Le 9 et le 10 mai 2014 à 19h30 au Théâtre Aimé Césaire
— Rencontre de Selim Lander avec Michel Dural —
Selim Lander : Michel Dural, auteur, acteur, metteur en scène…C’est beaucoup pour un seul homme, non ?
Michel Dural. Ce ne sont que des mots, des étiquettes pour désigner des moments, des aspects différents du travail d’une même personne. Au théâtre c’était assez fréquent dans le passé, aujourd’hui aussi.
S.L. Pas tellement! Vous en avez beaucoup d’exemples de ces artistes protéiformes ?
M.D. Mais oui, ici comme ailleurs. Voyez, tout récemment en Martinique, Hervé Deluge, ou bien, c’est plus ancien, Henri Melon. Et puis pensez aux illustres devanciers du répertoire classique, voyez Shakespeare, voyez Molière ! Pour eux, la création théâtrale était un acte global. Ils étaient auteurs, ils étaient acteurs, c’était pareil.
S.L. Vous avez oublié « metteur en scène » …
M.D. Metteur en scène ? La fonction n’existait pas à leur époque. L’un des comédiens de la troupe en avait plus ou moins le rôle, mais chacun des acteurs y contribuait. On le voit bien dans l’ « Impromptu de Versailles » où Molière décide de faire confiance à ses acteurs, quitte même à ce qu’ils improvisent leur texte. Un demi-siècle plus tôt, Shakespeare faisait la même chose. Le metteur en scène proprement dit n’apparaît qu’à la fin du XIXème siècle.
S.L. Shakespeare, Molière…Soit, mais ils avaient du génie, eux… Vous…
M.D. Moi ? Je ne suis qu’un amateur sans prétention. Qui oserait se comparer à des maîtres devant lesquels chacun ne peut que montrer de l’humilité. Mais on peut s’inspirer de leur exemple et leur théâtre est une source inépuisable de recherches, de réflexion, de création, parce que c’est un théâtre libre et ouvert, un théâtre pluriel, un théâtre mélangé.
S.L. Comme votre pièce, je crois. « Miscellanées » cela veut bien dire « mélange » ? Un titre curieux, tout de même, pas vraiment vendeur…
M.D. Vous trouvez ? Nous, on aimait bien le côté étrange du mot. En plus, il convient tout à fait à ce qu’on va montrer: un truc, enfin, un objet théâtral assez bizarre.
S.L. Vous dites « nous », « on ». Cette pièce, elle est de vous, oui, ou non? Le programme dit : « Une pièce de Michel Dural… »
M.D. Complétez ! « …au service de Molière…etc… »
S.L. Vous éclairez ma lanterne ?
M.D. C’est bien moi qui ai écrit les dialogues qui encadrent les textes de Molière, Tchékhov, Ionesco et Dubillard que jouera la troupe. Mais ces dialogues sont là pour montrer d’abord comment on a choisi et approché les textes tirés de leurs œuvres. Pour présenter ensuite la manière de les jouer, la tonalité à donner à l’interprétation, il y a tant de registres possibles! Le but final, bien entendu, est de les porter au mieux à la scène, de la façon la plus juste, la plus efficace et, si possible, la plus originale, à nos yeux en tout cas.
S.L. Toujours ce pluriel ! Tout cela a donc été un travail collectif ?
M.D. En grande partie, oui. Chaque « comédien » arrivait avec ses attentes, ses envies, puis avec ses choix, ses propositions. La troupe en discutait, gardait ceci, écartait cela et peu à peu le canevas d’ensemble s’ébauchait, s’imposait.
S.L. Cela a dû prendre un temps fou !
M.D. Un an et demi, à raison de deux ou trois heures hebdomadaires. Le temps, c’est le luxe des amateurs, nous n’avions pas d’obligation de résultat. Sauf à être prêts pour le 8ème Festival de Théâtre Amateur, en mai 2014.
S.L. Et prêts, vous l’êtes ?
M.D. On ne l’est jamais, et on n’est jamais sûr du résultat. Est-ce que le public va aimer ce qu’on lui présente ? Est-ce qu’il va partager le plaisir que nous avons pris dans cette aventure ? Est-ce qu’il va rire ? Molière, un spécialiste tout de même, un expert, disait que c’était une tâche bien ardue que de « faire rire les honnêtes gens ». Mais c’est cela aussi le piquant de l’affaire et l’adrénaline a bon goût. Nous sommes douze à être dans nos petits souliers, mais personne ne donnerait sa place.
S.L. Douze acteurs! Ça n’a pas dû être facile à gérer tous les jours…
M.D. Non! La troupe est riche en personnalités fortes et il y a eu des désaccords, des accrochages même. Le texte en témoigne, mais le théâtre mettait vite tout le monde d’accord: c’est un art exigeant où le jugement du plateau est sans appel et tranche les différends. Si la proposition est bonne, on le voit tout de suite, si elle est mauvaise, on le voit aussi.
S.L. Venons-en à la mise en scène. Collective, elle aussi?
M.D. Oui, même si j’y ai pris une plus grande part que d’autres. C’est le privilège de l’expérience et de l’âge. De la disponibilité aussi: la retraite donne du temps aux passionnés. Moi c’est le théâtre, ç’aurait pu être le scrabble ou le macramé… je ne me plains pas.
S.L. Nous parlions de mise en scène…
M.D. Nous sommes partis du plateau nu. Ça fait peur « l’espace vide », une invention de Peter Brook, l’un de nos maîtres. Mais ça « booste » aussi en centrant le regard sur le jeu de l’acteur, mis en danger, mais aussi mis en lumière, et, un instant, maître du lieu.
S.L Quel lieu? Il y en a plusieurs, vu la diversité des textes. Comment passez-vous d’un décor à l’autre?
M.D. Nous avons décidé de suggérer, de limiter au maximum les objets et les accessoires. Et puis, nous avons reçu l’aide du régisseur lumière, Toriep, que je remercie pour ses conseils et son travail. En particulier pour le dernier tableau qui représente la « première » du spectacle où les séquences s’enchaîneront avec juste un noir très court où des éléments de décor seront mis en place, retirés ou déplacés. A ce moment-là, les acteurs deviendront aussi des régisseurs rapides et silencieux.
S.L. Les tableaux précédents se présentent donc comme des répétitions?
M.D. Oui, et ces deux tableaux ont été les plus compliqués à mettre en place: tous les comédiens sont en scène. Les uns jouent, les autres regardent, sont spectateurs, puis les rôles s’inversent. Et le passage d’un statut à l’autre n’est pas si simple.
S.L. Vous précisez?
M.D. Plusieurs niveaux ou modes de jeu sont alors en présence. D’un côté il ya les acteurs qui jouent des personnages, avec leur caractère, leur situation dans la pièce et de l’autre il y a leurs camarades qui les regardent.
S.L. Et où est le problème?
M.D. Ces « spectateurs » ne sont pas des spectateurs comme les autres. Ils restent des comédiens, puisqu’ils sont sur la scène que d’autres spectateurs, les vrais, regarderont lors du spectacle. Donc, ils jouent un rôle de spectateur. Sans être au centre de l’attention, ils réagissent à ce que jouent leurs camarades, ils ne cessent donc jamais d’être aussi des acteurs.
S.L. Ah! Vous voici confronté vous aussi aux problèmes de la « mise en abîme », au « théâtre dans le théâtre », ce n’est pas très original et Pirandello est un peu passé de mode, non?
M.D. C’est plus compliqué que cela… Mais on ne va pas entrer dans une discussion de spécialistes qui impatienterait celui ou celle qui tient ce programme et le lit d’un œil assez distrait, saluant une connaissance, bavardant avec son voisin et n’attendant qu’une chose: que la lumière baisse dans la salle et que le spectacle commence. Restons-en là, voulez-vous ?
S.L. J’aurais voulu parler de vos comédiens, du fil rouge du spectacle…
M.D. Cette fois la lumière baisse vraiment. On va avoir besoin de moi. De vous aussi d’ailleurs… On se voit tout à l’heure ?
Distribution
Rachel: Myriam Caruge
Raïssa : Leïla Vitalien
Raymond : Michel Dural
Régine : Daouia
Rémi : Michel Herland
Rita : Marie Alba
Robert : Rachid Arab
Roger : Paul Chéneau
Romy : Laurence Aurry
Rosa : Viviane Janvier
Roxane : Gina Lorans
Ruth : Martine Gianetti
Remerciements
Merci à Monsieur le Proviseur du Lycée Schoelcher qui, depuis des années, accueille la troupe de l’ADAPACS dans la salle de théâtre du Lycée.
Merci à Michèle Césaire de nous avoir invités au 8ème Festival de Théâtre Amateur et à toute l’équipe du Théâtre Aimé Césaire pour son accueil. Merci en particulier à Michèle Mondésir qui a accompagné notre aventure avec la gentillesse et l’efficacité qu’on lui connaît.
Mise en scène : Michel Dural et les comédiens de l’ADAPACS.
Régie lumière: Toriep