par Claude Ribbe
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Le 10 mars 2012, lors d’une réunion consacrée à l’Outre-mer, François Hollande déclarait :« Il n’y a pas de place dans la République pour la race. Et c’est pourquoi je demanderai au lendemain de la présidentielle au Parlement de supprimer le mot « race » de notre Constitution. »
Le 6 mai 2012, il était élu Président de la République par une majorité de Français qui, par leur vote, ont de fait approuvé cette initiative.
Les Outre-mer, en votant jusqu’à 72 % pour le candidat socialiste, ont à l’évidence très largement plébiscité la proposition de révision constitutionnelle.
Il y avait eu quelques réactions négatives à l’extrême droite. Elles se fondaient toutes sur le même raisonnement :
La suppression du mot « race » ne fera pas disparaître le racisme. Donc il ne faut pas supprimer le mot de « race » de la Constitution.
C’est ce qu’on appelle en logique un sophisme : un tour de prestidigitation intellectuelle permettant d’aboutir à une conclusion non démontrée à partir d’une affirmation vraie.
La suppression du mot « race » de la Constitution ne fera pas disparaître le racisme. C’est évident. Mais pour en conclure qu’il ne faut pas supprimer le mot « race » de la Constitution, il faudrait préalablement admettre une autre proposition :
«Il ne faut rien faire contre le racisme qui ne le supprime complètement ».
Or valider une telle affirmation équivaudrait à dire : « Il ne faut rien faire contre le racisme ». On ne peut en effet imaginer aucune action qui garantisse sa disparition totale et immédiate.
L’argument de ceux qui s’opposent à la révision constitutionnelle est donc en réalité le suivant :
1. La suppression du mot « race » de la Constitution ne supprimera pas le racisme.
2. Il ne faut rien faire contre le racisme qui ne le supprime complètement.
3. Donc il ne faut pas supprimer le mot « race » de la Constitution.
Tout ce que démontre ce sophisme assez grossier, c’est que les gens qui l’utilisent ne souhaitent pas qu’on fasse quoi que ce soit contre le racisme.
Voici ce qu’on pourrait leur répondre :
La suppression du mot « race » de la Constitution ne fera pas disparaître le racisme. Certes.
Mais le racisme repose sur l’affirmation de l’existence de races humaines.
Or tous les scientifiques s’accordent en 2013 pour admettre que les races humaines n’existent pas, même si la génétique permet de déterminer l’origine des populations.
La constitution française, rédigée en 1958, à une époque où la notion de « race humaine » était admise par la communauté scientifique (et a fortiori par les rédacteurs de la Constitution) dispose que la France « assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion.»
Ce texte signifie qu’il y a des distinctions entre les citoyens fondées sur l’origine, la race ou la religion, mais que ces distinctions ne doivent pas faire obstacle au principe d’égalité devant la loi.
Or s’il ne fait aucun doute que les citoyens français diffèrent par l’origine ou la religion, le fait qu’ils se distinguent aussi par l’appartenance à une «race» n’est plus aujourd’hui qu’une opinion non démontrable, susceptible en outre de justifier des comportements sanctionnés par la loi.
Les sondages régulièrement effectués pour le compte de la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) indiquent que la part des Français déclarant que la notion de race humaine n’a aucun sens augmente chaque année et que cette évolution est liée aux progrès de l’instruction.
Une opinion non démontrable susceptible de justifier des comportements sanctionnés par la loi n’a pas sa place dans la Constitution.
De ce fait, François Hollande a parfaitement raison. Le mot de « race » doit être supprimé de la Constitution.
Cette suppression, à elle seule, ne supprimera pas le racisme, mais c’est une première mesure utile.
Elle est par ailleurs indispensable. Le gouvernement français a annoncé à l’automne 2012 un plan de lutte contre le racisme. On voit mal comment il engagerait un tel plan en maintenant dans la Constitution un mot qui sert de fondement au préjugé qu’on veut combattre.
En déclarant qu’il demanderait au Parlement de supprimer le mot « race » de notre Constitution, François Hollande avait précisé que ce serait au lendemain de la présidentielle.
Huit mois après l’élection, sept mois après la victoire de la gauche aux législatives qui donne par ailleurs la majorité absolue au parti socialiste, on est en droit de penser, même si cela n’a pas été explicitement annoncé lors des vœux aux Outre-mer, que la mise en œuvre de cette mesure est imminente.
Pour tenir sa promesse de révision, la Constitution donne à François Hollande deux moyens de ratification du nouveau texte qui devra préalablement être voté en termes identiques à l’Assemblée et au Sénat : par référendum ou par vote à une majorité des 3/5 des suffrages exprimés par les deux chambres réunies en congrès à Versailles.
Elles totalisent aujourd’hui 925 parlementaires dont 525 de gauche. La majorité des 3/5 correspondrait à 617 voix si tous les suffrages étaient exprimés. Dans cette hypothèse, l’apport de 92 voix de droite et du centre serait donc nécessaire pour que le mot «race» soit enfin retiré de la Constitution, conformément à l’engagement pris le 10 mars 2012.
On peut espérer que sur 400 parlementaires de droite et du centre un quart au moins approuverait cette proposition, même si trois-quarts s’avouaient racistes en s’abstenant ou en votant contre.