Avec cette somme dérisoire et trois semaines de tournage, Audrey Estrougo réussit une œuvre sensible sur l'itinéraire d'une victime d'un viol.
— Par Jean-Pierre Lacomme —
La voix est douce, ce qu’elle filme est fort. Une histoire banale est né d’un refus et d’une révolte. Le refus : celui des producteurs et distributeurs de financer un long métrage sur les femmes en prison, Taulardes. « Ce ne sont certainement pas des considérations économiques qui allaient m’empêcher de tourner. Par ailleurs, je suis très obstinée », assène gentiment mais fermement Audrey Estrougo, 30 ans, dont la profession de foi est de « témoigner de son temps. Je n’ai rien contre le cinéma de distraction mais… » La révolte? Comment le viol est perçu. « Qu’est-ce que c’est que cette société qui considère souvent que la victime d’un viol l’a un peu cherché ne serait-ce que par sa façon de s’habiller? C’est intolérable. Pas seulement comme cinéaste, j’ai voulu faire part de mon indignation citoyenne. »
Avec rage et énergie, Audrey Estrougo écrit le scénario en une semaine. Où l’on voit Nathalie (excellente Marie Denardaud), trentenaire à la veille de son mariage, être raccompagnée un soir par un collègue qui l’agresse. Entre un fiancé attentionné mais malhabile – « Pourquoi t’as pas porté plainte? » – et une police suspicieuse – « Vous portiez une jupe? » – Nathalie va perdre pied jusqu’à ce qu’elle retrouve goût à la vie. Là encore, producteurs et distributeurs se font tirer l’oreille. « T’as pas plus fun comme sujet ? », s’entend dire la cinéaste, qui en est pourtant à son troisième film. Ou encore : « Tu ne veux pas prendre une comédienne plus connue? »
Des scènes tournées dans 4 m²
« Je n’ai cédé sur rien », dit fièrement Audrey telle une petite chèvre qui aurait terrassé le loup. Le système se montre trop frileux et ne veut pas d’elle. Qu’importe. La jeune femme sollicite parents, amis, Web et réunit… 8.000 euros! À peine le prix d’un éternuement dans Avatar. Une histoire banale est tourné en trois semaines et en grande partie chez elle. « Mon appartement fait 40 m² et la salle de bains, où se déroulent de nombreuses scènes, 4 m2… » Dans de telles conditions, Audrey Estrougo a pourtant réussi un petit miracle. Propos sensible, cadrage soigné, délicat dans son traitement, bouleversant sans être larmoyant, Une histoire banale n’a rien du brûlot féministe auquel on aurait pu s’attendre. « C’est bien un film que j’ai voulu faire, souligne-t-elle, pas un documentaire. »
La peu banale histoire d’Audrey Estrougo et l’excellence du résultat ont fini par attirer l’attention du métier. Une actrice « bankable » dont elle ne veut pas révéler le nom serait intéressée par Taulardes. Le début des concessions?
Une histoire banale *** d’Audrey Estrougo, avec Marie Denardaud, Oumar Diaw. 1h22.
La bande-annonce du film :
Une histoire banale