Aux États-Unis, la course à la sauvegarde des données climatiques effacées par Trump

— Par Eric Nost & Alejandro Paz (*) —

Les informations sur Internet semblent être là pour toujours, mais elles ne sont permanentes que dans la mesure où certaines personnes choisissent de les rendre permanentes. C’est ce que montre la deuxième administration Trump à travers ses efforts pour démanteler les agences scientifiques ainsi que les données et les sites Internet qu’elles utilisent pour communiquer avec le public. Les cibles vont de la santé publique à l’étude de la démographie en passant par les sciences du climat.

Nous sommes respectivement documentaliste de recherche et spécialiste des politiques, et nous appartenons à un réseau appelé Public Environmental Data Partners, une coalition d’organisations à but non lucratif, d’archivistes et de chercheurs. Celles-ci s’appuient, dans leur travail, sur des données fédérales et s’efforcent de faire en sorte que ces données restent à la disposition du public.

L’importance des sites gouvernementaux et de leurs données climatiques

Au cours des trois premières semaines du second mandat de Trump, nous avons vu des agences supprimer l’accès à au moins une douzaine d’outils d’analyse du climat et de la justice environnementale. La nouvelle administration a également supprimé des termes comme “changement climatique” ou “résilience” des sites Internet gouvernementaux. Voici comment nous procédons, au sein de Public Environmental Data Partners, pour que la science du climat, dont dépend le public, soit toujours disponible.

La disponibilité des données et de l’information sur Internet est nécessaire à l’innovation, à la recherche et à la vie quotidienne. Les observations des satellites de la Nasa sont par exemple utilisées par les climatologues de la Nasa, de même que les relevés météo de la National Oceanic and Atmospheric Administration (NOAA), afin de comprendre les changements climatiques en cours et leurs causes.

Des données cruciales pour comprendre et agir face au climat

D’autres chercheurs utilisent ces sources, ainsi que les données du bureau du recensement des États-Unis (Census Bureau) pour savoir qui est le plus touché par le changement climatique. Chaque jour, des personnes du monde entier se connectent au site Internet de l’Agence de protection de l’environnement (EPA) pour comprendre comment se protéger des risques climatiques et pour savoir ce que le gouvernement fait – ou ne fait pas – pour les aider.

Si les données et les outils utilisés pour comprendre des données complexes sont brusquement retirés du net, le travail des scientifiques, des organisations de la société civile et des fonctionnaires eux-mêmes peut s’arrêter.

La production de données et d’analyses scientifiques par les scientifiques du gouvernement est également cruciale. De nombreux gouvernements gèrent des programmes de protection de l’environnement et de santé publique qui dépendent de la science et des données collectées par les agences fédérales.

Transparence en péril : un frein au débat démocratique et à la science

En supprimant des informations des sites Internet gouvernementaux, il est également plus difficile pour le public de participer au débat démocratique, en particulier en ce qui concerne l’évolution de la réglementation. Lorsqu’une agence propose d’abroger une loi, par exemple, elle est tenue de demander l’avis du public, qui dépend souvent des sites Internet gouvernementaux eux-mêmes pour trouver des informations relatives à celle-ci…

Lorsque les ressources internet sont modifiées ou mises hors ligne, la méfiance s’installe à l’égard du gouvernement et de la science. Depuis des années, les agences gouvernementales collectent des données sur le climat, effectuent des analyses complexes, fournissent des financements et hébergent des données accessibles au public. Les données fédérales américaines permettent à des personnes du monde entier de mieux comprendre le changement climatique. En les supprimant, on prive tout le monde d’informations importantes sur le monde dans lequel nous vivons.

Au revoir les données ?

La première administration Trump a supprimé des informations sur le changement climatique et les politiques climatiques à large échelle sur les sites Internet du gouvernement. Cependant, lors de nos recherches avec l’Environmental Data and Governance Initiative au cours de ces quatre premières années, nous n’avons pas trouvé de preuves que des ensembles de données avaient été définitivement supprimés.

La deuxième administration Trump semble différente, avec des suppressions d’informations plus rapides et plus généralisées.

En réponse à cette deuxième offensive, les groupes impliqués dans Public Environmental Data Partners ont archivé de nombreux jeux de données climatiques que notre communauté a classés par ordre de priorité. Nous les avons mis en ligne dans des dépôts publics, en renseignant où et comment les trouver s’ils disparaissaient des sites gouvernementaux.

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La plupart des agences fédérales ont diminué leur recours à l’expression « changement climatique » sur leurs sites Internet au cours de la première administration Trump entre 2017 et 2020. Eric Nost, et coll., 2021, CC BY

Au 13 février 2025, nous n’avions pas encore assisté à la destruction de données scientifiques sur le climat. Nombre de ces programmes de collecte de données, tels que ceux de la NOAA ou le programme de déclaration des gaz à effet de serre de l’EPA, sont exigés par le Congrès. Cependant, l’administration a déjà limité ou supprimé l’accès à de nombreuses données.

Maintenir les outils qui permettent de comprendre le changement climatique

Nous avons observé un effort ciblé pour supprimer systématiquement les outils tels que les tableaux de bord qui résument et visualisent les dimensions sociales du changement climatique. Par exemple, le Climate and Economic Justice Screening Tool, qui a cartographié les communautés à faible revenu et autres communautés marginalisées qui devraient subir les plus graves effets du changement climatique, comme des pertes de récoltes et des incendies de forêt. L’outil de cartographie a été mis hors ligne peu après la première série de décrets de Trump.

La plupart des données originales sur lesquelles reposait l’outil de cartographie, comme les prévisions des risques d’incendies de forêt, sont toujours disponibles, mais il est désormais plus difficile de les trouver et d’y accéder. Mais comme l’outil de cartographie a été développé dans le cadre d’un projet open source et que son code source était disponible, nous avons pu le recréer.

Protéger les sites Internet sensibles

Dans certains cas, des pages web entières ont été mises hors ligne. Par exemple, la page du centre du changement climatique du ministère des transports, qui existait depuis 25 ans, n’existe plus. Le lien renvoie simplement les visiteurs vers la page d’accueil du ministère.

D’autres pages existent encore, mais sont difficiles d’accès. Par exemple, l’EPA n’a pas encore supprimé ses pages sur le changement climatique, mais elle a supprimé le terme « changement climatique » de son menu de navigation, ce qui rend ces pages plus difficiles à trouver.

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Au cours de la première semaine de mandat de Donald Trump, le ministère des transports a supprimé la page Internet de son centre sur le changement climatique. Internet Archive Wayback Machine

Heureusement, nos partenaires de la End of Term Web Archive ont « capturé » des instantanés de millions de pages web gouvernementales et les ont rendus accessibles via la Wayback Machine d’Internet Archive. Le groupe procède à cette opération après chaque nouvelle administration présidentielle depuis 2008.

Si vous regardez une page web et que vous pensez qu’elle aurait auparavant dû inclure une discussion sur le changement climatique, vous pouvez utiliser l’outil « changements » de la Wayback Machine pour vérifier si le langage a été modifié au fil du temps, ou naviguer vers les instantanés du site de la page datant d’avant l’investiture de Trump

Ce qu’il est possible de faire

Vous pouvez également retrouver des ensembles de données et des outils archivés sur le climat et la justice environnementale sur le site web des Public Environmental Data Partners. D’autres groupes archivent les données du portail américain Data.gov et les rendent accessibles ailleurs.

Certains chercheurs mettent également en ligne des jeux de données dans des dépôts publics consultables comme OSF, géré par le Center for Open Science.

Si vous craignez que certaines données encore disponibles ne disparaissent, consultez cette checklist des bibliothèques du MIT. Elle indique les étapes à suivre pour contribuer à la sauvegarde des données fédérales.

Quand la sphère des connaissances rétrécit

Ce qui n’est pas clair, c’est de savoir jusqu’où l’administration Trump ira pour supprimer, bloquer ou dissimuler les données et la science du climat, et surtout dans quelle mesure elle y parviendra.

Le juge d’un tribunal fédéral a d’ores et déjà estimé que la suppression par les Centers for Disease Control and Prevention de ressources de santé publique sur lesquelles s’appuient les médecins était préjudiciable et arbitraire. Ces ressources ont été remises en ligne grâce à cette décision.

Nous craignons que d’autres suppressions ne réduisent la compréhension du public sur le changement climatique, laissant les personnes, les communautés et les économies non préparées exposées à des risques plus importants. Si les efforts d’archivage des données peuvent, dans une certaine mesure, endiguer la vague de suppressions, rien ne remplacera les infrastructures de recherche gouvernementales qui produisent et partagent les données sur le climat.

(*) À propos des auteurs :
– Eric Nost.
Associate Professor of Geography, University of Guelph.
– Alejandro Paz. Energy and Environment Librarian, Massachusetts Institute of Technology (MIT).
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

Source : WeDemain