures d’enseignement hebdomadaire sur neuf demi-journées, incluant le mercredi matin ; une journée de classe de maximum 5 heures 30 et une demi-journée de maximum 3 heures 30 ; une pause méridienne de 1 heure 30 au minimum. « À titre d’exemple, l’ajout de 3 heures de classe le mercredi matin permettra d’alléger les autres journées en moyenne de 45 minutes» précise le projet. Enfin, les cours fondamentaux seront le matin et les activités périscolaires et éducatives l’après-midi. En ce qui concerne les modalités d’application selon les territoires, le projet précise : « Il ne s’agit pas d’imposer partout et à tous un modèle unique et rigide, mais de fixer un cadre national à l’intérieur duquel différentes déclinaisons locales seront possibles. Le décret relatif à l’aménagement du temps scolaire permet en effet de mettre en place une organisation de la semaine scolaire concertée et adaptée aux besoins et aux ressources des territoires (articles 4 et 5 du décret) ». Un dispositif de Projet Éducatif de Territoire (PET) est mis en avant pour concevoir ces nouveaux enseignements autour des collectivités et des acteurs locaux.
Quelle a été l’évolution du gouvernement autour de ce décret ?
Les avancées et reculades du Ministère de l’Éducation Nationale parfois soulignées par des observateurs, semblent au final anecdotiques. Ce qu’il est important de saisir, est l’idée maîtresse qui guide ce projet de réforme. Laquelle fut exprimée par le candidat François Hollande qui déclarait lors de sa campagne de 2012 : « Il faudra notamment revenir à une année scolaire plus ample et moins dense, c’est‐à‐dire à des semaines de travail réparties sur 5 jours, mais aussi rendre l’année scolaire moins compacte en l’allongeant d’au moins deux semaines et instaurer un rythme fondé sur l’équilibre de sept semaines de travail/deux semaines de repos. Je souhaite aussi moduler dans la mesure du possible le temps et le rythme scolaires en fonction de l’âge des élèves et des conditions locales présentes dans les territoires considérés ; prendre en compte le temps de transport et les possibilités de partenariats avec les collectivités territoriales pour la mise en place d’activités culturelles et sportives notamment ; laisser une marge d’autonomie aux établissements afin d’organiser le temps scolaire en fonction des conditions locales et des besoins des élèves ; enfin de systématiser l’usage des outils numériques pour organiser le travail personnel de l’élève et l’aide individualisée qui peut lui être apportée.». Le projet actuel y est fidèle, si ce n’est qu’il délie la réforme des rythmes hebdomadaires et celle des congés scolaires, qui pourra venir plus tard.
Qu’en pensent les enseignants ?
Les principaux syndicats d’enseignants se sont déclarés hostiles à la réforme en l’état. A ce stade, ils attendaient un projet plus ambitieux sur la revalorisation de leur métier et sur des questions de fond (les salaires, les effectifs de classe, les contenus et méthodes d’enseignement, etc.). Pour ces derniers réfléchir aux rythmes scolaires sans en passer d’abord par une refondation des programmes de 2008, jugés trop rigides et peu porteurs, et la question des conditions de travail, n’a pas de sens, même si beaucoup s’accordent sur le fait que les journées de travail sont actuellement trop chargées. Le CSE (Conseil Supérieur de l’Éducation), instance consultative constituée de membres de la communauté éducative a lui-même rejeté la réforme le 8 janvier dernier, attendant une série de précisions.
Le Ministre de l’Éducation Nationale a répondu aux enseignants qu’en ces temps de crises les salaires ne pourront pas être réévalués, mais que les journées seront allégées pour les enseignants, de nouveaux postes sont bien créés, un projet de formation professionnelle ambitieux est en cours. Enfin certaines tâches spécifiques comme le travail en équipe et la concertation entre l’élémentaire et le collège seraient encouragées et soutenues.
Les autres objections du corps enseignant sont relatives aux conditions d’application du décret. Les enseignants du primaire étant majoritairement des femmes, une demi-journée travaillée de plus peut entraîner des frais supplémentaires de transport, de garde. Une partie du corps enseignant s’interroge donc sur ce transfert de charges, sans réelle contrepartie. Enfin, les conditions d’intervention des animateurs sur des temps périscolaires allongés et des temps éducatifs les laissent sceptiques. Pour Sébastien Sihr, du Snuipp-FSU, principal syndicat du primaire, il s’agit d’un projet « incomplet, bricolé et insatisfaisant (…) je suis plus que dubitatif sur la mise en œuvre concrète sur le terrain. On renvoie aux collectivités locales pour la prise en charge des nouveaux temps, sans aucune garantie à ce jour d’un périscolaire gratuit de qualité pour tous ».
Pour finir, une crainte existe en ce qui concerne l’implication plus forte des collectivités territoriales dans le projet éducatif, autour des Projets éducatifs de territoire (PET ou PEDT). Une partie du corps enseignant se demande si ces dispositifs ne sont pas un Cheval de Troie permettant aux municipalités d’intervenir sur le contenu pédagogique, rompant alors la digue existant à ce jour entre les prérogatives de l’Éducation Nationale et celles des municipalités. Au-delà de ces craintes, ils y voient un danger de creuser les inégalités entre communes riches et pauvres. D’autres au contraire font remarquer que des inégalités existent déjà et mettent en avant des projets éducatifs locaux réussis (PEL) comme à Brest ou Épinal.
Qu’en pensent les parents ?
A ce jour le principal syndicat de parents d’élèves, la FCPE s’est prononcé en faveur de la réforme au niveau national et souhaite son application dès la rentrée 2013. Or dans certaines villes ou collectivités, les syndicats de parents d’élèves, y compris FCPE, se sont prononcés contre cette réforme. La situation n’est donc pas homogène.
Le sujet des rythmes scolaires s’avérant au final plus complexe qu’il n’y paraît, les parents ne saisissent pas toujours en quoi le fait de travailler une demi journée de plus permettra aux enfants d’être moins fatigués. Par ailleurs, les enfants inscrits à des activités périscolaires auxquelles ils tiennent devront y renoncer ou espérer qu’elles soient reprogrammées à d’autres moments. En revanche, pour d’autres parents ce changement de rythme est égal dans la mesure où leurs enfants passent déjà leur journée du mercredi au centre de loisir faute de possibilités personnelles de gardes. Le débat du côté des parents d’élèves se situe donc entre ceux
qui se trouvent être favorables à la réforme parce qu’ils sont convaincus par les arguments des médecins et du gouvernement et/ou que cela ne change pas grande chose dans leur organisation, et ceux qui se méfient de cette réforme et/ou n’y voient aucun intérêt substantiel, voire même des risques de dégradation de l’enseignement sur les temps périscolaires.
Qu’en pensent les municipalités ?
Depuis les premières lois de décentralisation, l’attribution des municipalités est de financer les biens (locaux, matériel) et le personnel n’appartenant pas à l’Éducation Nationale intervenant dans les écoles (animateurs, personnel de service, etc.). Les collectivités sont globalement favorables à la réforme, mais le décret aura un coût car ces dernières auront à leur charge 3 heures d’activités périscolaires en plus par semaine, ainsi que des frais de transports scolaires. L’AMF (Association des Maires de France) a obtenu le 11 janvier 2013 un report de l’examen du décret par l’Assemblée Nationale, ainsi que la réforme puisse être étalée sur deux ans en fonction des moyens des communes. L’État a alors annoncé une dotation de 250 millions d’euros aux collectivités (pour la première année seulement). Elle viserait en priorité les communes les moins bien dotées et celles appliquant la réforme dès la rentrée 2013. Ce qui pourrait impliquerait des levées d’impôts locaux supplémentaires dans les communes les plus riches, et notamment à Paris.
Qu’en pensent les enfants ?
Il ne semble pas que la question leur ait été posée à ce jour.
Il est encore difficile de voir le lien entre la question des rythmes et la loi de Refondation de l’école
C’est l’absence de lien entre la réforme des rythmes scolaires et le projet de réforme éducative dans son ensemble qui semble affaiblir en ce moment l’argumentation associée à sa mise en place effective. En l’absence de réponse précise quant aux fondements globaux de cette réforme des rythmes, chaque acteur impliqué en vient à spéculer : soit il s’agit d’un problème de communication, soit de stratégie de mise en place justifiée mais au fond maladroite, soit il trahit une absence de vision pédagogique, ce qui peut constituer la crainte légitime du corps enseignant à ce jour. Mais dans tous les cas initier la réforme éducative par la question des rythmes scolaires consiste a priori à prendre une question de fond, par un problème de forme, même si les thèses qui portent ces réformes ont leur pleine raison d’être.
En attendant, l’absence de lien évident entre ce décret et la réforme globale de l’éducation qui est en cours (projet Loi de Refondation de l’école), a semble t-il un effet contre-productif sur le dialogue social avec les enseignants, et les personnels municipaux concernés. La question qui est posée par la majorité des opposants, notamment enseignants, est au fond : « nous voulons bien changer les horaires, et nous lever le mercredi, mais à condition que cela ait du sens et que cela permette de faire avancer des sujets de fond, qu’il est temps de prendre en compte ». Certains craignent alors que le coût d’une « fatigue de société » liée à l’introduction « d’une réforme pour rien », pèse dans la balance et n’aide en rien les enfants, leur famille et le corps enseignant au final.
Les élèves français travaillent-ils plus ou moins qu’ailleurs ?
Le décret met en avant les arguments principaux de l’Académie Nationale de Médecine, à savoir que les écoliers français ont le nombre de jours d’école le plus faible des 34 pays de l’OCDE, soit 144 jours contre 187 en moyenne. « Ils subissent de ce fait des journées plus longues et plus chargées que la plupart des autres élèves dans le monde » (p.2 du dossier de presse). Il n’est rappelé que plus loin (p.4) que le nombre d’heures d’enseignements « s’élève à 864 heures par an contre 774 heures à 821 heures en moyenne – selon l’âge des écoliers – au sein de l’OCDE ».
Ces deux informations mises bout à bout induisent bel et bien le sujet de la réforme des rythmes. Chacun pensera : « si les années sont trop lourdes, autant étaler harmonieusement la charge de travail ». Mais sur le plan de la communication, en mettant plus l’accent sur l’une des deux informations, sans doute pour frapper l’imagination et simplifier la compréhension du sujet, deux types d’interprétations peuvent être sous-tendues : « les journées de travail de nos enfants sont trop chargées » et : «nos enfants ont trop de vacances ». Le sujet ne porte plus seulement sur la gestion des rythmes de travail, mais aussi sur celle des temps non scolaires, deux sujets parfaitement imbriqués, mais ayant chacun une amplitude politique et philosophique propre. Au final, il est difficile de trancher la question des rythmes et a fortiori le lien avec l’échec scolaire, sans en passer précisément par la question du réaménagement des enseignements et de leurs nouveaux contenus. Car la question qui reste en suspens est : « les enfants doivent travailler plus harmonieusement, certes, mais quelles matières ? et
dans quelles conditions ? ».
Le lien direct entre échec et rythmes scolaires insuffisamment étayé
L’objectif principal de la réforme est de « mieux apprendre et favoriser la réussite scolaire de tous ». L’étude de PIRLS qui fait apparaître un déclassement des élèves français de CM1 en lecture, est mise en avant, appuyée par des travaux de l’Institut Montaigne. Une telle corrélation peut induire que ce sont les rythmes scolaires actuels qui seraient responsables de la baisse de compétence des élèves. Or chacun pourra se dire en creux, que les causes sont sans doute multiples, profondes et historiques. Aussi ce déficit d’explication globale mais encore le fait que cette étude ne porte que sur la lecture en CM1 peut de facto affaiblir l’argumentation quant au fondement de cette réforme et explique qu’une grande partie du corps enseignant la juge à ce jour incomplète et bâclée.
On parle de temps « scolaire », « périscolaire », « éducatif », mais quelle différence ?
L’argument du Ministère de l’Éducation Nationale est de dire que grâce à la réforme, les enfants auront ainsi des journées moins lourdes. Or, les enfants du primaire continueront d’aller à l’école de 8h30 à 16h30 (hors étude). Cela créé de la confusion. Le Ministre précise alors que c’est le temps scolaire par jour qui va diminuer, alors que le temps éducatif et périscolaire va augmenter. A travers ce redéploiement, les parents profanes doivent comprendre que les temps scolaire, périscolaire et éducatif ne sont pas tout à fait la même chose. Par scolaire on entend : « le temps du programme scolaire incombant aux enseignants de l’éducation nationale », par périscolaire (la pause méridienne, le goûter et l’étude) et par temps éducatif tout ce qui est « hors enseignements fondamentaux, donc « plus léger » et pris en charge par les enseignants» et/ou les collectivités territoriales. Le temps éducatif est donc à ce jour un temps intermédiaire entre le scolaire et le périscolaire, dont le Ministre entend préciser les contenus possibles à travers les Projets Éducatifs Territoriaux qui se mettront en place. Le fait que son contenu et ses modalités de mise en œuvre ne soient pas encore réellement définis constitue le lieu de toutes les inquiétudes, des doutes, et du travail restant à entreprendre sur chaque territoire.
La question profonde de la revalorisation du statut d’enseignant
Si le sujet est en réalité plus complexe qu’il n’y paraît c’est aussi parce qu’il est sous-tendu par des questions bien plus fondamentales, que tout projet de Refondation ne peut que révéler. Le sujet le plus sensible de tous concerne peut être le corps enseignant du primaire. Au-delà des postures et des dogmes qui animent le débat public, cette réforme s’inscrit dans une époque où il se peut que le corps enseignant du primaire, et bien sûr du secondaire, vive une crise profonde, et peut-être historique. Rares sont les professions fondamentales ayant dévissé autant d’échelons depuis l’après-guerre dans l’échelle sociale et symbolique de la société. Être instituteur dans le pays d’agriculteurs et d’ouvriers qu’était la France il y a quelques décennies, c’était avoir en plus d’un statut, une sorte de mission, et cela créait des vocations. Être instituteur dans une France massivement urbaine, caractérisée d’un côté par des territoires qui affrontent de grandes difficultés sociales et de l’autre des territoires privilégiés avec des familles dont le niveau social est souvent plus élevé que celui de l’enseignant, engendre progressivement une fragilisation de la fonction d’enseignant. Au sentiment d’impuissance s’additionne donc celui d’être parfois déconsidéré. Pour peu que le gouvernement en place mais encore les élus locaux ne se sentent pas en empathie ou viscéralement concernés par ce sujet, c’est alors un « syndrome moderne de l’enseignant » aux multiples visages qui peut apparaître. Autour de ce décret, si le corps enseignant résiste, tient à marquer sa déception face aux prémices de cette nouvelle réforme, c’est qu’une partie de ce dernier espère encore un travail sur les fondamentaux, et c’est là sa vocation la plus légitime. Dans cette période de l’histoire, faire de la crise sociale et symbolique de l’enseignement une question subalterne, condamnerait tout porteur de réforme à s’aliéner les premiers concernés. C’est sans doute l’un des sens profond qu’il faut attribuer à la prise de position actuelle des enseignants contre ce décret. Que l’espoir suscité soit grand ou petit, le Ministre sera nécessairement attendu sur ce sujet.
Le temps non scolaire est aussi un sujet politique
Une partie des chronobiologistes préconise des rythmes plus légers mais réguliers, chaque jour, en semaine, et dans l’année, ce qui a pour conséquence, un allongement du nombre de jours de présence à l’école et un raccourcissement des vacances. Or, en filigrane de ce sujet, c’est une opposition tacite entre le temps de vie scolaire et le temps de vie privée de l’enfant qui est en jeu. Ce n’est évidemment pas le rôle des médecins de se prononcer sur le contenu de temps non scolaires des enfants. Mais ce sujet de l’harmonisation, qui touche l’organisation scolaire en profondeur, renvoie à deux positions extrêmes du côté des familles. D’un côté des parents ayant des possibilités et des moyens de garde restreints pour leurs enfants, et donc favorables à des semaines de 4,5 voire 5 jours et des grandes vacances raccourcies. Et de l’autre côté, des parents considérant que l’enfant peut s’épanouir au moins autant hors de l’école qu’à l’école, que plus l’école décide de ses rythmes biologiques et psychologiques moins il peut s’en détacher, s’aventurer vers tout ce que l’école ne lui apporte pas. C’est sans doute pourquoi le sujet du raccourcissement des grandes vacances, bien plus politique qu’il n’y paraît, a été reporté. Plusieurs moments dans l’histoire ont permis d’allonger les périodes de vacances et en particulier les vacances d’été : les périodes de moisson, où les enfants étaient rappelés à la terre, et le front populaire qui poussa les vacances d’été jusqu’au mois d’octobre pour que les ouvriers puissent profiter de leurs congés payés, considérés alors comme des moments d’émancipation et de liberté. L’histoire de l’organisation du temps scolaire montre donc que ce dernier est toujours renvoyé à un temps « non scolaire » qui dépasse en réalité le seul sujet des vacances.
Le projet éducatif territorial, véritable défi, et sans doute clé de la réforme
Le décret précise : « Un projet territorial d’éducation pourra être défini. Il associe les mairies, les conseils d’école, les associations et les administrations de l’État… Tous les partenaires seront impliqués. Les enfants finiront, en général, comme avant, à 16 h 30. L’accueil, le matin, restera le plus souvent sur la base générale de 8 h 30. La pause de midi doit être d’une heure et demi minimum. La responsabilité finale reviendra au directeur académique des services départementaux de l’Éducation nationale ».
Il s’agit du sujet le moins mis en lumière à ce stade du débat mais peut-être le plus fondamental en pratique. Car si l’allègement du rythme scolaire implique le développement d’activités artistiques, créatives et sportives sur le temps éducatif du midi et de l’aprèsmidi, encore faut-il que ces temps aient une portée, une nouvelle force pédagogique. Si ces personnels ne sont pas qualifiés et n’ont pas de moyens, alors cette réforme sera perçue par les enseignants et parents comme une étape de dévalorisation supplémentaire de l’école. Si au contraire ce temps éducatif est repensé avec ambition et inspiration, et donc avec les moyens associés, cette réforme des rythmes peut alors prendre tout son sens. Ceci suppose au-delà même des transferts de charges entre l’État et les collectivités, une réflexion de fond sur la participation des territoires au projet éducatif, sur le décloisonnement au sein de la communauté scolaire entre enseignants, personnels municipaux, parents, acteurs territoriaux, municipalité. La réforme semble justement inciter à cela mais les questions des moyens et des verrous culturels et humains à lever pour avancer réellement en ce sens, ne semblent pas encore posés, et ce tant que les acteurs locaux ne se sont pas appropriés le sujet.
Ce n’est donc pas tant le rythme scolaire qui est en jeu derrière le débat actuel, que la nécessité impérative d’innover sur le plan pédagogique au sein de ce nouveau temps « éducatif » qui fut engendré par le souci d’allègement des charges quotidiennes de cours. En marge de la question des rythmes, c’est le sujet du contenu et des modalités de mises en place des nouveaux temps éducatifs et périscolaires, qui apparaît de plus en plus comme étant le sujet clé, et déjà le lieu de questionnement commun de tous les acteurs concernés. On le retrouve dans les collectivités lorsqu’elles mettent l’accent sur les nouvelles charges qui leur incomberont (en moyen et sur le développement éducatif). Chez les enseignants lorsqu’ils mettent en garde contre une dégradation de l’enseignement par l’augmentation de temps éducatifs et périscolaires peu dotés et se demandent quelles seront les nouvelles modalités de collaboration avec les municipalités. Chez les parents, qui pointent du doigt l’enjeu du contenu et de la qualité de ces nouveaux temps éducatifs. Enfin, dans ses interventions publiques, le Ministre de l’Éducation Nationale déclare attendre beaucoup des Projets Éducatifs Territoriaux mais ne semble pas toujours compris à ce stade, lorsqu’il fonde tous ses espoirs sur ces derniers.
Pour que la question de la refonte des rythmes scolaires prenne tout son sens, pour que les trois questions fantômes reviennent progressivement au premier plan (la flamme de l’enseignement, l’articulation du temps scolaire et non scolaire et les enjeux de l’implication plus forte du territoire), il semble nécessaire de remettre le sujet en perspective à partir des contenus, des territoires et questions de fond. Or ces réflexions ne peuvent avoir lieu qu’au sein d’espaces de travail capables de rassembler les enseignants, animateurs, personnels scolaires, parents, acteurs locaux, municipalités, enfants. Ces nouvelles « cases » appelées « temps éducatifs » ou « nouveaux temps périscolaires » constitueraient l’un des fils d’Ariane de l’école de demain. Aussi, contrebalancer autant que possible le débat autour des nouveaux rythmes par celui autour des nouveaux contenus éducatifs, de leurs moyens et de leurs conditions d’applications, semble être l’impératif de ce début de projet de Refondation de l’école. Pour ne pas que son projet ne s’enlise, au détriment de tous. En outre, il est probable que l’école n’ait jamais pu se réinventer ailleurs que dans l’environnement éducatif le plus incarné qui soit, et le plus complet.
Ce document est un premier état des lieux sur la réforme des rythmes scolaires. Il s’adresse à toute personne encore profane souhaitant faire le point sur le sujet (mais de quoi qu’on parle?), et/ou réfléchir aux questions de fond qu’il pose à ce jour (bon mais bon mais alors?).
Ce document n’est pas parfait. Il donnera lieu à une suite en fonction de l’évolution du débat. C’est pourquoi si vous trouvez des erreurs, des imprécisions, des oublis ennuyeux. Par ailleurs, si vous avez des remarques, des prolongements à proposer, des idées pour construire des choses, envoyez un message à l’adresse suivante, et ce sera bien :
lesdefricheurs.contact@gmail.com *
Prochain document : « la situation parisienne dans le détail ».
document n°1 rédigé par Frank, parent d’élève Paris 10e,
supervisé par quelques défricheurs. * Les défricheurs est une association à vocation d’intérêt général, créée en 2012, dont le rôle est comme son nom l’indique de défricher tout territoire ou question de société un peu emmêlés, obscurs, ou enfouis sous des couches de roches historiques ou de nos environnements, d’apercevoir les choses qui gigotent encore au fond, et d’initier des projets expérimentaux sur ces bases un peu éclairées, avec tous ceux qui ont à voir avec le chmilblick.
Déclaration de campagne de François Hollande
http://www.jpa.asso.fr/imgs/mod_presse/120426143454_cp_rythmes_fholl ande.pdf
Interview du Ministre Vincent Peillon
http://www.ouest-france.fr/actu/actuDet_-Exclusif.-Vincent-Peillon-detaille-lasemaine-de-quatre-jours-et-demi_55257-2151508_actu.Htm
Rapport de la concertation Refondation de l’Ecole de la République http://www.refondonslecole.gouv.fr/la-demarche/rapport-de-laconcertation/
Site refondation de l’école
http://www.refondonslecole.gouv.fr/sujet/des-rythmes-educatifs-adaptes/
Dossier de presse de la réforme
http://www.jpa.asso.fr/imgs/mod_presse/120426143454_cp_rythmes_fhollande.p df
Rapport de l’académie des chronomédecins
http://www.academie-medecine.fr/detailPublication.cfm?idRub=26&idLigne=1768
Etude PIRLS 2011 sur la lecture chez les CM1
http://cache.media.education.gouv.fr/file/2012/68/0/DEPP-NI-2012-21-PIRLS2011-Etude-internationale-lecture-eleves-CM1_236680.pdf
Les travaux de l’Institut Montaigne
http://www.institutmontaigne.org/medias/documents/resume_echec_scolaire.pdf
Les nouveaux rythmes scolaires pour la Mairie de Paris
http://www.paris.fr/accueil/actualites-municipales/de-nouveaux-rythmes-pournos-enfants/rub_9656_actu_124662_port_23785
Le Faq de la FCPE (syndicat parents d’élèves)
http://www.fcpe75.org/pdf/2013-faq-reforme-rythme.pdf
Les infos du SNUipp-FSU (syndicat enseignant)
http://www.snuipp.fr/Le-SNUipp-FSU-vote-contre-un-texte
Dossier de presse l’AMF (association des maires de France)
http://www.amf.asso.fr/document/?DOC_N_ID=11637&GRT_N_ID=13
Un article sur le projet éducatif territorial
http://www.localtis.info/cs/ContentServer? pagename=Localtis/LOCActu/ArticleActualite&cid=1250264680458
Projet éducatif local à Brest
http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2012/12/19122012Article6349 14786761098036.aspx
L’avis de l’inamovible Philippe Merrieu
http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2013/01/08012013Article6349 32191090171137.aspx