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Par Roland Sabra
Edito du 13-XII-07
Tout est affaire de langage. Certes! Mais ce qui nous intéresse ici c’est la façon concrète dont cette faculté humaine est mise en œuvre dans une langue. Une langue commune est un facteur de construction de l’identité nationale, et l’on a vu de par l’histoire des opérations d’« assistance identitaire » à l’égard des nations qui présentaient, de par leur situation politique, un déficit initial d’intellectuels autochtones : les lettrés allemands, français, anglais ou russes ont prêté leur concours à la fondation des identités nationales en Europe. Mais si la langue est à la base de l’identité nationale celle-ci ne s’y résume pas. La possession du sol est elle aussi indispensable. Si celle-ci vient à manquer les rêves d’unités qu’ils soient africains avec le panafricanisme, arabe avec le panarabisme connaîtront le même sort que les langues dites construites par opposition aux langues naturelles. De belles utopies. Dès lors la pan-créolité dont Rodolf Etienne fait l’éloge, se trouve confrontée à des difficultés autrement plus ardues que celles qu’ont tentées d’affronter Africains et Arabes. Ce que possédaient les uns et les autres, à savoir l’unité linguistique et où territoriale, force est de constater que les créoles en sont dépourvus. Passons sur la possession et l’unité territoriale, et acceptons que la fixation de la langue soit encore en travail et fasse l’objet de débats qui loin d’être inutiles sont porteurs des enjeux de pouvoirs, d’appropriation d’une langue dans son parler et dans sa graphie. La question ici posée est celle de comment se reconnaître dans sa langue. Le texte de Serge Harpin pose très clairement le problème. La formidable leçon politique que nous donne l’Afrique du Sud montre que le vivre ensemble passe aussi par d’autres mesures que celle de l’unification linguistique. Par des mesures juridiques coercitives s’il le faut, mais aussi comme le font les Kanaks par des édifices culturels au service de la paix.
On peut aussi utiliser les mots pour ne pas dire les choses comme le constate amèrement Georges Lebouc. On peut aussi en faire usage pour ne pas penser. Par exemple il y a aujourd’hui unanimité dans la classe politique pour affirmer que l’allongement des espérances de vie, la démographie, la pyramide des âges etc. conduisent inexorablement à un allongement de la durée de cotisation pour les actifs. Le PIB français était de 750 milliards d’euros en 1960, de 1500 milliards d’euros en 2000, selon les hypothèses du COR ( Conseil d’orientation des Retraites) il sera de 3000 milliards en 2040, le trend de la productivité ( tendance de longue période) étant de + 1,6% l’an, soit + 80% en 37 ans. Ainsi, aujourd’hui nous avons 10 actifs pour 4 retraités, ils produisent 100, soit 7 par personne (100/14). En 2040, nous aurons 10 actifs pour 8 retraités, ils produiront 180 (80% plus qu’aujourd’hui) soit 10 par personne (180/18). Les dépenses de retraite peuvent donc plus que tripler sans empêcher le reste du revenu disponible de passer de 1320 à 2400 voire 2540 milliards… Voilà quelques chiffres qui viennent à point pour soutenir le point de vue de Jean-Marie Harribey &Pierre Khalfa sur les retraites.
Dernier usage des mots recensé dans cette lettre : la stigmatisation comme l’illustre avec tristesse la polémique sur l’origine du sida que Académie nationale de sciences américaine localise en Haïti.
Enfin il est des choses plus sérieuses comme le théâtre qui célèbre cette semaine la proximité du Québec et de la Martinique. On pourra donc lire deux critiques l’une d’Alvina Ruprecht sur une coopération martinico-québécoise qui réunit Ruddy Sylaire et Denis Marleau et une autre sur une création martiniquaise par Lucette Salibur d’une pièce d’une auteure québécoise audacieuse Carole Fréchette. Si quelque esprit faible pensait que l théâtre ne parlait pas de la société la jubilatoire parodie du Bourgeois gentilhomme que nous offre Jean-Marie Harribey devrait le convaincre du contraire.
Roland Sabra