Par Roland Sabra
Edito du 17/12/2009
La situation n’était pas brillante mais d’un étiage de 19% d’intention de votes en septembre 2009 on arrivait fin novembre à 32% d’intention de votes en faveur du oui. Dans le même temps le Non s’étiolait doucement en passant de 53% à 49%. La progression du oui était lente mais continue. C’est cet élan qui semble aujourd’hui brisé. Le dernier sondage LH2 dom enregistre un score de 28 % pour le Oui soit une baisse en valeur absolue de 4 points de % ou de 12.5% en valeur relative. Cette baisse ne profite pas au camp du non qui stagne à 49%, incapable qu’il est lui aussi de faire campagne sur un projet, mais profite intégralement, si l’on peut dire aux indécis.. comme le suggère Rudy Rabathaly dans France-Antilles du 15-12-09 c’est très certainement le coup de gueule de M. Alfred Marie-Jeanne contre un professeur qui lui posait sereinement la question : « Pourquoi ne pouvez-vous pas rencontrer M; Letchimy pour trouver une solution à la reconstruction du lycée Schoelcher » qui a brisé ( momentanément?) la dynamique du oui. La violence exacerbée et les incivilités d’Alfred Marie-Jeanne avaient été confirmées le lendemain soir dans un meeting au Robert. A ce moment il s’en était de nouveau pris à ce professeur « venu d’ailleurs » et il se glorifiait en créole de l’avoir « envoyé chier et de l’avoir « renvoyé la queue entre les jambes« . La vulgarité et l’excès du propos en ont choqué plus d’un. Ces actes de violence ont été commis pendant la semaine de lutte contre les violences, et les pédagogues n’ont pas manqué de souligner l’exemple négatif d’un tel comportement vis à vis des jeunes dont ils ont l’éducation en charge. Les élèves eux-mêmes avaient été scandalisés.
Ce qui avait surtout choqué au-delà de la grossièreté c’étaient aussi les connotations xénophobes, l’insistance sur les « venus d’ailleurs« . Un psychanalyste s’interrogera sans doute sur la personnalité d’un homme qui renie ostensiblement sa propre part « venue d’ailleurs ». On connait la phrase de Lacan : » Ce qui perdure comme perte pure à ce qui parie du père au pire… ». Ce qui retient l’attention ici c’est la recherche de complicité avec des militants prêts à décoder les demi-mots du leader sur des thématiques pour le moins sulfureuses. Un peu comme Jean-Marie Le Pen. Le chef montre la voie, les sous-fifres s’y engagent sans nuance, comme l’a montré un élu de troisième rang au Conseil Régional le 14 décembre 2009. Les élèves étaient de nouveau « montés à La Région« , comme ils disent pour faire valoir leurs revendications à savoir : le maintien de la communauté du lycée Schoelcher la création d’un lycée de transit sur la zone de l’ancien hôpital civil en attendant que les politiciens se mettent d’accord sur la reconstruction des bâtiments. Ils sont arrivés en chantant mais ont vite déchanté. Daniel Marie Sainte avait convoqué par courrier électronique les gros bras du Mim et de ses alliés pour » défendre le Conseil Régional ». Et les gros bras étaient là. Remontés à souhait. Certains d’entre eux se sont mis à invectiver les élèves qui se sont vus signifier les propos xénophobes et racistes suivants : « Les Martiniquais ne devrait pas se faire manipuler par des professeurs blancs. » ( France-Antilles 15-12-09 p. 4). « Les élèves ont manipulés par des blancs mal coiffés et qui sentent.. » (RCI même jour). » Ces petits négrillons qui se laissent conduire par trois blancs » etc.
Deux choses retiennent dans ce discours : la manipulation et le racisme. La thématique de la manipulation d’élèves est presque aussi vieille que l’école, mais c’est bien mal connaître celle-ci que de s’imaginer qu’il suffit de dire aux élèves « Descendez dans la rue » pour qu’ils le fassent! Il faut avoir quitter l’école il y a bien longtemps pour croire qu’ils obéissent ainsi au doigt et à l’œil. La socialisation scolaire est depuis longtemps concurrencée par d’autres socialisations. Par celle des parents en premier lieu qui est toujours largement dominante, puis par celle des pairs et celle des médias qui n’est pas la moindre. Il y a surtout une sacrée dose de mépris que de s’adresser à un jeune et de lui dire : » tu es manipulé« . C’est nier sa capacité de réflexion, son intelligence et le faire demeurer indéfiniment dans le statut d' »infans« , c’est-à-dire étymologiquement de celui qui n’a pas droit à la parole. Le racisme, celui des « odeurs », c’est-à dire ceux qu’on ne peux pas sentir, à été actualisé il y a quelques années de cela par un ancien Président de la République. Le Conseiller Régional martiniquais qui a usé de cette formule ne fait que dire tout haut ce que le Chef incite à dire quand il stigmatise les « non-natifs-natals« . Les élèves indignés sont allés dés le lendemain à la rencontre des professeurs en leur demandant de porter plainte!
Quoi qu’il en soit la sanction risque de venir là encore de l’électorat. auquel cas il faudrait bien se résoudre à constater que le principal obstacle à la percée, à la victoire du oui réside dans la personnalité même du chef de camp des soixante-quatorzistes! Ce que nombre de Martiniquais formulent en disant que tout en étant d’accord en théorie avec le passage à l’article 74, l’état d’irresponsabilité de la classe politique martiniquaise, à l’image de la classe politique française dont elle est sinon l’émanation tout au moins le reflet, ils ne peuvent en l’état actuel des choses que dire non le 10 janvier. On aura beau leur expliquer que la classe politique peut changer, que son irresponsabilité n’est qu’un épiphénomène, et que le choix institutionnel doit dépasser cet immédiat, ce factuel il y a de grandes chances qu’ils restent sourds à ce type d’arguments. La personnalité d’AMJ, le mode de commandement dont il use et abuse, les inquiétudes qu’il génère quant à la réalité de son ancrage démocratique, l’insécurité psychologique qu’il entretient autour de ses foucades autoritaristes, sa conception personnelle du pouvoir, attisent les craintes à la veille d’une consultation importante pour l’avenir du pays. On aurait aimé que les partisans du oui aient une attitude du genre « force tranquille », une attitude qui rassure la population au lieu de laisser poindre la menace d’un aventurisme politique. On n’invite pas la population à un changement en créant autour d’elle un climat d’insécurité. Les soixante-treizistes n’ont même pas à faire campagne : ils leur suffit de laisser leurs adversaires sur le devant de la scène discréditer la cause pour laquelle ils prétendent s’engager.
Si le débat autour de la survie du Lycée Schoelcher parasite la campagne sur le changement institutionnel, il faut que nos politiques soient de bien piètres stratèges pour s’être laissés enfermer dans une telle nasse.
Roland Sabra le 15/12/09