L’avenir économique et financier de la Guadeloupe ne devrait pas se jouer uniquement sur l’autonomie politique  !

— Par Jean-Marie Nol —

L’avenir de la Guadeloupe, et plus largement celui des Antilles françaises, semble se cristalliser autour d’un débat institutionnel complexe et clivant, porté par des aspirations autonomistes renouvelées. Pourtant, derrière les promesses d’un futur émancipé se cache une réalité faite d’incertitudes économiques, de dépendances structurelles et d’enjeux géopolitiques majeurs. La récente tribune du président de région Ary Chalus, plaidant pour un basculement statutaire vers l’autonomie en invoquant l’article 74 de la Constitution française, illustre parfaitement cette tension entre un idéal politique et une absence criante de planification rigoureuse.

L’appel à une autonomie accrue repose sur des arguments qui, à première vue, séduisent par leur rhétorique : consultation populaire, transparence institutionnelle, et promesse d’un épanouissement collectif. Pourtant, ces notions abstraites masquent l’absence de réponses concrètes aux défis structurels. La Guadeloupe, comme la Martinique, souffre d’une économie fragilisée par une dépendance chronique aux transferts financiers de l’État français. Les recettes fiscales locales, comme l’octroi de mer, restent insuffisantes pour pallier les besoins d’un territoire confronté à un chômage endémique, à une inflation galopante et à des infrastructures défaillantes. L’autonomie, synonyme d’une responsabilisation accrue en matière de financement public, pourrait dès lors aggraver les fractures sociales et économiques déjà profondes, d’autant que l’État n’envisage plus de moyens financiers supplémentaires en raison de la situation dégradée des finances publiques.L’économie mondiale se trouve à un point charnière. Si les divergences économiques s’accentuent, les banques centrales devront choisir entre soutenir la croissance et contenir l’inflation, un équilibre de plus en plus difficile à maintenir. La montée des tensions géopolitiques et les incertitudes autour des politiques économiques américaines pourraient redessiner les flux financiers et intensifier la volatilité des marchés. Dans ce climat instable, les cryptos, en particulier le bitcoin, émergent comme une alternative explorée par les investisseurs en quête de protection contre les fluctuations monétaires. Cette transition économique met à l’épreuve les modèles traditionnels, contraints de s’adapter aux mutations en cours. L’issue dépendra autant des choix monétaires des grandes puissances que de la capacité des acteurs économiques à innover face aux nouvelles dynamiques du marché.Les marchés financiers détestent l’incertitude, pourtant l’économie mondiale entre dans une période d’instabilité. À l’aube de 2025, les craintes de ralentissement économique, les tensions inflationnistes et les incertitudes politiques se multiplient. Kristalina Georgieva, directrice générale du Fonds monétaire international (FMI), alerte sur des « vents contraires » et des « divergences » qui menacent l’équilibre économique mondial. L’Europe s’essouffle, les États-Unis surprennent par leur résilience, la Chine affronte une pression déflationniste, et le Brésil lutte contre l’inflation. Derrière ces disparités, un autre facteur préoccupe : l’érosion des investissements dans l’éducation freine l’innovation et la croissance à long terme. Alors que le FMI s’apprête à publier son rapport actualisé, une question demeure : ces fractures économiques creusent-elles un fossé irréversible ou préfigurent-elles un nouvel ordre mondial ?

Au-delà de ces réalités économiques, la gestion des problématiques essentielles telles que l’eau, les déchets ou la transition écologique met en lumière les limites actuelles des décideurs locaux. Ces enjeux ne découlent pas d’un manque de pouvoir normatif ou de prérogatives institutionnelles, mais bien d’une gouvernance inefficace, marquée par des échecs répétés dans la planification et la gestion des ressources. L’autonomie, sans réforme préalable de ces mécanismes décisionnels, risquerait d’accentuer les dysfonctionnements. Pire, elle pourrait éloigner les citoyens d’un pouvoir local perçu comme insuffisamment préparé à gérer des responsabilités et des compétences élargies.

Sur le plan géopolitique, le projet autonomiste semble ignorer la complexité des rapports de force internationaux. La Guadeloupe, tout comme la Martinique, occupe une position stratégique dans une région où s’entrelacent les intérêts des grandes puissances, notamment les États-Unis, la Chine et la Russie. La montée en puissance des BRICS, amplifiée par l’intégration récente de l’Indonésie, redessine les équilibres mondiaux et exacerbe les rivalités dans des zones stratégiques comme les Caraïbes.

L’avenir des départements et territoires d’outre-mer français, comme la Guadeloupe, la Martinique ou encore La Réunion, se dessine dans un contexte mondial marqué par une recomposition des équilibres géopolitiques et économiques. La dynamique actuelle, symbolisée par l’élargissement des BRICS et la montée en puissance des économies émergentes, pose des questions cruciales sur leur positionnement stratégique et leur rapport avec la France, l’Union européenne et les grandes puissances mondiales.

Depuis plusieurs années, le système financier mondial repose sur la domination des puissances occidentales, notamment les États-Unis, avec le dollar comme pilier central des transactions internationales. Cependant, cette hégémonie est de plus en plus contestée. Le bloc des BRICS, qui regroupe le Brésil, la Russie, l’Inde, la Chine et l’Afrique du Sud, s’impose comme une alternative pour de nombreux pays émergents en quête de souveraineté économique et d’une moindre dépendance au système financier occidental. L’annonce récente de 23 nouvelles candidatures pour rejoindre ce bloc témoigne de cette volonté de diversification et de rééquilibrage.

Parmi les candidats figurent des nations issues d’Asie, d’Afrique, d’Amérique latine et même du Moyen-Orient. Ces pays, confrontés aux fluctuations du dollar et aux politiques monétaires restrictives des grandes puissances occidentales, y voient une opportunité de renforcer leurs économies et de s’intégrer dans un modèle commercial davantage axé sur des échanges en monnaies locales ou une éventuelle monnaie commune. Cette transformation pourrait avoir des implications majeures pour l’ordre économique mondial, réduisant l’influence des institutions financières traditionnelles comme le FMI ou la Banque mondiale, historiquement perçues comme des instruments de contrôle occidental.

Dans ce contexte, les départements et territoires d’outre-mer français occupent une place stratégique. Situés aux carrefours des grands axes commerciaux et souvent voisins des pays émergents candidats aux BRICS, ils pourraient devenir des points d’appui ou, au contraire, des foyers de tension. En Guadeloupe et en Martinique, par exemple, le débat statutaire reflète ces incertitudes globales. Tandis que certains élus plaident pour une plus grande autonomie, voire une rupture avec la France , d’autres mettent en garde contre les risques d’une dépendance accrue vis-à-vis des nouvelles puissances économiques comme la Chine ou la Russie. Ces inquiétudes ne sont pas sans fondement. Le projet de dédollarisation porté par les BRICS, bien qu’ambitieux, n’est pas exempt de défis. L’hétérogénéité des économies membres et candidates pourrait compliquer la mise en place d’une monnaie commune ou de politiques unifiées. Les territoires ultramarins, avec leurs spécificités économiques et sociales, pourraient se retrouver marginalisés dans un tel système. Par ailleurs, leur dépendance actuelle aux transferts financiers de l’État français soulève la question de leur viabilité économique dans un monde multipolaire où les solidarités traditionnelles seraient redéfinies.

Au-delà des enjeux économiques, la reconfiguration des rapports de force géopolitiques pourrait également affecter la stabilité politique des territoires ultramarins. Les BRICS, en élargissant leur influence, ne cachent pas leurs ambitions géostratégiques. La région des Caraïbes, où se croisent les intérêts américains, chinois et russes, pourrait devenir un terrain de rivalités accentuées. Pour la France, maintenir son influence dans ses territoires d’outre-mer nécessitera une stratégie à la fois locale et globale, conciliant les aspirations légitimes de ces populations avec les exigences de la compétition mondiale.

Les défis environnementaux et technologiques viennent s’ajouter à ces dynamiques complexes. Alors que les BRICS investissent massivement dans les infrastructures et les énergies renouvelables, les territoires français d’outre-mer doivent encore surmonter des crises structurelles comme la gestion de l’eau, des déchets ou l’accès à des énergies propres. Ces enjeux, s’ils ne sont pas résolus rapidement, pourraient aggraver le sentiment de marginalisation et alimenter les revendications autonomistes ou indépendantistes.

Dans ce monde en mutation rapide, les choix à venir pour les territoires ultramarins seront déterminants. Faut-il renforcer leurs liens avec la France pour bénéficier de la stabilité offerte par une grande puissance, ou bien envisager un repositionnement vers les BRICS et leurs partenaires émergents ? Cette question dépasse les clivages politiques traditionnels et interpelle directement sur la capacité des territoires à s’adapter aux bouleversements globaux.

Pour Paris, l’enjeu est également de taille. L’affaiblissement de son influence dans les Caraïbes, l’océan Indien ou le Pacifique pourrait signifier une perte de poids stratégique dans des régions où les rivalités mondiales s’intensifient. La montée en puissance des BRICS, combinée à l’érosion du modèle économique postcolonial, oblige la France à repenser en profondeur sa relation avec ses outre-mer. Cela passera par des réformes structurelles, mais aussi par une diplomatie proactive capable de répondre aux aspirations locales tout en préservant les intérêts nationaux dans un monde multipolaire.

Ainsi, les départements et territoires d’outre-mer se trouvent à la croisée des chemins. Entre aspirations à une plus grande autonomie et nécessité de s’intégrer dans un système mondial en pleine recomposition, leur avenir dépendra de leur capacité à anticiper les transformations globales et à bâtir des modèles de développement résilients et inclusifs. Le défi est immense, mais il est également porteur d’opportunités pour ces territoires, qui pourraient devenir des acteurs-clés d’un nouvel ordre économique et politique mondial.

Mais cependant, il reste qu’une rupture avec le cadre départemental de l’article 73 de la constitution pourrait non seulement fragiliser la position de la France qui ne manquera de réagir par la promotion de la théorie du chaos comme cela s’est produit en Nouvelle Calédonie , mais aussi exposer les Antilles françaises à des influences extérieures, voire à des pressions économiques et politiques difficiles à maîtriser.

Le contexte historique et politique amplifie ces tensions. Les aspirations autonomistes, bien qu’ancrées dans une quête légitime de dignité et de souveraineté, se heurtent à une réalité postcoloniale marquée par une dépendance économique structurelle. Le rapport de 150 pages remis récemment à l’Élysée par les deux experts dressent un constat sévère : les économies des Antilles françaises, figées dans un modèle importateur et sous-productif, ne disposent pas des bases nécessaires pour garantir leur viabilité en cas de rupture larvée du fait de l’autonomie avec la métropole. En fait de conclusion,  les experts martèlent dans leur rapport que la priorité serait la refonte du modèle économique avant toute évolution institutionnelle. Les recommandations, pourtant claires – développement des circuits courts, partenariats régionaux, investissements massifs dans l’économie de production– se heurtent à l’inertie des élus, à l’incompréhension du peuple pour la chose institutionnelle et à des résistances locales profondes.

Face à cette situation, la France elle-même traverse une crise de repositionnement international. Longtemps puissance incontestée dans ses territoires ultramarins, elle voit aujourd’hui son influence érodée par des acteurs émergents comme la Chine ou la Russie. Ce recul, combiné à une situation économique hexagonale fragilisée, limite sa capacité à maintenir un soutien massif et inconditionnel à ces territoires. Dans le même temps, les velléités américaines de renforcer leur hégémonie dans la région complètent un tableau où toute tentative d’autonomie institutionnelle risque de provoquer des répercussions géopolitiques et expansionnistes imprévues.

Loin de constituer une solution miracle, l’autonomie pourrait au contraire aggraver les tensions sociales et les inégalités territoriales. Les opposants à ce projet ne manquent pas d’arguments : sans une réforme préalable profonde du modèle économique et une meilleure gestion des ressources locales, tout changement statutaire apparaît comme une fuite en avant idéologique, déconnectée des réalités concrètes. Dans ce contexte, l’adage créole « Awa nou pé ké achté chat an sak » – il ne faut pas acheter un chat dans un sac – prendrait tout son sens pour le peuple en cas de référendum. Il rappelle l’urgence d’une réflexion prospective approfondie et d’une analyse rigoureuse avant d’engager un territoire déjà fragilisé dans une voie aussi incertaine pour ne pas dire aventureuse de l’impasse financière .

Le destin des Antilles françaises ne peut se résumer à un débat idéologique sur l’autonomie ou l’indépendance. Il repose avant tout sur une capacité collective à dépasser les divisions pour bâtir un projet de développement économique durable et inclusif. Pour y parvenir, les décideurs locaux devront s’attaquer aux racines des problématiques structurelles, tout en tenant compte des dynamiques mondiales qui redéfinissent les rapports de force. Dans un monde en mutation rapide, les Antilles françaises se retrouvent à la croisée des chemins. La France, quant à elle, devra conjuguer une réforme de son ancienne approche paternaliste avec des nouvelles garanties politiques solides pour assurer la stabilité économique, sociale et géopolitique de ces territoires. À défaut, le risque est grand de voir ces îles potentiellement stratégiques devenir les pièces d’un échiquier mondial où leurs intérêts locaux seraient relégués inévitablement au second plan.

 » Tout bobo tini longan ay  » 

Traduction littérale : À chaque mal son remède  …

Moralité : une vraie lucidité sur nous-mêmes devrait nous conduire à plus d’humilité et à un effort permanent en notre for intérieur pour progresser dans la recherche de solutions simples.

Jean Marie Nol économiste