Antilles : Chyen maré sé pou lapidé

Par Mireille Pierre-Louis (Contribution à titre personnel) —

Sommaire

Retour sur le désengagement budgétaire de l’Etat des finances locales

Une Martinique aux finances locales exsangues

Une poudrière sociale qui fait le lit du populisme

L’Etat souffle sur la braise

Des alliés moyenâgeux (comme l’Octroi de mer) devenus encombrants ?

Une instrumentalisation de la misère sociale

Une diversion par rapport à la colonisation de peuplement

Octroi de mer : un nouveau séisme budgétaire en vue

Sans changement de cap de l’Etat français : Maré rin nou !

EXPOSE DES MOTIFS

La « vie est chère » en Martinique, nul ne saurait le contester, mais les prix des produits alimentaires ne sont pas responsables du marasme dans lequel les Antilles s’enfoncent inexorablement depuis une quinzaine d’années. Et, justement, en imposant la « vie chère » comme l’alpha et l’oméga des difficultés de la Martinique aujourd’hui, et même de l’Outremer, l’Etat réussit à détourner l’attention de ses propres manquements dans ces territoires, et plus grave, instrumentalise la misère sociale pour in fine appauvrir les populations, avec la prise de l’Octroi de mer et sa refonte dans une TVA nationale inflationniste.

La lutte contre la « vie chère » de l’Etat : une « promesse » qui n’engage que ceux qui y croient. Une « promesse » qui fait des émules.

D’où cette nouvelle alerte sur les ressorts d’un désastre social aux Antilles qui n’appelle pas un choc régalien, comme il se prépare, mais un plan d’urgence.

AVERTISSEMENT

S’il peut, à première vue, sembler contradictoire, d’une part, de faire le constat des limites d’une politique d’assimilation et, d’autre part, d’appeler à une « égalité réelle » pour les DOM, la raison dernière en réside dans les ressorts d’un ordre économique et culturel mondial, articulé autour de la croissance et de la consommation illimitées; entraînant la destruction des autres modes de vie; générant ici et là frustrations, tensions et flux migratoires. Revisiter ces présupposés devient de toute évidence aujourd’hui une urgence. Situés sur la ligne de front, les DOM subissent les soubresauts d’un monde aux déséquilibres croissants.

Une « Egalité » a minima

Dans son rapport sur l’égalité « réelle » (2017), Victorin Lurel notait que la dépense publique par habitant était du même ordre dans les DOM qu’en France hexagonale : « Où est l’assistanat ? » . Il poursuivait : « Par contre, les Corses bénéficient d’un effort de l’Etat largement supérieur ». A titre de comparaison, en 2013, la dépense budgétaire de l’Etat en Corse était deux fois plus importante que dans les DOM, afin de lever les freins liés à son insularité et favoriser ainsi son développement économique.

Avec un traitement similaire à la Corse , l’effort budgétaire de l’Etat dans les DOM aurait en 2013 plus que doublé : + 10 milliards d’euros, ce qui couterait aux contribuables à l’échelle de la France un effort largement mutualisé de +150 euros par habitant1

Mais les DOM, territoires ultrapériphériques par rapport à la France, supportent de plein fouet les freins liés à l’insularité, au grand éloignement ainsi que les retards historiques, d’où ce coût social exorbitant qui se manifeste par la « vie chère », le chômage de masse, des services publics moindres ou encore une insécurité record.

Ce coût social n’est pas une fatalité ou, tout au moins, il pourrait être considérablement amoindri, comme pour la Corse.

C’est dans ce contexte de sous-financement structurel des DOM, déjà explosif sur le plan social, que s’opère un désengagement budgétaire de l’Etat, disproportionné aux Antilles, qui transforme ces dernières en une poudrière sociale.

Le décrochage des Antilles : -2.4 Md€

En France, le budget de l’Etat a augmenté de plus de 85% entre 2013 et 2025, quand l’effort consacré aux Antilles a augmenté de 30% seulement en moyenne.

Mais, si la dépense budgétaire aux Antilles avait évolué dans les mêmes proportions qu’en France hexagonale, ces territoires auraient bénéficié d’un effort de l’Etat de +2,4 milliards d’euros en 2025 ( !).

A contrario, les budgets consacrés à Mayotte ou à la Guyane ont augmenté bien plus que la moyenne nationale, les autres DOM et singulièrement les Antilles apparaissant à cet égard comme variables d’ajustement budgétaires plutôt que la solidarité nationale, puisque le budget de l’Etat dans les DOM a cru en moyenne moins vite qu’en France (60% contre 85%).

La départementalisation de Mayotte et les plans d’urgence de deux milliards d’euros en faveur de la Guyane et de Mayotte2 , n’ont donc rien coûté à Bercy de plus, par rapport à la trajectoire des dépenses de la France.

Tout se passe comme si la « Métropole » ayant fort à faire avec les colonies de Guyane et Mayotte, ne pouvait pas, de plus, s’occuper des Etats d’âme (de la colère) des Antilles qui « ne manquent de rien ».

Par ailleurs, plus les Antilles sombrent et plus les indicateurs de richesse sont au beau fixe : les pauvres partant en masse, les chiffres du chômage baissent et les revenus paraissent plus élevés ; la population diminuant, le PIB par habitant et la richesse fiscale par habitant (pour calculer les dotations de péréquation) augmentent très vite. Autrement dit, pour une sphère politico-administrative (voire médiatique) qui ne « raisonne » que par des indicateurs « tout va pour le mieux aux Antilles « …alors qu' »il y a péril en la demeure ».

Et si aujourd’hui les finances des collectivités antillaises sont au rouge : c’est qu’elles sont mal gérées, ce qui interdit toute action en leur faveur, sauf un accompagnement de gestion par l’AFD pour réduire leurs frais de personnel et serrer toujours plus l’étau autour des populations, les poussant à l’exil.

De plus, les collectivités antillaises, paraissant plus riches que la moyenne nationale, sont sommées de fournir plus d’efforts pour réduire des dépenses publiques qui justement n’ont pas augmenté suffisamment aux Antilles : une double peine qui se traduit par des économies drastiques dans les budgets locaux, supportées in fine par les populations les plus fragiles, à travers notamment la ruine du secteur associatif.

Retour sur le désengagement budgétaire de l’Etat des finances locales

En raison du coût disproportionné que représentent en outremer les transferts de compétences de l’Etat vers les collectivités locales, particulièrement dans le domaine social, la décentralisation a conduit, à partir des années 2000, à l’ébranlement des budgets locaux en cascade, ouvrant la voie à des révoltes sociales de grande ampleur auxquelles dorénavant l’Etat reste sourd, particulièrement aux Antilles. Ainsi, après avoir, sous la pression populaire, concédé un plan d’urgence de plus de deux milliards d’euros au total à la Guyane et à Mayotte, l’Etat avait repris en 2018 à son compte le financement du RSA dans tous les DOM, sauf aux Antilles.

Sur le plan des dotations nationales, les communes des DOM, discriminées négativement, sont de plus requises pour exercer une solidarité entre elles qui plonge les Antilles, supposées « riches » parmi les pauvres, dans une impasse, dans un contexte de baisse des dotations de l’Etat et d’essoufflement de l’Octroi de mer après 2009. Seul le rebond de l’Octroi de mer, dû à l’inflation de ces dernières années, a permis aux communes antillaises d’éviter un naufrage.

Pour autant, l’existence aux Antilles d’une TVA nationale, absente en Guyane et à Mayotte, qui alimente le budget de l’Etat pour plus de 300 millions d’euros en Martinique, bride l’Octroi de mer et prive ces territoires d’une manne fiscale qui leur permettrait de compenser davantage le désengagement budgétaire de l’Etat et d’enrayer un déclin, devenu dès lors structurel et se traduisant par un effondrement démographique, créant un profond mal être qui s’exprime aujourd’hui sous le vocable de la « vie chère ».

C’est dans ce contexte qu’intervient une menace majeure sur la principale ressource fiscale des collectivités locales.

Une Martinique aux finances locales exsangues

La crise des finances locales transforme les Antilles, particulièrement la Martinique qui a subi le choc administratif de la création de la CTM (de surcroît, sans dotation d’amorçage, à l’inverse de la Guyane) en une poudrière sociale qui plombe à intervalles réguliers le secteur économique et pousse toujours plus la jeunesse antillaise vers la France, en quête d’un « avenir meilleur ».

Parallèlement, en sens inverse, des Métropolitains s’installent en masse aux Antilles, prioritaires dans l’emploi privé où selon l’INED (2012) les recrutements se font sur une base « affinitaire ».

Pour rappel, d’après les chiffres de Jalabert (2007), « le groupe Béké contrôlerait 29% des entreprises de plus de 20 salariés, les Mulâtres 17%, la part la plus importante revenant aux sociétés à capital métropolitain ».

Le ministère de l’Egalité des chances, en appelait, en 2020, à la création d’emplois francs pour favoriser l’embauche des ultramarins dans les DOM, plus discriminés chez eux qu’en France hexagonale.

Une poudrière sociale qui fait le lit du populisme

Les collectivités antillaises, quant à elles, n’ont guère plus les moyens d’assurer le rôle d’amortisseur social dévolu aux communes par l’Etat par le biais de contrats aidés qu’il subventionne à plus de 80% depuis 1984 (tout en critiquant leurs « sureffectifs » !), ni d’offrir de débouchés aux cadres diplômés en l’absence de grandes entreprises.

Avec 2% de contrats aidés en moyenne dans les collectivités antillaises contre 20% dans les autres DOM, la jeunesse est laissée pour compte.

La classe politique martiniquaise, « hors sol » en regard d’un naufrage annoncé, n’ayant plus de marge de manœuvre financière pour répondre aux besoins sociaux de la population ni aux enjeux des entreprises, a perdu toute crédibilité, voire toute légitimité, ce qui fait le lit du populisme.

Le vote RN se transforme inéluctablement de vote sanction en un vote d’adhésion, qui plus est quand ce parti politique, place, au motif de la « vie chère », la suppression de l’Octroi de mer au cœur de son projet pour l’outremer, l’Outremer étant « au cœur de son projet pour la France ».

D’où le fait aussi que le débat se retrouve aujourd’hui dans la rue en Martinique, avec le Rpprac qui, au motif de la « vie chère », rafle la mise, jouissant de la popularité, hâtivement assimilée à une légitimité, de ceux qui ont l’avantage de n’exercer aucun pouvoir, sauf celui de la surenchère3

Mais que peut-il advenir de la Martinique quand l’Etat se désengage, les communes et la CTM se trouvent au bord du gouffre, et que tout le tissu associatif ou économique dépendant des fonds publics, à l’image du BTP, est à l’agonie ?

L’Etat souffle sur la braise

L’Etat, quant à lui, regarde ailleurs, il convoite, au motif de la « vie chère », l’Octroi de mer des collectivités locales pour renflouer son budget ainsi que la prime de « vie chère » des fonctionnaires ultramarins pour lesquels celle-ci n’avait pas été créée. Également, en quête éperdue de nouveaux débouchés pour les grandes entreprises françaises dans les DOM (et dans leur environnement géographique, d’où son regain d’intérêt pour la coopération régionale), il « lorgne » également, au motif de la « vie chère », sur les parts de marché des Békés, alliés moyenâgeux (comme l’Octroi de mer), devenus encombrants.

Des alliés moyenâgeux (comme l’Octroi de mer) devenus encombrants ?

En effet, les intérêts des colons ne sont pas toujours ceux de la Métropole, d’où l’exclusif colonial4

Autant dire d’emblée, que la figure clivante du Béké, martiniquais quand ça l’arrange (« Tous créoles ») mais plus français que le Français par un patriotisme suranné, vient brouiller les pistes s’agissant de l’étau des finances publiques qui se resserre inexorablement autour de la Martinique.

Une instrumentalisation de la misère sociale

L’Etat se lance dans une croisade contre la « vie chère », en ciblant des causes clairement identifiées (Octroi de mer et Pwofitasyon), mais tout en se gardant d’activer les leviers à sa disposition pour agir sur les prix, notamment la continuité territoriale destinée à l’outremer (2.7 Millions d’habitants) qui est cinq fois plus faible que celle consacrée à la Corse (300 000 habitants) située à 150 Km des côtes françaises. Une différence de traitement qui ne cesse de s’accentuer, puisqu’en pleine mobilisation contre la « vie chère » dans les DOM, l’Etat vient d’augmenter la dotation de continuité territoriale de la Corse de +50 M€ contre + 14 M€ pour l’outremer qui sera dès lors frappé de plein fouet par les surtaxes de l’Etat dans l’aérien.

De même, les prix des communications sont nettement plus élevés en Martinique par rapport à la France hexagonale (+37% !) alors que la Corse bénéficie du « tarif français unique ».

Par ailleurs, dans les DOM, la « vie chère » s’explique aux trois quarts par la faiblesse des revenus et un quart seulement par les prix. Mais plutôt que d’agir sur ce levier (sous pensions de retraites, sous prestations sociales en regard du coût de la vie,… ), l’Etat instrumentalise la misère sociale du peuple pour atteindre ses propres objectifs, comme remplacer l’octroi de mer par une TVA comme en France, et l’appauvrir in fine :

La lutte contre la « vie chère » de l’Etat : une « promesse » qui n’engage que ceux qui y croient. Une « promesse » qui fait des émules.

Et, les CIOM contre la « vie chère » que les élus d’Outremer réclament à cor et à cri, avec une légèreté coupable (ou suspecte), ne visent en réalité qu’à organiser le festin de Bercy, une manière de dépeçage, comme le CIOM 2023 où a été lancée la charge contre l’Octroi de mer.

Une diversion par rapport à la colonisation de peuplement

Autant dire que le mouvement citoyen de lutte contre la « vie chère », dans un timing idéal, en ciblant les prix de la grande distribution (pas les carburants, ni les assurances, ni la téléphonie où des capitaux français sont en jeu) apporte à l’Etat toutes ses convoitises sur un plateau, ce dernier n’en critique que la forme qu’il réprime, pas le fond qu’il trouve « juste ».

De plus, cette cause adoubée par des « alliés » Métropolitains de circonstance (du RN à Bercy en passant par LFI, sans compter les médias français qui s’intéressent à la « vie chère » mais pas à la misère sociale dans les DOM et même l’Eglise de France qui fait mine de découvrir que la misère dans les DOM ne serait pas la volonté de Dieu qui n’aime que les pauvres, même les Noirs, mais serait celle de la grande distribution…) opère une diversion par rapport à la colonisation des Métropolitains qui augmente aussi vite que la Martinique s’appauvrit et qui, avant cette crise, était la cause de la plus grande frustration et colère des Martiniquais : sentir leur terre s’ouvrir sous leurs pieds comme un tombeau.

Octroi de mer : un nouveau séisme budgétaire en vue

La suppression de l’Octroi de mer représenterait, un séisme budgétaire, et social par ricochet. Et, le remplacement de l’Octroi de mer par une TVA nationale représenterait une double peine pour des territoires que l’on tente de diviser à toutes forces, avec, d’un côté, les bons (le « peuple »), et, de l’autre, les méchants (les entreprises et les collectivités, réduites aux Békés et aux élus : l’axe du mal).

Toutes choses égales par ailleurs, la suppression d’un levier fiscal garantissant une relative autonomie des DOM par rapport au rouleau compresseur de Bercy, serait une initiative de l’Etat français, arcbouté sur ses intérêts immédiats dans ses ex-colonies, aussi calamiteuse que le dégel du corps électoral en Nouvelle Calédonie.

Or, le mouvement citoyen en Martinique, par son mot d’ordre d’ «alignement des prix de l’alimentaire sur ceux de l’Hexagone » (quoi qu’il en coûte aux collectivités en termes de recettes fiscales, donc au territoire et au peuple in fine), légitime la pseudo lutte contre la « vie chère » de l’Etat, et, paradoxalement, contribue de facto à cette violence institutionnelle qu’il prétend combattre : l’enfer est pavé de bonnes intentions6

D’où le fait que la Guadeloupe qui partage un marché unique avec sa sœur jumelle, se montre particulièrement frileuse à l’idée de l’accompagner dans son odyssée qui peut, à tout moment, virer au « naufrage »7

Sans changement de cap de l’Etat français : Maré rin nou !

La dépense publique aux Antilles représentant 80% de leur PIB en raison de handicaps structurels qui brident l’économie, faut-il le rappeler, toute fragilisation des budgets locaux, qui plus est quand elle se double d’un désengagement budgétaire plus global de l’Etat, se traduit par un effondrement démographique.

Les difficultés des collectivités antillaises peuvent être aggravées par des lacunes de gestion, des abus et « tout ce que l’on veut » (que l’on voudrait désormais régler par une « métropolisation » de l’encadrement) : elles sont avant tout d’ordre structurel, notamment l’existence de la TVA nationale qui est le problème aux Antilles plutôt que la solution, ou encore les restes à charges des transferts de compétences de l’Etat de plus de 150 millions d’euros par an en Martinique.

L’alignement des prix de l’alimentaire sur ceux de l’Hexagone, autrement dit le déboulonnage des Békés, descendus de leur piédestal par le mouvement citoyen, peut être « juste », « légitime » et « tout ce que l’on veut » : il sert avant tout, aujourd’hui, les intérêts de la France et de ses nouveaux investisseurs qui ont déjà demandé à Bercy8

la fin de la principale recette fiscale des collectivités afin d’ augmenter leurs marges. Si comme le signale le mouvement citoyen, il y a bel et bien une répartition des capitaux qui exclut les Afrodescendants, ce problème de fond ne sera pas résolu. La Martinique ne récoltera que des miettes (une médaille) de cette guerre fratricide entre anciens et nouveaux colons, et plus probablement, fera un pas de plus vers l’abîme, si l’abcès du désengagement budgétaire de l’Etat n’est pas crevé à l’issue de cette crise sociale qui l’aura davantage fragilisée, comme après le mouvement social de 2009 .

En 2009, le mouvement social parti de Guyane en raison du prix des carburants (administré par l’Etat), une fois arrivé aux Antilles s’est transformé en lutte contre la Pwofitasyon, l’Etat intervenant comme médiateur, sans apporter de réponse aux problèmes structurels des territoires qui concernaient déjà les finances locales.

En 2017, la Guyane a tiré les leçons de la lutte contre la « vie chère » de 2009. Mobilisée d’abord contre une insécurité exaspérante, elle avait très vite uni toutes ses forces et ciblé tous les manquements de l’Etat dans tous les domaines : « Nou bon ké sa ! » en exigeant réparation, d’où son rebond actuel.

En 2024, la colère populaire en Martinique, a été tout entière canalisée vers le déchoukaj’ de la pwofitasyon et accessoirement celui de l’octroi de mer par des experts en « vices cachés » de cette taxe, faisant d’une pierre deux coups avec la Pwofitasyon, l’Etat raflant la mise.

Or, même si les écarts de prix de l’alimentaire avec la France étaient réduits à zéro, même si les « marges arrières » des Békés, qui monopolisent toutes les attentions, étaient réduites à zéro, la Martinique poursuivrait son agonie.

Et, pour la CTM, penser qu’un « changement de paradigme économique » augure de jours meilleurs pour la Martinique, c’est se bercer d’illusions, quand on se rappelle le caractère exogène des capitaux privés ; ou alors ne pas vouloir s’attaquer frontalement à l’Etat français sur la question des finances locales, même avec les ouvertures actuelles que seule une crise peut apporter.

En effet, la révolte populaire (la violence dirait Fanon, qui répond dans le cas présent à une violence institutionnelle), mode de dialogue entre la « Sous-France » et la Métropole est le seul moyen pour la Martinique d’obtenir de l’Etat français autre chose que des miettes, dont les Antilles sont dorénavant privées, afin de desserrer l’étau autour du peuple .

Et, si à la faveur de cette révolte, le peuple renonce à défendre ses propres intérêts face au rouleau compresseur de l’Etat, et s’il est requis ailleurs, à savourer sa « victoire » (un jeu de rôles ?) sur l’ennemi séculaire (cette fois-ci serait la bonne avec des nouveaux alliés de circonstance), ce serait une tragédie.

Résultats de cette crise qui dure depuis 6 mois : à part un protocole d’accord bancal qui serait plus ravageur s’il était étendu à tous les produits alimentaires importés, aucune mesure de la Loi de finances ne vient endiguer le naufrage annoncé des collectivités locales9 qui entraînera dans la tourmente le territoire tout entier ; et le peuple, supposé objet de toutes les attentions, échouera dans les bras grands ouverts de la Métropole. Et puisque la Nature a horreur du vide, la colonisation de peuplement fera son œuvre : un crime presque parfait.

Dans une période de raréfaction des ressources publiques, l’Etat, contrairement aux croyances, dispose de leviers (+ quatre milliards de ristournes fiscales pour la CMA CGM malgré un bénéfice de 23 milliards d’euros10

; forte augmentation du budget du ministère de l’intérieur et de la justice de 2025. Mais il doit procéder à des arbitrages, trop souvent en défaveur des DOM, particulièrement des Antilles, considérés comme variables d’ajustement budgétaires. Cette discrimination structurelle, découlant d’un racisme systémique à l’encontre des descendants des peuples colonisés et esclavagisés dénoncé par l’ONU, menace aujourd’hui les outremer d’un chaos généralisé que les assurances anticipent déjà, puisqu’elles n’y assurent plus le risque d’émeutes.

L’Etat français quant à lui renforce son arsenal de répression afin de sauvegarder, coûte que coûte, son statut de puissance et utilise tous les leviers à sa disposition à l’encontre des peuples d’outremer qui se soulèvent de toutes parts pour leur survie plus que jamais menacée, d’où un super ministère des Outremer pour y parer : « Comme au bon vieux temps des Colonies» !

NOTES

1 10 milliards d’euros représente 150€/hab à l’échelle de la France, et 4500 €/hab à l’échelle des DOM. Cela signifie que lorsque que l’Etat ne s’investit pas comme en Corse, les DOM sont privés d’une manne de 4 500 €/hab, soit un coût social équivalent qu’ils supportent seuls. .

2 La départementalisation a apporté de nouveaux droits aux Mahorais, mais leur a coûté beaucoup plus qu’aux contribuables français pour lesquels le coût est mutualisé (1 milliard d’euros : 14 €/hab), alors que les premiers malgré leur grande pauvreté, dû à une indigence séculaire de la France, doivent supporter avec brutalité, des taxes nouvelles (comme une fiscalité locale qui intervient en retrait d’une part de la DGF, plutôt qu’en complément…) ou des cotisations sociales qui, selon les statistiques de l’Insee, en 2018, profitent plus aux retraites des Français qu’aux Mahorais avec un excédent de cotisations sociales versées de 800€/hab (! ) qui aurait pu être maintenu sur place, vue l’étendue des besoins.

3 Pour rappel, les produits alimentaires représentent le premier poste de dépenses des ménages en France hexagonale et le quatrième en Martinique. Les écarts de prix avec la France dans l’alimentaire sont de +15% en Corse malgré l’existence d’une continuité territoriale visant à abolir les surcoûts. Comment faire mieux en Martinique ? , ouvrant la voie à une légitimité par les urnes qu’ils revendiquent clairement, une campagne d’affichage est déjà lancée : « Le peuple, par le peuple, pour le peuple », le crédo de la bonne vieille démocratie américaine.

4 i

5 En Guyane 90% des terres appartiennent à l’Etat. , seraient une sorte de curiosité historique, maintenue à flot par la Mère Patrie, contre le peuple qui leur vouerait une « haine tenace » . En effet, selon Guillaume (2014), « Les Békés se sont toujours définis ouvertement comme une caste suscitant dans le reste de la population antillaise une haine tenace que l’on ne peut pas ramener à une hostilité de classe banale. Cette haine est tacite par temps calme mais explose avec toute dégradation du contexte social ».

6 Jean-Claude Florentiny : «Vie chère» et marché unique antillais ». Janvier 2025. …

7https://caraibcreolenews.com/guadeloupe-pourquoi-les-martiniquais-veulent-ils-nous-entrainer-dans-leur-naurage/ …

8 Le PDG du groupe Leclerc avait indiqué à la presse , en 2019, lors de l’installation de son groupe en Guadeloupe, avoir demandé à Bercy la fin de l’Octroi de mer (voir les analyses d’Alain Plaisir à ce sujet). Un an plus tard paraissait le rapport Ferdi qui « assassinait » l’octroi de mer, et devenu depuis le livre de chevet des experts en « vices cachés » de l’Octroi de mer à côté des rapports à charge de la Cour des comptes en quête éperdue d’économies dans les outremer.

9La Guyane et Mayotte bénéficient chaque année de dotations « exceptionnelles » de l’Etat pour équilibrer le budget de la collectivité majeure car il ne peut en être autrement. La Martinique, elle, elle regarde ailleurs, ce qui convient parfaitement à l’Etat.

10 (J.Belanyi, 2024).

15 mars 2025