— Par Dominique DOMIQUIN—
Dilatoire Huile sur papier. (Détail)
Persistent décidément chez nous des habitudes (sinon des vices) que je ne comprendrai jamais. Je viens de lire sur le blog du « Scrutateur » un plaidoyer de M Edouard Boulogne tentant de minimiser la gravité des propos tenus par Alain Huygues Despointes dans le reportage « Les derniers maîtres de la Martinique », diffusé durant la grosse crise de 2009. Propos qui lui valent aujourd’hui de comparaître devant la justice pour incitation à la haine raciale et apologie de crimes contre l’humanité. Il n’y a pourtant pas à tergiverser. Les propos de monsieur Huygues Despointes sont racistes et sans la moindre ambiguïté.
Que dans nos familles de noirs, de blancs, d’indiens, d’asiatiques et de syro-libanais des discours et injures racistes soient régulièrement tenus sur le ton le plus badin ne fait aucun doute pour votre serviteur. Ils n’en sont pas moins, en droit positif français, condamnables lorsqu’ils sont prononcés dans la sphère publique. Faut-il donc systématiquement que la justice nous le rappelle ? Notre Histoire locale et plus largement celle de l’humanité ne nous auraient donc rien enseigné ?
Malgré les séquelles de l’Histoire, gardons nous de notre vieille tendance à tout mélanger ; la race, la politique, la lutte des classes, l’histoire, la mémoire, l’économie, la tradition ou la culture en un bébélé de moins en moins digeste pour les générations montantes. La Guadeloupe et la Martinique ne sont aucunement deux rochers aux arêtes insensibles aux eaux tumultueuses du temps. Ce n’est pas parce que nos sociétés sont nées du racisme que nous devons à toute force nous barricader dans l’Habitation. Que nous devons être complaisants envers le phénotype auquel l’évidence semble nous rattacher. En tout cas, que l’on ne compte pas sur moi pour la solidarité aveugle de race ou d’idéologie.
La conséquence la plus grave de cette atmosphère délétère -que nous ne cessons pourtant d’entretenir avec une volupté morbide- est que notre jeunesse fout le camp au propre comme au figuré. Autant à cause du chômage que parce qu’elle est lasse de nos ataviques guéguerres de tranchées. Elle a de l’ambition, elle raisonne et n’hésite pas à aller voir ailleurs si l’air est plus respirable.
Il eût peut-être été courageux que monsieur Despointes adoptât l’une des positions suivantes :
La première : qu’il dise franchement « ében wè mon chè ! Man rasis, man pa enmé nèg, métisaj ka dégouté mwen. Mé fôk nou séryé, isi-ya nèg pa enmé mélanjé kô-yo an granjou épi blan nonplis. Alos annou arété épi bagay-jé ta-a ! » Mais qu’il assume son credo devant la justice, la société martiniquaise et toute la France en général.
La seconde eut été pour lui d’admettre : « Mézanmi, man fouté sékèl o séryé… C’est vrai, j’ai déconné grave, rien ne m’excuse et je suis prêt à assumer la sentence quelle qu’elle soit. »
Il est quand même curieux que a kaz an nou, lorsqu’il s’agit d’affronter la justice pour des raisons idéologiques, chez les noirs comme chez les blancs, plus rien n’est assumé. Une fois dans le box, nos grosses graines font pschiitt ! Y’a plus personne ! Peut-être à cause de la conscience soudaine du regard de l’Autre ? Quand M Huygues Despointes dit que ses propos ont été déformés, retirés de leur contexte ou enregistrés à son insu, ça change quoi ? Tout ceci ressemble fort à une tentative de zanzolaj désespéré.
Durant la campagne précédant le référendum statutaire en Martinique, M Claude Cayol avait tenu des propos infamants envers des enseignants qu’il qualifiait de « blancs qui ne sont même pas coiffés et qui sentent » qu’il assume, lui aussi. Pourquoi faut-il encore qu’on nous explique cela ? On peut être indépendantiste, légitimiste ou sanfouté sans être raciste. Pour renverser l’adage de Sonny Rupaire, je dirais « Viser l’Autre, pourquoi pas, mais n’oublions pas pour autant de nous viser nous-mêmes ».
On me dira « Nous sommes humains. Nous pouvons tous déraper de temps à autres. Et puis cette liberté d’expression, ce pluralisme d’idées qui vous est si cher ? Ne faut-il pas craindre qu’ils ne soient, à terme, muselés par des barbelés juridiques en plus de l’impalpable bienpensance sclérosante ? » Je répondrai que c’est justement à cela que le courage des opinions se mesure. Gran nonm paka wont.
Dans un tout autre registre, (qui ne touche pas à la race mais aux dérives lors des luttes socio-idéologiques) quand un syndicaliste guadeloupéen refuse de rendre compte de ses actes et d’en accepter les conséquences sous prétexte qu’il ne peut s’exprimer qu’en créole, en 2010… on aura beau hurler à la justice coloniale, j’appelle ça une toute petite tentative de masko. Après cela, qu’on ne vienne pas me dire que nous avons envie d’être responsables en Martinique ou en Guadeloupe. Ni en tant que département français, ni en tant que Pays.
Dominique DOMIQUIN
Goyave, le 23 Septembre 2010