— Par Jean-Marie Nol —
Le tableau pour l’économie de la Guadeloupe est assez sombre : les annonces de fermetures d’entreprises se sont succédé fin 2024 et les perspectives de croissance sont tombées à « leur plus bas niveau depuis près de dix ans hors crise sanitaire », selon les données publiées par l’Insee. Un baromètre de l’IEDOM confirme cette mauvaise passe, avec des prévisions de recrutement des entreprises guadeloupéennes pour 2025 en net repli et alors même que la formation professionnelle traverse une mauvaise passe en Guadeloupe . Pourtant la formation initiale revêt une importance cruciale pour préparer les plus jeunes à intégrer le marché du travail. Cependant, de nombreux systèmes éducatifs ne parviennent pas à fournir les compétences nécessaires pour répondre aux besoins changeants du marché. Il faut aussi rassurer nos générations futures sur nos métiers, les leurs, et l’avenir de l‘entreprise dans le monde de demain. Leur donner l’envie, l’espoir de s’épanouir quotidiennement, les inspirer et être nous-mêmes inspirés par les enjeux d’avenir de la formation !
Mais actuellement ce n’est pas le cas de la fa formation professionnelle qui mal inspirée traverse actuellement une crise profonde, mettant en péril l’avenir économique et social du territoire. Alors que le monde connaît une mutation accélérée avec l’essor de l’intelligence artificielle, la région accumule des retards inquiétants, menaçant la qualification de sa population et sa capacité à s’adapter aux transformations du marché du travail. Et pourtant, il s’avère important de repenser la formation en Guadeloupe pour répondre aux enjeux du XXIe siècle. En effet , il est concevable qu’au cours des dix prochaines années, les systèmes d’intelligence artificielle dépassent le niveau de compétence des experts dans la plupart des domaines et réalisent autant d’activités productives que l’une des plus grandes entreprises d’aujourd’hui. »
Ces dernières innovations en IA se démocratisent à une vitesse inédite et phénoménale laissant craindre l’apparition d’un chômage massif dans le monde.
C’est a priori ce que peuvent laisser penser des annonces comme celle de British Telecom en mai 2023 qui prévoit de licencier 55,000 personnes d’ici à 2030, dont jusqu’à 20% remplacées par l’IA. Cela rappelle étrangement la folie qui s’était emparé du monde du travail, lors de la publication par deux chercheurs d’Oxford d’un article annonçant la suppression de la moitié des emplois aux Etats Unis et en Europe dans un futur proche. Dans « The Future of Employment : How Susceptible Are Jobs to Computerisation », Carl Benedikt Frey et Michael A. Osborne étudiaient 702 métiers et estimaient la probabilité qu’ils soient remplacés par des machines intelligentes. Selon l’étude, certains secteurs couraient peu de risques d’être automatisés, comme l’éducation ou la santé. En revanche, les métiers de la vente, les emplois administratifs, agricoles ou même du transport présentaient de très gros risques. Pour les États-Unis, les auteurs estimaient que « 47 % des actifs se trouvent dans un secteur à haut risque de chômage » et que leurs emplois pourraient être remplacés par des robots ou machines « intelligentes » dans un délai de dix ans. Il est probable aussi que le temps de travail moyen continue de diminuer, il était d’après l’OCDE d’environ 60 heures par semaine en moyenne à la fin du XIXème siècle en France, et en dessous de 40 heures aujourd’hui. En 1930 déjà John Maynard Keynes écrivait dans “Economic Possibilities for our Grandchildren” qu’en 2030 on ne travaillerait que 15 heures par semaine grâce au progrès technique.
C’est là dans ce contexte dans un monde du travail en constante évolution, que les entreprises sont confrontées à des défis sans précédents en matière de formation. La nature même du travail est en train de se transformer, sous l’influence de la révolution technologique , des changements économiques et des attentes différentes des salariés, nous le savons tous à travers les expériences des générations Y et Z voire Alpha . Pour rester compétitives et préparer leurs équipes à affronter l’avenir, les entreprises doivent repenser leur approche de la formation, tant initiale que continue.Face à l’évolution rapide du marché, la formation professionnelle continue se présente comme un pilier incontournable tant pour les individus que pour les entreprises. En France et ailleurs, elle est vue non seulement comme un outil pour enrichir les compétences mais aussi comme une force motrice pour la reprise économique et l’emploi. Mais en Guadeloupe le marché de la formation professionnelle est à la fois en déclin et en pleine déliquescence . C’est grave ,car selon le baromètre 2024 de la formation et de l’emploi , 41 % des salariés estiment que leur métier évolue très vite… et leurs compétences doivent suivre ! Près de 20 % des actifs pensent qu’ils exerceront un métier différent d’ici 5 ans, alors que près de la moitié d’entre eux s’attendent à devoir exercer leur métier d’une manière nouvelle dans les prochaines années. À leurs yeux, les mutations qui impacteront à très court terme le marché du travail sont principalement de trois ordres : transition écologique, transition digitale et transition énergétique. Au total, ce sont 90 % des actifs qui estiment nécessaire de se former au cours de leur vie professionnelle pour répondre aux défis d’un monde du travail en pleine mutation. En outre, ils sont plus d’un tiers à penser changer d’emploi d’ici 2 ans (72 % chez les 18 – 24 ans). In fine, la formation professionnelle est perçue par une bonne partie des salariés comme un tremplin pour grandir au sein d’une organisation, renforcer et élargir ses compétences, mais aussi pour réussir une reconversion professionnelle.
Des tendances que les entreprises ont l’obligation de prendre en compte si elles veulent continuer à accompagner efficacement leurs collaborateurs dans leur progression. La situation actuelle en Guadeloupe est le résultat de multiples défaillances, à commencer par la gestion catastrophique de l’organisme public Guadeloupe Formation, incapable de maintenir son label Qualiopi et privé de financements publics. Derrière les discours rassurants des autorités régionales se cache une réalité bien plus sombre : des millions d’euros perdus, des salariés sans emploi et une formation quasi à l’arrêt.
L’échec cuisant de la formation en Guadeloupe constitue un signal alarmant. Face à la montée en puissance de l’IA, la non-adaptation du système éducatif et des dispositifs de formation risque d’exclure une partie croissante de la population. La fracture numérique se creuse, laissant sur le bord du chemin ceux qui ne peuvent accéder à des compétences nouvelles. L’absence d’investissements locaux dans les technologies de pointe renforce la dépendance aux grands groupes extérieurs, réduisant l’autonomie économique de l’île. Pire encore, la transformation du marché du travail local se fait au détriment des emplois qualifiés, forçant les jeunes diplômés à quitter leur territoire en quête d’opportunités ailleurs. La Guadeloupe, loin de profiter des opportunités offertes par le numérique et l’IA, semble condamnée à en subir les effets négatifs.
Si des initiatives existent pour anticiper ces mutations, leur portée reste limitée par des freins structurels. L’Université des Antilles propose des formations en informatique et en intelligence artificielle, et des écoles de coding ou fablabs émergent pour sensibiliser la jeunesse aux métiers du numérique. Quelques start-ups et incubateurs locaux tentent également d’explorer ces nouvelles technologies, notamment dans l’agriculture, la finance et la logistique. Pourtant, ces avancées restent largement insuffisantes face aux enjeux. Le manque de coordination politique entre les institutions (Région, Département, État) freine le déploiement de stratégies efficaces. L’infrastructure numérique demeure inadaptée, avec une couverture internet encore trop inégale pour garantir un accès équitable aux services et formations en ligne. L’exil des talents se poursuit, les jeunes qualifiés préférant partir plutôt que de subir l’absence de perspectives locales. Enfin, la dépendance économique aux acteurs extérieurs limite la capacité d’innovation locale, empêchant la Guadeloupe de devenir un pôle technologique autonome.
Mais c’est surtout l’état de Guadeloupe Formation qui illustre le mieux cette gestion défaillante. Véritable navire amiral de la formation professionnelle sur l’île, l’organisme est aujourd’hui à l’arrêt. La perte de son label Qualiopi, indispensable pour mobiliser des financements publics, a signé son effondrement. Derrière cet échec se cache une série de fautes graves : audits non réalisés, délais non respectés, et une négligence manifeste de la direction. L’argument avancé par le président de la Région Ary Chalus, évoquant un simple retard de paiement, ne tient pas face aux faits. En somme, l’organisme est devenu inopérant.
Cette débâcle ne concerne pas seulement Guadeloupe Formation. L’École régionale de la deuxième chance (ER2C) est également touchée, ayant perdu son propre label. L’audit qualité réalisé en 2024 a révélé des manquements criants : absence de stagiaires, encadrement insuffisant, absence d’actions pour attirer le public ciblé, et manque de moyens pour fonctionner. La conséquence est lourde : la Guadeloupe est aujourd’hui le seul département d’Outre-mer à ne plus disposer d’une école viable de la deuxième chance, alors que ces structures sont essentielles pour l’insertion des jeunes en difficulté.
L’avenir de Guadeloupe Formation ainsi que celui de l’école de la deuxième chance apparaît des plus incertains. Malgré cela, Ary Chalus continue d’affirmer que la formation se porte bien, évoquant 8 000 formations annuelles et des conventions signées avec l’armée et France Travail. Mais ces chiffres occultent une réalité bien plus préoccupante selon les échos médiatiques : que devient Guadeloupe Formation, qui emploie près de 180 salariés et absorbe des millions d’euros de fonds publics ? Quelle est la justification de ces dépenses alors que l’organisme ne dispense quasiment plus de formations ? Un formateur témoigne de son désarroi : il vient chaque matin au travail sans stagiaires depuis trois ans. Un autre agent affirme que le démantèlement de la structure est déjà programmé, tandis que le président de Région se contente d’évoquer une « réflexion » à mener sur son avenir.
La crise ne s’arrête pas là. Les salariés, eux, sont dans une situation précaire : sans activité, sans perspective, et avec un statut administratif flou. Ni agents publics, ni salariés privés, ils évoluent dans une zone grise juridique qui menace leur avenir professionnel.
Cette gestion désastreuse obscurcit profondément l’avenir de la formation en Guadeloupe. À l’heure où le monde évolue vers une économie de la connaissance et où l’intelligence artificielle redéfinit les métiers, l’île s’enfonce dans l’inaction et le gâchis. La perte des labels de certification, l’abandon des infrastructures, le manque de vision politique et l’exil des talents forment un cocktail explosif qui pourrait priver des générations entières de perspectives professionnelles solides. Il est urgent que les autorités étatiques et surtout régionale prennent la mesure du problème et mettent en place une stratégie ambitieuse pour redresser la formation, en rétablissant l’ordre chez Guadeloupe Formation, en investissant massivement dans les infrastructures numériques et en favorisant un écosystème propice à l’innovation et à l’entrepreneuriat local. Faute de quoi, la Guadeloupe restera spectatrice d’un monde en mutation qui change, sans jamais en devenir actrice.
Jean-Marie Nol, économiste