— Par Jean-Marie Nol —
L’histoire de la colonisation , qui de tout temps a été associée à des épisodes de guerres de conquête , est étroitement liée à l’appropriation des ressources et à l’exploitation des richesses naturelles, souvent en réponse aux besoins des puissances dominantes à des moments clés de leur développement économique ou technologique. Ce même schéma pourrait se reproduire à l’avenir pour plusieurs raisons tenant notamment à la nouvelle géostratégie mondiale. Plus de doute dans mon esprit après les déclarations de Donald Trump visant à prendre le contrôle de Gaza et en faire une nouvelle côte d’azur du Moyen Orient sans les palestiniens , ainsi que l’annexion de la Cisjordanie occupée par Israël, alors même que les prémisses d’une nouvelle domination économique et financière se font jour sur l’Afrique, l’Amérique du Sud, une partie du sud-est asiatique et surtout la région Caraïbe qui vont faire l’objet d’une nouvelle période de colonisation aussi brutale que dans le passé. La question d’une potentielle troisième vague de colonisation au XXIe siècle va ainsi émerger comme un enjeu crucial, à la croisée des avancées technologiques majeures et des ambitions. L’ombre de la recolonisation plane à nouveau sur le monde. Ce que l’histoire a laissé croire relégué aux siècles passés semble refaire surface sous des formes différentes, mais avec une même finalité : le contrôle des ressources et la domination des territoires stratégiques. La montée en puissance de nouvelles puissances économiques, la quête effrénée de minerais critiques pour les révolutions technologiques, la militarisation des océans et de l’espace, ainsi que l’affirmation du protectionnisme économique redessinent les rapports de force mondiaux. Loin d’être un simple fantasme d’historiens ou de géopoliticiens, la perspective d’une troisième vague de colonisation du XXIe siècle se profile, menaçant particulièrement les régions les plus vulnérables, dont l’Afrique, le Moyen Orient, l’Amérique du Sud et voire même les Antilles françaises et d’autres territoires d’outre-mer.
Le modèle colonial classique, marqué par l’annexion directe des terres et l’assujettissement politique des populations, appartient à l’histoire. Pourtant, ses logiques sous-jacentes n’ont jamais vraiment disparu. Elles ont muté, s’adaptant aux nouvelles réalités économiques et technologiques. Aujourd’hui, la domination s’exerce de manière plus subtile, à travers la dette, les accords commerciaux inéquitables, la dépendance technologique et la mainmise sur les ressources stratégiques. Les puissances économiques ne cherchent plus à imposer des gouvernements coloniaux, mais à instaurer des relations d’asservissement par des mécanismes de contrôle plus sophistiqués à l’aide notamment des moyens de puissance technologiques de l’intelligence artificielle .
Cette dynamique est d’autant plus inquiétante que l’épuisement progressif des ressources terrestres accélère une course effrénée vers de nouveaux espaces d’exploitation. Les océans, avec leurs immenses richesses en minerais sous-marins, et l’espace, promesse d’une nouvelle ère d’extraction de métaux rares sur les astéroïdes, deviennent les nouvelles frontières d’une appropriation économique aux allures de conquête. Cette compétition pour l’accès aux ressources stratégiques n’échappe à aucune grande puissance : États-Unis, Chine, Russie et Europe s’y livrent une bataille silencieuse, mais implacable, utilisant tantôt la puissance économique, la technologie, tantôt la diplomatie, et parfois la force militaire.
Dans ce contexte, les territoires ultramarins sont en première ligne. Longtemps considérés comme des espaces périphériques, ils se retrouvent aujourd’hui au cœur des enjeux géopolitiques contemporains. La France, par exemple, avec sa deuxième plus grande zone économique exclusive (ZEE) mondiale, possède des atouts stratégiques considérables. Mais ces atouts sont aussi des points de vulnérabilité. La ruée vers les grands fonds marins, dopée par les besoins croissants en terres rares et autres minerais critiques, expose ces territoires à une exploitation qui pourrait reproduire les logiques du passé, sous couvert de progrès et d’innovation technologique.
Loin d’être une simple théorie, cette nouvelle forme de colonisation s’appuie sur des stratégies bien rodées. L’endettement massif de certains pays en développement, notamment par le biais d’initiatives telles que les « Nouvelles Routes de la Soie » chinoises, les soumet à une dépendance économique qui réduit leur souveraineté. De la même manière, les accords commerciaux déséquilibrés maintiennent certains pays dans une position de simple fournisseur de matières premières, incapables de développer leur propre industrie. Ce schéma, déjà observé en Afrique et en Amérique du Sud, risque de s’étendre aux Antilles et aux autres territoires ultramarins, où la fragilité économique et la dépendance aux importations renforcent leur vulnérabilité.
L’un des leviers les plus puissants de cette domination contemporaine repose sur la technologie. L’intelligence artificielle, la finance numérique, la biotechnologie et la robotique sont devenues des instruments d’influence aussi redoutables que les armées coloniales d’autrefois. Les nations capables de maîtriser ces outils imposent leurs règles aux autres, conditionnant leur développement à des choix technologiques qui les placent sous une dépendance durable. L’ascension fulgurante de la Chine dans ces domaines, face aux tentatives des États-Unis de conserver et d’accroître leur hégémonie, illustre parfaitement cette nouvelle guerre silencieuse où la supériorité économique se transforme en domination politique.
L’histoire nous enseigne que les cycles de domination ne se brisent que par une prise de conscience des peuples et par des stratégies de résistance adaptées. Or, dans les Antilles françaises, le débat politique semble s’enfermer dans une spirale idéologique stérile, occultant les véritables défis économiques et stratégiques. Les discours mémoriels et identitaires, bien que légitimes dans leur essence, prennent souvent le pas sur la construction d’un modèle économique résilient. Pourtant, seule une autonomie économique réelle permettrait à ces territoires de ne pas tomber dans les nouvelles formes d’assujettissement qui se profilent.
L’urgence est donc de repenser en profondeur les choix économiques et stratégiques. La dépendance aux importations, la faiblesse de la production locale et l’absence d’une véritable industrie innovante rendent ces territoires extrêmement vulnérables aux turbulences géopolitiques. Plutôt que d’attendre une évolution institutionnelle qui ne changera rien aux fondamentaux économiques, il s’agit de bâtir une économie capable de résister aux pressions extérieures et d’exploiter intelligemment les richesses locales. Le tourisme, l’agriculture, les énergies renouvelables et les industries technologiques doivent être au cœur d’un nouveau modèle de développement, tourné vers l’avenir plutôt que vers les conflits du passé.
Mais cette transformation ne pourra s’opérer sans une prise de conscience des enjeux globaux. Le monde de demain sera structuré par la maîtrise des ressources naturelles et des technologies avancées. Ceux qui ne s’adaptent pas à cette réalité seront réduits à des fournisseurs de matières premières, soumis aux décisions de puissances lointaines. Le cas de la Guadeloupe et de la Martinique illustre cette tension entre l’héritage du passé et la nécessité d’une rupture stratégique. Tant que la priorité restera aux revendications politiques et idéologiques sans réflexion économique approfondie, ces territoires continueront d’être à la merci des décisions prises ailleurs.
Le piège de Thucydide, selon lequel une puissance dominante entre inévitablement en guerre avec une puissance émergente, se joue aujourd’hui sur le terrain économique. La rivalité sino-américaine, exacerbée sous l’ère Trump, en est l’illustration la plus flagrante. L’économie n’est plus seulement un moteur de croissance, elle est devenue une arme stratégique. Les sanctions, les embargos, les manipulations monétaires et les guerres commerciales redessinent les équilibres internationaux avec une brutalité qui rappelle d’autres époques. Les entreprises multinationales, désormais plus puissantes que certains États, participent à cette dynamique en dictant leurs règles aux économies les plus fragiles.
Dans ce contexte, la politique économique protectionniste de Donald Trump n’était pas une simple posture électorale, mais une véritable doctrine expansionniste. En imposant des droits de douane, en restructurant les accords commerciaux et en plaçant l’Amérique au centre des échanges internationaux, il a tenté de remodeler le monde selon les intérêts américains. Mais cette logique, loin de s’arrêter aux frontières des États-Unis, influence toutes les régions dépendantes du commerce international, y compris les territoires ultramarins.
L’économie est donc bien plus qu’un simple domaine d’étude ou un levier de croissance. Elle est devenue l’élément structurant des relations internationales, un outil de domination aussi puissant que la force militaire. À travers la consommation, la production et les échanges, chaque nation façonne son avenir. Comprendre cette réalité est essentiel pour anticiper les mutations du monde et éviter de tomber dans les pièges d’une recolonisation insidieuse.
Face à ces défis, les Antilles et autres territoires ultramarins doivent cesser de penser leur avenir uniquement sous le prisme institutionnel et politique. Le véritable enjeu est économique : bâtir une autonomie productive, investir dans l’innovation et réduire la dépendance aux importations. Ce n’est qu’à ce prix qu’ils pourront échapper aux nouvelles formes de domination qui s’annoncent et s’imposer comme des acteurs économiques à part entière sur la scène nationale et mondiale.
« Pa konnèt mové, rasin a-y anmè »
Traduction littérale :Ne pas connaître est mauvais.(L’ignorance est mauvaise, sa racine a un goût amer).
Moralité
Il est important de s’instruire, d’acquérir des connaissances.
Jean-Marie Nol économiste