Une exposition sur « Le Temps »

Pour fêter les trente ans de Recherches en Esthétique

— par Selim Lander — Pour marquer la parution du nouveau numéro de la revue annuelle Recherches en Esthétique, son directeur, Dominique Berthet, a invité seize plasticiens à exposer quelques œuvres en rapport plus ou moins direct avec « Le Temps », la thématique retenue pour ce numéro. On devine que le choix de ce sujet ne fut pas le fruit du hasard, car si le temps s’inscrit bien dans tout processus créatif, d’un côté, ou contemplatif de l’autre (celui des regardeurs), ce choix est une manière de souligner tout le « temps » passé depuis l’origine de la revue, trente ans tout rond, trois décennies pendant lesquelles Recherches en Esthétique a paru avec une rigueur métronomique, y compris pendant les années COVID.

Il faut saluer cet exploit : bien peu de revues tiennent aussi longtemps sans interruption et sous le même format. Ainsi la Revue d’Esthétique, certes plus ancienne puisque créée en 1948, a-t-elle connu de nombreuses vicissitudes, changements de périodicité (trimestrielle, semestrielle), de forme et d’éditeur, cessant même de paraître en 2004 avant de renaître, en 2008 sous l’intitulé Nouvelle Revue d’esthétique. Il a existé naturellement depuis longtemps des revues qui rendaient compte des expositions (comme à la Martinique Madinin’art !), enrichies de quelques articles plus fouillés, à l’instar de Beaux-Arts (créée dès 1923, qui a cessé de paraître en 1944), Artpress (créée en 1972), Beaux-Arts Magazine (créé en 1983) mais il s’agit de revues grand public qui ont, bien sûr, leur utilité mais qui ne sont pas, contrairement aux premières citées, l’œuvre d’universitaires à la pointe de la recherche.

Valérie John

Recherches en Esthétique est associée au Centre d’Études et de Recherches en Esthétique et Arts Plastiques (CEREAP) de l’Université des Antilles. Cette origine lui confère une spécificité par rapport à toutes les revues consacrées à l’art ; on ne s’étonnera pas si, à côté des articles savants creusant le thème de chaque numéro, elle accorde une place aux événements marquants qui ont eu lieu dans la Caraïbe (par exemple les Biennales de Cuba) comme à ses artistes les plus remarquables.

Les artistes réunis en ce moment à Saint-Pierre sont martiniquais ou, s’ils ne résident pas tous en permanence sur l’île, ils y ont de solides attaches. On s’émerveille en visitant l’exposition devant la diversité des inspirations, des manières, des matières, des supports. L’exposition se tient à l’étage du Créole Art Café. Au débouché de l’escalier, on est saisi immédiatement par une sculpture de Bruno Creuzet (1) qui paraît représenter une carapace de tortue couverte de pustules, éclairée par en-dessous d’une lumière bleue. Le titre aidera peut-être à percer son mystère : Chak bèt a fé ka kléré pou nanm’yo (2).

Les œuvres se succèdent, qui vous toucheront plus ou moins en fonction de votre sensibilité, de vos goûts. On interprétera sans doute différemment la toile parsemée de perles de Laurent Valère (ci-dessus), avec son style de bandes dessinées, suivant que l’on est optimiste ou pessimiste. Le patchwork de Valérie John (faut-il vraiment caractériser ainsi cette œuvre composite ?) est vraisemblablement la pièce maîtresse de l’exposition, en tout état de cause celle devant laquelle les visiteurs s’attardent le plus volontiers et sans doute cela tient-il autant à son côté énigmatique qu’à la puissance esthétique qu’elle dégage. Quant aux écrits de Raymond Médélice ils possèdent en tout cas le mérite de l’à-propos, puisque l’érosion est ce qui marque le mieux le passage du temps.

Raymond Médélice

 

(1) Qui n’est autre que le père de Julien Creuset, l’artiste qui a représenté la France à la dernière Biennale de Venise.

(2) Chaque luciole éclaire sa propre âme ou, plus prosaïquement, dans la vie c’est chacun pour soi…

Le Temps, Créole Art Café, Saint-Pierre, Martinique, 7 février – 15 mars 2025