« Pierre-Monde, l’œuvre au noir » d’Izae Etifier

— par Selim Lander —

Après Fonds Saint-Jacques, c’est au tour de Saint-Pierre d’accueillir la nouvelle exposition d’Izae Etifier et elle vaut le détour. Pour qui découvre cette artiste, c’est une vraie et très bonne surprise. « L’œuvre au noir », c’est d’abord ces gros cailloux suspendus dans l’espace ou déposés sur une table, voire posé carrément sur le plancher comme le gros rocher qui nous accueille en haut de l’escalier (comme toujours, au Créole Art Café, c’est en effet à l’étage avec son balcon sur la rue que se tient l’exposition, là où jadis se trouvaient les chambres des clients, puisque ce lieu agréablement ou mieux artistement décoré fut jadis un hôtel). L’artiste qui se dit en quête de la pierre philosophale (voir infra) l’a trouvée avec ses cailloux, des artefacts qu’elle a fabriqués elle-même dans la tradition des alchimistes dont elle semble vouloir se revendiquer.

Les tableaux accrochés sur les murs ne sont pas noirs mais ils demeurent dans des teintes généralement sombre, rouille ou vert profond, des abstractions traversées parfois de grandes lignes verticales, ou qui dans de rares cas, comme dans le tableau à dominante verte qui apparaît ici derrière l’artiste, confine au réalisme (on peut y voir l’image d’une mer verte avec des nuances de bleu, sur un fond corallien).

Izae Etifier ne fabrique pas que ses pierres, ou ses cailloux, elle élabore aussi elle-même les supports de ses tableaux. La matière est la même : du papier mâché (recyclage des invendus de France-Antilles) mêlé à de l’argile. Fabriquer soi-même son support, cette pratique, nouvelle chez elle et qui rappelle immédiatement dans son esprit sinon dans sa méthode les « palimpsestes » de Valérie John, témoigne d’une démarche artistique totale, en quelque sorte ; le tableau sort véritablement de la matière au lieu d’être simplement posée dessus, d’autant que l’artiste procède par accumulation des couches de peinture.

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Dans un texte présentant son travail Izae Etifier déclare que « chaque être est en réalité un alchimiste cherchant sa propre lumière ». Elle ajoute : « celui qui a trouvé la pierre philosophale entre en harmonie avec lui-même, avec la nature et avec le monde qui l’entoure ».

Une telle harmonie est-elle communicable à ceux qui n’ont pas accompli la même quête ? Si l’on admet qu’une œuvre a besoin du regard des autres pour exister, il est inévitable qu’un artiste éprouve le besoin de montrer le résultat de son travail. Après, tout est affaire de sensibilités qui s’accordent ou non. Dans le cas présent, il serait bien difficile de ne pas être au moins saisi par la découverte des œuvres abstraites d’Izae Etifier, qui conjuguent paradoxalement sobriété et complexité. Sans parler des « pierres » uniformément noires, les tableaux qui respectent tous une parfaite homogénéité chromatique dégagent une étonnante impression de profondeur qui tient sans doute en grande partie à la surface d’un support qui, pour sa part, n’est absolument pas homogène mais creusé, bosselé, souligné par des traits d’encre.

Izae Etifier, Pierre-Monde, l’œuvre au noir. Au Créole Art Café, Saint-Pierre jusqu’au 7 février 2025.