— Par Max Casimir —
Deux blessures ouvertes dans le corps de mes souvenirs : les premiers de ses souvenirs sont bien enracinés dans le temps où tous les défis étaient envisageables..
Frank, par sympathie, tu nous permettais de t’appeler par ton prénom. Frankétienne, ton nom d’écrivain, de peintre était en gestation.
Accueillis à ton domicile dans une classe de « philo » expérimentale, tu nous a appris la beauté des nuances et l’efficacité de l’exactitude. Tes leçons érigées en méthode ont été pour nous, d’une grande utilité dans notre parcours universitaire.
Trente années plus tard, en 1994, lors de ta première visite en Martinique, j’ai été désigné par le Professeur Jean Bernabé pour prononcer les mots d’accueil à la faculté des lettres de l’ U.A.G. et j’ai encore gravé dans ma mémoire l’émotion lue sur les traits de ton visage à l’écoute notamment de ma conclusion : « quelle bonne nouvelle vous nous apportez Frankétienne ? ». Cette assimilation à un oiseau de bon augure t’allait à merveille. A toi qui dans les moments de rupture et d’incertitude a toujours su trouver les bonnes formules, les gestes bienveillants pour baliser et éclairer les chemins.
Je me souviens que lors de mon départ d’Haïti, je me suis rendu à ton domicile pour un « au revoir » empreint d’affection et de reconnaissance. Au moment de la séparation, tu as mis dans ma main un de ton premier recueil de poésies : « Vigie de verre », sorti tout chaudement des Presses en 1965. Ce talisman m’a accompagné durant tout mon voyage, à surveiller l’horizon ouvrant sur des rivages lointains.
Ton séjour en Martinique a été un instant de retrouvailles. Au cours d’un repas à la maison, dans une ambiance couleur d’espérance pour une nouvelle Haïti, je me suis fait l’interprète de ma génération, de celle qui t’a voué une sincère admiration pour t’adresser nos plus vifs remerciements.
°°°°°
°°°
°
La deuxième blessure se situe dans des souvenirs qui ne connaîtront pas le temps de la maturation. Ils intéressent ma rencontre avec le journaliste de Martinique la première Bertrand Caruge. J’avoue que son invitation à être la personnalité de son émission « honnè épi respè » a été reçue avec un mélange de satisfaction et d’étonnement. Dans la circonstance douloureuse de sa soudaine disparition, ces sentiments sont prolongés par une profonde tristesse.
L’image que je garderai de toi, Bertrand, est celle d’une personne d’un caractère jovial, sympathique, sachant allier la simplicité au professionnalisme. J’ai découvert un journaliste féru de littérature et grand connaisseur de la musique haïtienne, me servant de guide dans le choix de l’accompagnement musical de l’émission.
Aujourd’hui, Frankétienne et Bertrand Caruge ont tous les deux tiré leur révérence. Ils ont accompli brillamment leurs missions de passager que nous sommes tous, laissant des souvenirs inestimables.
Max Casimir le 23 février 2025