Le « Grand Dérangement » : une mémoire en marche au Morne-Rouge

L’inauguration du Chemin des Acadiens, au cœur du Morne-Rouge, marque une étape essentielle dans la reconnaissance d’un épisode longtemps méconnu de l’histoire martiniquaise : celui de l’arrivée des Acadiens, ces réfugiés de la Nouvelle-France, chassés de leurs terres lors du « Grand Dérangement », entre 1755 et 1763.

Lire aussi sur Madinin-Art : : Capitulation de Port-la-Joye et début de la déportation de l’île Saint-Jean le 17 août 1758.

Le Grand Dérangement, c’est le nom donné à la déportation massive des Acadiens, ces colons français établis depuis le XVIIe siècle dans les provinces atlantiques du Canada actuel (Nouvelle-Écosse, Nouveau-Brunswick, Île-du-Prince-Édouard). Victimes d’une politique de nettoyage ethnique menée par les Britanniques, environ 14 000 personnes furent arrachées à leurs villages, leurs maisons incendiées, leur bétail confisqué, leurs familles dispersées à travers les colonies britanniques, l’Angleterre et la France.

Certains de ces exilés trouvèrent refuge dans les Antilles françaises, notamment en Martinique.Dès 1756, les premières familles acadiennes débarquèrent au Carbet, avant de s’installer à Champflore, aujourd’hui un quartier du Morne-Rouge, au pied de la montagne Pelée. À leur arrivée, ils furent orientés vers des terres à défricher, dans l’espoir qu’ils deviennent agriculteurs ou charbonniers. Mais ce déracinement, combiné à un climat difficile, des maladies tropicales, l’isolement et une profonde précarité, fit de leur installation une épreuve redoutable.

L’historien Vincent Huyghes-Belrose,a mis en lumière l’existence de cette petite colonie à travers cartes anciennes et archives. En 1765, une carte de l’île mentionne : « Établissement des Acadiens », sur le site de l’actuel Domaine d’Émeraude, preuve de leur présence réelle sur ce territoire.

Les Acadiens étaient pour la plupart artisans, charpentiers, navigateurs, commerçants, peu préparés à la rudesse des travaux agricoles en milieu tropical. Nombre d’entre eux survivaient grâce à la « ration du Roy », une aide alimentaire fournie par l’État, préférant la charité à un labeur auquel ils n’étaient pas adaptés. Beaucoup finirent par repartir : certains vers la Guadeloupe, d’autres rapatriés en France.

Aujourd’hui, peu de traces physiques subsistent de leur passage, mais leur mémoire reprend vie. La stèle dressée à Champflore, les projets de sentiers de mémoire, et surtout, ce Chemin des Acadiens, inauguré en avril 2025, symbolisent la volonté de reconnecter la Martinique avec cette page oubliée de son histoire. La présence, lors de l’inauguration, d’une délégation venue du Canada témoigne du renouveau des liens entre les descendants de ces exilés et cette terre d’accueil.

Comme l’a souligné Jenny Dulys-Petit, maire du Morne-Rouge, ce chemin est aussi un hommage au courage, au travail et à la résilience de ces familles déracinées. Leur histoire, encore méconnue, mérite aujourd’hui d’être transmise, surtout aux jeunes générations péléennes.