Thème : « Le racisme est soluble dans l’encre noire » ( S. Dracius)
— Par Robert Sae —
Atelier 2 : « Savoir c’est pouvoir ! » ou l’absolue nécessité de Culture et Connaissances en lutte contre l’aliénation, en vue d’une réparation.
SAVOIR ET AGIR !
Nous sommes à un moment de l’histoire humaine où la mainmise des maîtres sur le savoir devient de plus en plus difficile. Le rang et la notoriété de ceux d’en haut ne suffisent plus à rendre crédibles leurs préceptes, leurs analyses et leurs déclarations. Rien ne peut occulter les inégalités criantes, les drames sociaux, les catastrophes environnementales enfantées par le système. Aucun écran ne peut masquer les travers de leur dite démocratie pas plus que les contradictions entre les valeurs affichées et les pratiques barbares développées au plan international. Il n’est plus possible à aucun pays dominant ni à aucune caste au pouvoir de désinformer, de conditionner et de museler impunément l’opinion. Aujourd’hui, où les barrières limitant les communications se désintègrent, les questionnements qui étaient jusqu’alors étouffés sinon dévoyés peuvent désormais s’imposer dans tout débat. Une fois de plus la pensée bouscule le pouvoir, mais cette fois c’est partout et dans ses racines les plus profondes.
C’est dire l’importance majeure de mettre en lumière toutes les implications pratiques des idées affirmées dans l’intitulé de cet atelier, idées – est-il besoin de le préciser – que nous partageons profondément :
« Savoir c’est pouvoir ! »
Il y a absolue nécessité de Culture et Connaissances pour lutter contre l’aliénation, en vue d’une réparation.
Oui, le savoir c’est la clé de tout pouvoir !
Oui, c’est par la connaissance et la culture que sera brisé le carcan des aliénations !
Oui, une claire compréhension de la réalité est indispensable pour atteindre les objectifs de la réparation !
Mais comment accéder à la connaissance et rendre féconde la pensée quand l’illettrisme atteint les taux que nous savons dans les couches populaires, quand les difficultés d’accès à l’éducation persistent et, pire, sont aggravées par la marchandisation accélérée du savoir et par le démantèlement des services publics liés aux politiques néolibérales ?
Comment notre « encre noire » doit-elle s’y prendre pour combattre la sous-culture déversée massivement par le biais des NTIC qui restent contrôlées par les maîtres du système ?
Il n’est pas besoin de démontrer ici que dans les confrontations qui secouent le monde actuel et qui annoncent l’affrontement décisif, le champ de bataille principal est celui de l’information, des idées et du renseignement.
Au temps où il sévissait comme Secrétaire d’Etat aux USA, Henry KISSINGER l’avait annoncé : « La troisième guerre mondiale sera idéologique ». Dans un tel contexte, l’engagement sur le front culturel est fondamental et l’on comprend que celui-ci resterait stérile s’il ne s’intégrait pas dans une stratégie globale de lutte pour nous libérer de l’ordre injuste et pour construire « l’autre monde possible ».
Frantz FANON nous l’enseignait déjà : « La responsabilité de l’homme de culture colonisé n’est pas une responsabilité en face de la culture nationale mais une responsabilité globale à l’égard de la nation globale, dont la culture n’est, somme toute, qu’un aspect. L’homme de culture colonisé ne doit pas se préoccuper de choisir le niveau de son combat, le secteur où il décide de livrer le combat national. Se battre pour la culture nationale, c’est d’abord se battre pour la libération de la nation, matrice matérielle à partir de laquelle la culture devient possible. Il n’y a pas un combat culturel qui se développerait latéralement au combat populaire. »
Par cette introduction, nous voulons poser d’entrée que le nécessaire combat des idées, s’il veut être victorieux doit s’inscrire dans un engagement global pour la transformation du monde. Car c’est bien de la construction d’un monde nouveau qu’il s’agit. Nous ne pouvons en douter : les têtes de l’hydre raciste et xénophobe que nous voulons éradiquer repousseront tant que perdurera le système qui la nourrit. Aussi, nos réflexions et nos productions culturelles doivent être ferments pour la construction d’alternatives et de contre-pouvoir dans toutes les sphères de l’action citoyenne.
Parlons maintenant de la lutte contre l’aliénation.
Dans notre marche vers l’avenir, la première muraille à renverser est effectivement celle de l’aliénation. Il s’agit de briser ces chaînes idéologiques et psychologiques que les colonialistes occidentaux et leurs classes dominantes ont forgées par une propagande exclusive, massive et pluri séculaire.
Négation de la personne humaine et de l’identité des asservis, endoctrinement des populations, formatage des élites : Tous les moyens ont été mis en œuvre pour incruster dans les consciences les mécanismes de l’aliénation. L’objectif des colonialistes était – est encore – que toute pensée et toute action soient empreintes de l’idée que la « race blanche » est supérieure, de l’idée que leur civilisation est l’idéal à atteindre et enfin de l’idée que les conceptions de la bourgeoisie occidentale en matière d’organisation et de fonctionnement de la société sont incontournables.
Cette aliénation là pèse encore sur notre peuple.
Mais ce n’est pas la seule dont nous devons nous purger.
Toutes les conceptions liées à l’infériorisation des femmes, à la dévalorisation du travail manuel, au mépris des couches populaires maintenues au bas de l’échelle sociale, sont des manifestations d’une profonde aliénation. Précisons que celles-ci n’émanent pas des seules classes dominantes occidentales mais qu’elles sont aussi le produit de groupes sociaux dominants dans les autres civilisations dont nous sommes héritiers.
Toutes ces formes d’aliénations sont autant d’obstacles à surmonter pour gagner notre liberté et plus généralement pour prétendre à l’émancipation humaine.
Ici, vous me permettrez de reprendre des propos que j’avais tenu lors du colloque organisé par le MIR samedi dernier sur le thème « Aliénation et Réparation »
Je disais alors que « nous ne saurions déchirer le voile de l’aliénation sans établir une nette dissociation entre idéologie des classes dominantes et civilisations. Il s’agit de rejeter les catégories imaginées par les classes dirigeantes occidentales dans l’intention de diviser les peuples pour mieux régner.» et je portais la précision suivante : « Il s’agit de réhabiliter les apports positifs de toutes les civilisations, sans idéaliser aucune d’entre elles. Autrement, on se donnerait bonne conscience en vilipendant l’Occident tout en reproduisant allègrement ses schémas. La survie de l’Humanité réside dans la capacité des peuples à faire fructifier ensemble son patrimoine commun. Il s’agit alors, comme dirait Fanon, de « chercher l’homme où qu’il se trouve.»
Eh bien ce point de vue a été l’objet d’un vif débat. Certains considèrent, en effet, que tout ce qui vient de l’Occident doit être rejeté par principe. Ils sont également convaincus que le parcours du peuple noir lui confère une mission spécifique à accomplir sous la conduite de personnes porteuses de l’authenticité originelle.
Et qu’on se garde de parler de la souffrance des classes exploitées des pays colonialistes ou de prétendre que celles-ci ne sont pas comptables de la barbarie occidentale car on risque l’excommunication ! Le comble, c’est que les prédicateurs en question se réfèrent à Césaire et à Fanon !
Pour ma part, j’adhère plutôt à la recommandation d’Ernesto CHE Guevara qui disait ceci:
« Surtout, soyez toujours capables de ressentir au plus profond de votre cœur n’importe quelle injustice commise contre n’importe qui, où que ce soit dans le monde. C’est la plus belle qualité d’un révolutionnaire.»
Notre vraie émancipation viendra de notre capacité à continuer notre chemin d’être humain à part entière.
LA DIMENSION UNIVERSELLE DES REPARATIONS
Ce qui m’amène à aborder la question des réparations. Nous affirmons ici que la Réparation sera universelle ou ne sera pas ! Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si, aujourd’hui, elle investit l’arène internationale.
– Elle est désormais au cœur de vives tensions entre pays impérialistes et pays du tiers monde. (Cf. conférences de Durban sur le racisme).Les gouvernements des pays anti impérialistes (pas seulement) montent de plus en plus au créneau et prennent des initiatives. (CARICOM ; pays anti impérialistes d’Amérique du centre et du Sud).
– Des avancées sont réalisées (Italie / Libye ; loi Taubira, etc.)
– La mobilisation des mouvements sociaux s’affirme (CADTM, etc.)
Mais, il faut quand même s’arrêter sur la façon dont la question des réparations a été reçue dans notre pays, car elle est symptomatique des aliénations qui nous gangrènent et instructive quant au combat que nous devons poursuivre pour atteindre nos objectifs.
Quand la question de la Réparation a été posée il y a une quinzaine d’années avec les premières actions du MIR, les autorités coloniales et les adversaires politiques locaux de ce mouvement y ont répondu en cherchant à marginaliser et à dénigrer ses promoteurs. Cela n’a rien d’étonnant : Une telle question conduit à penser toutes les relations existant entre la France et la Martinique dans une nouvelle perspective en même temps que ses implications risquent de contrecarrer les projets réformistes et socio-démocrates et de bousculer les plans de carrière.
Mais la ténacité du MIR et l’avènement de cette question des réparations dans le débat international ont eu pour résultat qu’aujourd’hui tout le monde en parle et se positionne.
Certains répercutent les arguments des autorités françaises en toute connaissance de cause, d’autres les propagent sous l’emprise de l’aliénation ou par manque d’information :
« Il faut tourner le dos au passé ! Ces crimes là ne sont pas réparables ! Ce sont nos ancêtres et pas nous qui les avons subis ! La France a déjà tant fait ! Ce sont des gens qui veulent de l’argent à bon compte ! »
A ce niveau, nous ne doutons pas que, sous l’effet de la vulgarisation des connaissances et du travail culturel, l’horizon continuera à s’éclaircir.
Il reste à attirer l’attention sur le fait que, quand une question d’une telle importance et d’une telle complexité invite au débat, des points de vue très divers, voire opposés se développent. C’est le cas chez ceux-là mêmes qui défendent le principe des réparations. Ce n’est pas une mauvaise chose en soi. Au contraire, confronter les idées, sans complexe et sans concessions opportunistes, conduit nécessairement à porter des réponses plus judicieuses. Dans le cadre de cet exposé, nous n’aurons pas le temps d’entamer le débat relatif au rôle du Panafricanisme dans la lutte contre l’aliénation et dans le processus de Réparation, nous nous contentons d’en signaler la nécessité.
Nous revenons plus précisément sur la problématique des Réparations. Peut-être, pour baliser le débat, faut-il rappeler que :
a)- Les crimes contre l’humanité sont imprescriptibles et que les tentatives faites par les puissances impérialistes pour s’auto-absoudre ou hiérarchiser les génocides sont irrecevables.
b)- Le droit à réparation est un principe admis par toutes les législations occidentales et internationales. D’ailleurs, les colonialistes ne se privent pas d’exiger son application quand ils sont eux-mêmes concernés.
c)- Le principe de la Réparation n’est pas négociable, comme le rappelle le MIR. Il ya eu crime contre l’humanité. Les responsables sont identifiés. Les torts doivent être reconnus, les préjudices évalués et les victimes indemnisées. Cela d’autant plus que le crime se perpétue aujourd’hui sous la forme du néocolonialisme et de l’impérialisme. Et disons-le tout net : Ce n’est certainement pas aux héritiers d’AL CAPONE de décider que les fils et filles de ceux que le criminel a torturés et spoliés doivent se contenter de textes mémoriels ou de stèles symboliques !
Se pose, alors, la question des modalités de la Réparation. De nombreuses idées ont déjà été émises par les précurseurs du mouvement au plan international. (Imposer aux gouvernements coupables la création d’un Fonds de Développement, soutien aux recherches généalogiques, rapatriement, réforme agraire, etc.)
En définitive, les premiers pas d’une longue marche ont été réalisés et il s’agit maintenant
– de mobiliser nos cerveaux pour fixer les objectifs et établir les protocoles,
– de contribuer par la diffusion du savoir à ce que l’ensemble du peuple soit moteur du combat pour les réparations
– d’intensifier les mobilisations ainsi que la lutte dans les institutions, au plan politique et au plan juridique.
Mais je voudrais terminer en insistant sur l’idée que Les véritables réparations seront en définitive l’œuvre des peuples eux-mêmes. »
Nous avons évoqué plus haut la nature intrinsèquement prédatrice du système il faut ajouter que dans les négociations concernant la remise en cause les injustices sociales et les rapports inégaux au niveau international, les gouvernements occidentaux n’ont jamais cessé de démontrer leur duplicité. Comme j’ai eu l’occasion de le dire ailleurs : « la réparation ne sera totale que quand les pays impérialistes ne seront plus en mesure de réparer quoique ce soit, parce que leur système aura été éradiqué et que leurs dirigeants auront été « déchoukés » de tout pouvoir ».
« SAVOIR C’EST POUVOIR » avons-nous dit.
Quand tous sauront que les indéniables ravages de l’aliénation ne sont jamais venus à bout de la formidable capacité de résistance et de résilience de notre peuple,
Quand tous réaliseront que les maîtres ne sont jamais parvenus à nous priver de notre humanité,
Quand nous connaitrons tout notre passé,
Quand chacun sera conscient que les limites et les travers du système dominant dans tous les domaines (économiques, relations sociales, institutionnels) pour beaucoup viennent du fait que l’occident dominant a méprisé la culture et l’expérience multi millénaire des peuples soumis et que, les scientifiques le reconnaissent aujourd’hui, ceux-ci sont porteurs de réponses efficaces dans des domaines essentiels à la vie tels que ceux de l’alimentation, de la santé et de la protection de l’environnement.
Alors, intensifions la lutte contre l’aliénation et pour la Réparation et nous pourrons à un plein épanouissement humain.
Je vous remercie de votre attention.
Saint-Pierre (Martinique) le 22 mai 2014
Robert Sae