Dans une chambre de Port-au-Prince, à la lumière vacillante d’une bougie, un couple s’aime, se déchire, pleure et se souvient, comme deux âmes en quête de réconfort face à la violence d’une ville qui s’effondre. Zily, une jeune femme pleine de rêves et d’espoirs, souhaite quitter Haïti avec Ferah, son amour. Mais Ferah, malgré les assassinats, les émeutes et la violence omniprésente, refuse de partir. Il travaille à l’hôpital de la ville, un témoin quotidien du chaos qui défigure sa terre natale. Comment continuer à aimer dans un tel contexte ? Et comment aimer son île, tout en étant contraint de la fuir ?
Ce texte poétique et profondément intime, écrit par Gaëlle Bien-Aimé, lauréate du Prix RFI Théâtre 2022, puise ses racines dans l’âme de l’autrice et dans les souffrances d’une nation en proie à des années de guerre, d’instabilité politique, et de désespoir. En partie autobiographique, Port-au-Prince et sa douce nuit s’impose comme une réflexion sur la résilience et l’amour dans un monde brisé. Cette pièce est une déclaration poignante d’amour à Port-au-Prince, une ville vibrante, autrefois pleine de vie, aujourd’hui sous la coupe des gangs et du désespoir.
Au-delà des mots, l’auteur met en lumière le contraste frappant entre l’amour pur et sensuel des deux personnages, Zily et Ferah, et l’inexorable violence qui entoure leur existence. Cette opposition, aussi belle que tragique, est parfaitement incarnée par les comédiens Sonia Bonny et Lawrence Davis, qui déploient un jeu riche en émotions et en subtilités. Leur performance, énergique et sincère, donne corps à un texte dense et poétique, où chaque mot semble porté par la passion et la souffrance des personnages. Les tentatives de rapprochement, les mots d’amour et de désir, se heurtent à la réalité d’une ville qui, peu à peu, se fait engloutir par la violence.
La mise en scène de Lucie Berelowitsch, tout en subtilité, offre un cadre intimiste qui met en valeur la poésie du texte. Une simple chambre devient le centre du monde, un lieu clos où les bruits de la ville, les échos du créole, et le souffle des amants se mêlent pour offrir une expérience immersive qui parle directement au cœur du spectateur. La lumière tamisée de la bougie et les vues en noir et blanc de Port-au-Prince sur les murs accentuent l’inquiétude, la peur grandissante d’un futur incertain.
Un poème pour Haïti
À travers la danse des corps et des mots, Gaëlle Bien-Aimé nous invite à plonger dans l’intimité de ses personnages, tout en offrant un aperçu poignant de la réalité haïtienne. La pièce est une ode à une terre meurtrie, mais aussi un hommage à la beauté du lien humain. La sensualité, l’humour et la profondeur des échanges entre Zily et Ferah révèlent les contradictions de leur époque : la jeunesse, l’amour et l’espoir en même temps que la terreur, la misère et la fuite inévitable.
Le texte n’évoque pas directement les maux qui ravagent Haïti, mais chaque silence, chaque geste entre les deux amoureux, chaque mot prononcé, transmet la douleur du pays. Le texte de Gaëlle Bien-Aimé va au-delà de la simple dénonciation. Il fait entendre la voix d’un peuple, tout en exprimant les fragilités et les tensions d’un amour qui se nourrit autant de la lutte que de la beauté. La pièce est à la fois douce et violente, à l’image d’une île où l’on aime passionnément, mais où la séparation semble de plus en plus inévitable.
Ce texte est une immersion dans l’essence même de Port-au-Prince, une ville où l’amour et la violence cohabitent, où l’espoir et la résignation s’entrelacent, et où le passé lumineux se heurte à un avenir sombre. La mise en scène de Lucie Berelowitsch, avec son décor minimaliste mais percutant, nous plonge dans cette chambre, ce lieu clos où les amants cherchent une échappatoire, non seulement à leur ville en ruines, mais aussi à leur propre souffrance. La pièce devient un miroir tendu à la réalité haïtienne, où l’on parle d’amour tout en étant conscient que ce dernier est pris dans les mailles du destin.
Un théâtre engagé, une voix haïtienne forte
Gaëlle Bien-Aimé, en plus de son talent d’autrice, est une militante politique active, membre de l’organisation féministe Nègès Mawon et fondatrice de l’école de théâtre Acte à Port-au-Prince. Son théâtre est un espace de résistance, où l’écriture devient un acte de survie. Dans une interview, elle affirmait : « L’écriture sublime ma blessure. Elle permet de digérer l’amertume. » Et c’est précisément ce qu’elle nous offre ici, une œuvre à la fois réaliste et poétique, qui questionne les notions d’amour, de résistance et de fuite face à l’inhumanité qui se joue sous nos yeux.
Dans une mise en scène soignée, accompagnée par la puissance des mots et la qualité des interprètes, Port-au-Prince et sa douce nuit parvient à capturer l’essence de la tragédie haïtienne, tout en honorant la beauté de l’amour et de la vie. Une œuvre théâtrale inoubliable qui fait écho aux réalités humaines et politiques d’une île, en proie à la destruction mais portée par un amour incassable.
Hélène Lemoine
Texte Gaëlle Bien-Aimé (Prix RFI Théâtre 2022)
Mise en scène Lucie Berelowitsch
Avec Sonia Bonny et Lawrence Davis
Lumières François Fauvel
Musique Guillaume Bachelé
Scénographie Ateliers du Préau sur les conseils d’Hélène Jourdan
Production Le Préau CDN de Normandie-Vire
Coproduction Les Francophonies de Limoges, des écritures à la scène et le CDN de Normandie-Rouen
Théâtre 14
20 avenue Marc Sangnier 75014 Paris
Métro Porte de Vanves (ligne 13)
Bus 58, 59 et 95 – T3 Didot
Places de parking et Vélib face au théâtre
MARDI, MERCREDI, VENDREDI À 20H
JEUDI À 19H
SAMEDI À 16H