« Femme ! » de Cindy Richard

— Par Selim Lander —

La Martinique a eu la primeur de Femme !, une pièce écrite et mise en scène par Cindy Richard, également présente sur le plateau avec quatre autres comédiennes. Comme le nom le laisse deviner, il s’agit d’une pièce féministe et celle-ci se développe sur deux axes : 1) les combats des femmes et leurs acquis et 2) en contrepoint, toutes les violences, toutes les injustices dont elles demeurent victimes. Vaste programme qui risque de paraître indigeste, mais ce ne fut certainement pas le cas pour le public martiniquais qui a beaucoup applaudi, pendant et après.

On ne sait jamais avec ce genre de pièce à messages si le public est heureux de se voir conforté dans ses certitudes, qu’elles lui viennent de son expérience vécue ou qu’elles correspondent à son idéologie (1), c’est-à-dire à tout ce qu’il a déjà appris et retenu de son milieu familial, de ses fréquentations, des médias, de l’école, etc., ou bien s’il est séduit par le côté spectaculaire, à moins que ce ne soit les deux à la fois.

Le critique qui, fatalement, n’en est pas à sa première pièce féministe, s’intéresse surtout à la manière dont tout cela (car la pièce vise à l’exhaustivité) peut faire théâtre. Quand Molière voulait mettre le doigt sur l’un l’autre des maux dont souffraient les femmes de son temps, il inventait une intrigue avec des rebondissements, des personnages au caractère bien trempé. Pour dénoncer, par exemple, la manière dont certains vieux barbons abusaient d’innocentes jeunes-filles, il écrivit l’École des femmes (« le petit chat est mort ! »). Il n’aurait pas eu l’idée de faire rentrer dans une seule pièce tout le catalogue des conquêtes et des défaites féminines. Tandis que Cindy Richard ne veut rien laisser échapper, depuis Olympe de Gouge jusqu’à MeToo et les débats actuels sur le « consentement » en passant par la Mulâtresse Solitude, le combat des femmes noires américaines pour les droits civiques, Simone Veil (mais pas Simone Weil qui s’intéressait plutôt à l’exploitation de l’homme par l’homme) et Simone de Beauvoir, etc. Quant aux maux dont les femmes sont accablées : viols, conjoints violents, maladies diverses dont la désormais célèbre endométriose, etc., là encore il semble que l’autrice veuille tout dire.

Bâtir un spectacle avec tant de messages à communiquer sans tomber dans un préchi-précha didactique paraît bien difficile et de fait Femme ! n’y échappe pas complètement. Heureusement, les énumérations sont rendues moins fastidieuses par la façon dont circule la parole entre les comédiennes et, surtout, la pièce contient certaines mises en situation – le groupe de paroles, l’accueil dans un commissariat, les réactions des amies face à la femme battue, les controverses sur la beauté (quid des poils sous les aisselles ?) ou sur le désir d’enfant, etc. – qui ne manquent pas d’humour et détendent agréablement l’atmosphère. Que le rire soit un moyen des plus efficaces pour faire accepter des idées très sérieuses n’est plus à démontrer.

La pièce s’achève d’abord de manière assez inquiétante pour les hommes quand les comédiennes, du bord du plateau, les toisent en criant « Sous mon sein la grenade! », puis plus consensuellement par un appel à la mobilisation des femmes.

Les comédiennes – noires ou blanches, blonde, brunes ou rousse – sont pieds nus et tout de blanc vêtues, ce qui accentue le côté en partie choral d’une pièce qui se joue sans décor avec cinq chaises identiques comme seuls accessoires. Les modulations des lumières demeurent discrètes. Il y a peu de musique enregistrée, comme lors d’un moment de danse heureusement très bref : jouer la comédie et danser sont deux métiers différents ; il est risqué de vouloir passer de l’un à l’autre.

Last but not least : Cindy Richard, lors des remerciements à la fin, n’a pas omis de mentionner nommément les médias qui, en annonçant la pièce, ont – a-t-elle justement remarqué – contribué à remplir la salle (effectivement comble), parmi lesquels Madinin’art. Même si elle l’a un peu écorché, cela est si exceptionnel qu’on se devait de le signaler. Grâce lui en soit rendue.

Femme !, écriture et mise en scène Cindy Richard, avec Valentkia Antoine, Luciel Kanel, Solange Mazeau, Florence Naprix et Cindy Richard. Lumières de Lilia Aruga et Roger Olivier. Fort-de-France, Tropiques-Atrium, 12 février 2025.

(1) Ensemble d’idées, de concepts à partir desquels la société est interprétée.