10 chantiers pour une véritable politique culturelle de gauche

— Par Philippe Torreton  et Frédéric Hocquard —

liberte_metisse[…] Après deux années de mandat, François Hollande n’a toujours pas fait de la culture une ambition pour la France. Comment expliquer que la promesse de « sanctuariser » les crédits d’Etat ait conduit à un effritement du budget du ministère de la culture ? Pourquoi ne pas avoir développé un ambitieux plan pour l’éducation artistique et culturelle à la faveur de la réforme des rythmes scolaires ?

Pourquoi mettre en péril la capacité d’intervention des collectivités territoriales, qui ont permis un dynamisme de la vie culturelle, en réduisant leurs moyens et en proposant de supprimer cette « clause de compétence générale » qui leur permet d’agir au-delà de leurs compétences obligatoires ? Pourquoi les initiatives législatives envisagées pour la création artistique, le numérique ou le patrimoine sont-elles aussi peu ambitieuses et systématiquement reportées ? Pourquoi attendre qu’il y ait un conflit social pour ouvrir une concertation qui prenne en compte les propositions que les professionnels de la culture portent depuis plus de dix ans, et réfléchir à la place des artistes dans notre société ?

UNE AMBITION DÉMOCRATIQUE

Si l’on a préservé la diversité culturelle dans les négociations commerciales transatlantiques de l’Union européenne, tant reste à faire. Depuis trente ans, l’aménagement culturel a progressé, mais la démocratisation trop peu. Il est urgent de redonner une ambition démocratique à la culture en faisant un service public !

L’austérité qui se cache derrière la rigueur budgétaire ne peut être la seule mesure de l’action publique. Enrégimenter la culture, la marchandiser en en faisant un argument économique ou la contraindre à un splendide isolement : voilà les périls auxquels nous exposent autant les forces technocratiques que mercantiles, comme le Medef, qui trouvent trop souvent oreille au gouvernement. Si ce dernier n’inverse pas cette tendance, ce quinquennat risque d’être celui du divorce entre la culture et la gauche.

Il est maintenant urgent d’agir pour que la culture continue d’être ce formidable vecteur d’émancipation, d’émotion, d’éducation, de lien social. C’est pourquoi nous proposons d’ouvrir dix chantiers, dont certains viendraient traduire des engagements gouvernementaux.

1. Augmenter la part de la richesse créée que l’on consacre à la culture, aux niveaux national et local, en revenant au 1 % du budget consacré au ministère de la culture et en garantissant aux collectivités territoriales les marges d’action nécessaires.

2. Ouvrir une réflexion large sur le statut de l’artiste et adopter, enfin, une réforme efficace et juste du régime de l’intermittence, sur la base des propositions du comité de suivi.

3. Faire de la réforme territoriale une chance pour la culture en préservant la clause de compétence générale et les moyens donnés aux collectivités. Et instaurer des « conférences territoriales de la culture » rassemblant élus, citoyens, professionnels de la culture, qui permettront d’impulser des projets de coopération culturelle sur les territoires.

4. Faire de l’éducation artistique et culturelle un chantier prioritaire des ministères de l’éducation nationale et de la culture, doté de véritables moyens. Et pour inciter les artistes à intervenir dans les écoles, les rémunérer sur la base de cachet artistique.

5. Inventer de nouvelles formes de diffusion sur les territoires où manquent les équipements culturels, afin de garantir l’accès de tous au service public de la culture, notamment en travaillant avec les équipes artistiques sur des temps longs et en utilisant les ressources du numérique.

6. Proposer au niveau local et national de nouvelles formes d’organisation économique des activités culturelles.

7. Construire l’Europe de la culture en y relevant le défi du numérique, par une stratégie européenne de diffusion et de protection des oeuvres et des auteurs, pour lutter contre l’agressivité des multinationales nord-américaines.

8. Engager une réforme en profondeur de l’audiovisuel français, en conditionnant les aides publiques, et en investissant dans la création par des contributions nouvelles, comme celle des services communautaires du Web ou une taxe sur les appareils connectés.

9. Soutenir l’ouverture sur le monde en redonnant corps aux coopérations culturelles internationales, notamment à partir du réseau des alliances et des instituts français, et en inventant de nouveaux outils pour promouvoir la francophonie.

10. Inscrire ces objectifs dans les futures lois pour la création artistique, le patrimoine et le numérique qui, si elles doivent être des lois d’orientation et de programmation, devront être aussi suivies de mesures immédiates et concrètes.

Philippe Torreton (Comédien)

Frédéric Hocquard (Conseiller (PS) de Paris)

http://www.lemonde.fr/idees/article/2014/07/23/pour-une-veritable-politique-culturelle-de-gauche_4461746_3232.html