« Le dernier repas », un film de Maryse Legagneur

Jeudi 16 janvier – 19h – Tropiques-Atrium
— Par Sarha Fauré —

Drame familial écrit et réalisé par Maryse Legagneur. Avec Gilbert Laumord, Marie-Evelyne Lessard et Mireille Metellus. Québec, 2024, 111 minutes. Présenté en primeur au Festival international du film black de Montréal le 26 septembre..

Le dernier repas, premier long métrage de la documentariste Maryse Legagneur, se distingue par sa capacité à fusionner mémoire collective et réconciliation intime. S’inspirant de témoignages poignants recueillis au fil des années auprès de survivants de la dictature des Duvalier, ce drame intergénérationnel plonge le spectateur dans les profondeurs du traumatisme laissé par un passé sanglant, tout en explorant le pouvoir guérisseur des liens familiaux.

Le film suit Reynold Célestin, un ancien prisonnier politique haïtien, qui, alors qu’il est en phase terminale d’un cancer de l’estomac à Montréal, demande à revoir sa fille, Vanessa. Loin de la réconciliation facile, cette rencontre est marquée par des non-dits et une violence intergénérationnelle qui trouve son origine dans les épreuves vécues par Reynold durant ses années de détention à la sinistre prison de Fort Dimanche. Par le biais de repas haïtiens soigneusement préparés par Vanessa et sa tante, une figure marquante de la cuisine familiale, les deux personnages commencent lentement à dénouer le silence pesant qui a régné entre eux pendant près de vingt ans.

Maryse Legagneur s’appuie sur une riche palette symbolique, où la nourriture devient un langage à part entière, un moyen de briser le mur du silence qui sépare les générations. Les plats cuisinés, évoquant tantôt des souvenirs de souffrances passées, tantôt des instants de tendresse retrouvée, agissent comme des catalyseurs émotionnels. Vanessa, d’abord réticente à renouer avec son père, s’initie progressivement à la cuisine haïtienne, découvrant ainsi non seulement les saveurs de son héritage, mais aussi les terribles cicatrices laissées par le passé de son père. Ces scènes sont rendues d’autant plus poignantes par la reconstitution des années de prison, un travail minutieux qui mêle violence et humanité, dans une mise en scène tendue entre l’hôpital montréalais et la détention à Port-au-Prince.

En dépit de la gravité des thèmes abordés, Le dernier repas parvient à maintenir une certaine légèreté, notamment grâce aux moments de complicité entre Vanessa et sa tante Dado, incarnée avec brio par Mireille Métellus. Leur interaction apporte une nuance essentielle à un film autrement marqué par la lourdeur des traumas intergénérationnels.

Le tournage, qui s’est déroulé en République dominicaine en raison des difficultés liées à Haïti, ajoute une dimension particulière au projet. Il est fascinant de constater que les acteurs haïtiens et dominicains, nombreux parmi les figurants, ont eux-mêmes trouvé une forme de catharsis en incarnant les survivants des violences politiques. Ce processus de guérison a été un aspect fondamental de la réalisation du film, permettant à ceux qui avaient vécu ces horreurs de se réapproprier une partie de leur histoire à travers l’art.

Malgré certains dialogues parfois trop littéraires et un schématisme dans le traitement narratif, la puissance émotionnelle du film reste indéniable. La musique, notamment un arrangement feutré du Libera de Fauré, et les images de Mathieu Laverdière, ajoutent à l’atmosphère tendue et chargée de mémoire. Au final, Le dernier repas n’est pas seulement un film sur la réconciliation, mais aussi un hommage à la résilience, une tentative de guérir les blessures ouvertes par des décennies de dictature et de violence.

C’est un chef-d’œuvre qui, à travers son récit touchant et ses personnages émouvants, nous invite à réfléchir sur les conséquences profondes de la dictature et sur la manière dont les histoires de ceux qui ont souffert peuvent, lentement mais sûrement, être entendues et comprises.

Sarha Fauré