Pour le sociologue Louis-Félix Ozier-Lafontaine, la campagne «Déposez les armes» sur l'île antillaise est une «opération qu’il faudra reproduire».
Grenades, munitions, fusils de chasse et revolvers. En deux mois, les Martiniquais ont rapporté dans les commissariats et les gendarmeries du département plus de 460 armes à feu et environ 22 000 munitions. Une récolte considérable, fruit de la campagne «Déposez les armes» menée par la préfecture depuis le 1er février. Pour parvenir à une telle collecte, la préfecture a promis de ne pas poursuivre ceux qui rendaient leurs armes aux autorités, même si celles-ci étaient détenues illégalement.
Cette campagne, largement inspirée de celle menée en 2013 en Guadeloupe, intervient quelques semaines seulement après l’envoi d’une circulaire au procureur général de Fort-de-France par Christiane Taubira, le 2 janvier, dans laquelle la garde des Sceaux soulignait «l’importante circulation d’armes» brandies «pour des mobiles dérisoires». La plupart des meurtres commis dans le département en 2013 l’auraient d’ailleurs été par une arme à feu. Louis-Félix Ozier-Lafontaine, sociologue et auteur de plusieurs ouvrages sur les Antilles, décrypte les raisons de la prolifération des armes en Martinique et la campagne menée par la préfecture.
Pourquoi une telle circulation d’armes en Martinique ?
La circulation d’armes est une caractéristique des Antilles en général, et plus particulièrement des petites Antilles. Elle est surtout liée au trafic de stupéfiants, car les produits toxiques sont des produits d’appel au trafic d’armes. Leur provenance est difficile à connaître de manière précise. Nous savons juste qu’elles ne viennent pas uniquement d’Amérique Latine. Mais ce n’est pas la seule explication à leur présence. L’insécurité, souvent engendrée par ces trafics, a amené la population à s’armer pour se protéger. Même s’il ne s’agit là que d’une faible proportion des armes en circulation.
Qu’est-ce qui peut expliquer l’importance de ce trafic ?
Il existe une corrélation de phénomènes qui concourent à cette violence. Notamment un mimétisme fort. Le monde est mené par une forte proportion de violence. Cette culture arrive dans les sociétés, dans la nôtre en particulier. Cela passe par la consommation d’images, souvent violentes, par exemple dans la cinématographie actuelle. Et en Martinique, elle trouve les conditions favorables pour se développer.
Quelles sont les conditions particulières à la Martinique ?
La principale, c’est une jeunesse désœuvrée. Les jeunes Martiniquais connaissent aujourd’hui la précarité. Nombre d’entre eux sont obligés de s’en aller pour trouver du travail. Entre 10 000 et 15 000 jeunes âgés de 16 à 35 ans se retrouvent sans emploi. Une grande partie d’entre eux se met à consommer des produits illicites, ce qui mène à la violence. C’est une jeunesse qui a le sentiment d’être abandonnée et qui vit dans une précarité matérielle et psychologique. C’est une situation dégradée et dégradante. D’autant plus que le tissu familial a changé lui aussi et ne véhicule plus le même message qu’autrefois. Depuis plusieurs décennies, le nombre de parents au chômage ne cesse d’augmenter. Et beaucoup de jeunes n’ont jamais vu leurs parents travailler.
Qui sont ceux qui ont rendu leurs armes ? Les citoyens ou les trafiquants ?
De manière générale, les armes ont été rendues par la population, qui comprend qu’elles représentent un danger. Et ce danger est double. Premièrement, les gens connaissent la loi. Ils veulent la respecter. En portant une arme, le citoyen ordinaire a un comportement illicite et se met en danger par rapport à la loi. Deuxièmement, ils mettent malgré eux à la disposition des voleurs ou des délinquants un objet qui est dangereux, et qui peut être dérobé.
Pensez-vous que la campagne «Déposez les armes» soit utile ?
C’est une excellente chose. Ça a l’avantage de retirer des mains de la population des objets dangereux, mais aussi de sensibiliser sur le risque lié au port d’arme. La Guadeloupe avait mené une première campagne de ce type l’année dernière, qui avait très bien marché. La Martinique a suivi cet exemple. La préfecture a fait un travail remarquable, mais le nombre d’armes retirées de la circulation n’est pas encore suffisant. C’est une opération qu’il faudra reproduire. Il ne faut surtout pas lâcher maintenant. Il est nécessaire de pointer du doigt les dangers que représente l’arme pour l’individu, comme pour la société.
Recueilli par Aude Deraedt
http://www.liberation.fr/societe/2014/04/15/l-insecurite-a-amene-les-martiniquais-a-s-armer-pour-se-proteger_997988