Une expérience pilote au cœur de la décentralisation
— Par Sarha Fauré —
La réforme de la collectivité territoriale unique (CTU), instaurée par la loi du 27 juillet 2011, a marqué un tournant décisif dans le processus de décentralisation des territoires d’outre-mer, et plus particulièrement en Guyane et en Martinique. Il s’agit d’une démarche ambitieuse, destinée à répondre aux spécificités de ces territoires tout en réorganisant leur gouvernance institutionnelle. L’objectif n’est pas simplement de fusionner les compétences départementales et régionales, mais de repenser en profondeur l’organisation politique et administrative de ces régions ultramarines, au travers de la création d’entités nouvelles, adaptées à leur réalité locale. Cependant, au-delà de cette volonté de simplification et d’efficacité, cette réforme s’accompagne de nombreux défis qui doivent être surmontés pour garantir son succès.
Un contexte historique et politique complexe
La question de l’organisation administrative et politique des territoires ultramarins est un sujet qui traverse l’histoire récente de la France. Depuis les réformes constitutionnelles de 1958, les départements et régions d’outre-mer (DROM) ont fait l’objet de débats réguliers, souvent passionnés, sur leur place dans la République. Les tentatives de réforme statutaire ont souvent été marquées par des résistances locales, voire par des échecs. Le rejet par la population martiniquaise et guadeloupéenne du projet de transformation des départements en collectivités d’outre-mer (COM) en 2003, par exemple, a souligné la méfiance à l’égard de toute évolution statutaire trop radicale.
Les crises sociales successives, notamment la grève générale de 2009 en Guyane et en Martinique, ont exacerbé les tensions et mis en lumière les dysfonctionnements des structures administratives existantes. Les revendications locales ont ainsi convergé vers une volonté d’approfondir la décentralisation et de redéfinir la gestion des affaires publiques à l’échelle locale, sans pour autant remettre en cause l’intégration dans la République.
C’est dans ce climat de mécontentement social et de crise institutionnelle que les élus locaux ont proposé la création de la collectivité territoriale unique. L’article 73 de la Constitution française, qui régit les DROM, permet cette évolution, sans nécessairement recourir à une autonomie renforcée comme l’aurait permis le statut de COM (article 74 de la Constitution). Cette réforme vise à répondre aux défis spécifiques de ces territoires tout en conservant l’unité nationale.
Une fusion plus complexe qu’il n’y paraît
La collectivité territoriale unique (CTU) en Guyane (CTG) et en Martinique (CTM) est souvent perçue à tort comme une simple fusion administrative des compétences des départements et des régions. Or, cette réforme est bien plus complexe. Il ne s’agit pas seulement d’un empilement de compétences, mais d’une nouvelle organisation administrative qui doit intégrer les spécificités locales tout en garantissant une meilleure efficacité des services publics.
Avant la création de la CTU, les départements et régions fonctionnaient avec des compétences parfois redondantes ou mal articulées. Par exemple, l’aménagement du territoire, les transports, et les politiques économiques étaient souvent gérés à la fois par les conseils départementaux et régionaux, créant des doublons, des chevauchements et des conflits de compétence. La collectivité unique a pour but de simplifier ce système en fusionnant les structures tout en rationalisant les politiques publiques.
Cependant, cette fusion administrative doit aller au-delà de la simple gestion des compétences. Elle implique un véritable travail de redéfinition de l’action publique locale. Les autorités locales doivent redéfinir les priorités, établir une gouvernance cohérente et mettre en place une stratégie de développement à long terme qui puisse répondre aux besoins spécifiques de ces territoires. Par exemple, la question des infrastructures de transport en Guyane, marquée par son immensité géographique, ou celle de la gestion de la transition énergétique en Martinique, un enjeu crucial dans un contexte insulaire, nécessitent des politiques adaptées et innovantes.
La question de l’autonomie et de la participation populaire
L’une des particularités de cette réforme réside dans la manière dont elle a été perçue par les populations locales. Lors des consultations populaires organisées en 2010, les électeurs en Guyane et en Martinique ont majoritairement rejeté l’idée d’une autonomie accrue sous le statut de COM, préférant conserver les garanties de l’article 73 de la Constitution, qui assure une plus forte intégration dans le cadre national. Toutefois, ce choix n’a pas été accompagné par un enthousiasme massif, ce qui reflète une certaine hésitation face à une réforme qui, bien qu’approuvée, est perçue comme une réponse partielle aux aspirations locales.
Cette indécision populaire témoigne de plusieurs préoccupations. D’une part, la réforme est perçue par certains comme une solution insuffisante aux problèmes économiques, sociaux et institutionnels des territoires ultramarins. D’autre part, elle soulève des questions sur son efficacité réelle dans le quotidien des citoyens. Les faibles taux de participation et la montée du nombre de votes blancs ou nuls lors des référendums révèlent également un désintérêt ou une méfiance à l’égard des réformes institutionnelles, mais aussi une désillusion face à des réformes jugées trop lentes ou trop complexes.
Cette situation met en évidence la nécessité d’une pédagogie politique renforcée, afin d’expliquer clairement les objectifs et les bénéfices de la réforme à la population, mais aussi pour s’assurer que celle-ci soit véritablement perçue comme un levier de développement et non comme une simple recomposition des structures administratives existantes.
Une réforme dans un contexte de décentralisation globale
La création de la collectivité unique en Guyane et en Martinique s’inscrit dans un mouvement plus large de décentralisation qui touche l’ensemble du territoire français. Depuis les lois de décentralisation des années 1980, la France a engagé une série de réformes visant à transférer des compétences de l’État vers les collectivités territoriales. Toutefois, ces réformes ont souvent été perçues comme incomplètes ou inefficaces, notamment en raison de la complexité des relations entre l’État et les collectivités locales, ainsi que de l’empilement des structures administratives.
La loi du 27 juillet 2011, qui a institué la collectivité unique en Guyane et en Martinique, vient renforcer cette dynamique en simplifiant les structures institutionnelles et en permettant une meilleure prise en charge des défis locaux. Par ailleurs, cette réforme s’inscrit également dans la redéfinition de la carte régionale, un processus qui a été lancé en métropole pour rationaliser l’organisation territoriale du pays.
Le rôle clé des acteurs locaux : innovation et apprentissage institutionnel
La réussite de cette réforme repose en grande partie sur la capacité des acteurs locaux à s’adapter et à innover dans ce nouveau cadre institutionnel. La fusion des départements et régions implique un grand nombre de changements organisationnels, notamment le transfert des personnels administratifs, la réorganisation des services publics et la gestion des ressources humaines. Ce processus de fusion est loin d’être simple, car il suppose de repenser non seulement l’organisation des services publics, mais aussi la culture administrative locale.
Les élus locaux et les agents des collectivités doivent apprendre à travailler ensemble dans un cadre institutionnel unifié, souvent marqué par des rivalités entre les anciennes structures départementales et régionales. Ce travail de coopération nécessite une vision partagée et une capacité à dépasser les logiques anciennes pour se concentrer sur les enjeux communs, comme le développement économique, l’aménagement du territoire, et la gestion des infrastructures.
En parallèle, les citoyens doivent être accompagnés et informés sur les objectifs et les implications de la réforme. Un véritable travail de pédagogie est nécessaire pour expliquer les bénéfices de cette collectivité unique, notamment en matière de simplification des démarches administratives, de cohérence des politiques publiques, et de renforcement de la participation locale.
Des défis à relever pour l’avenir
L’implémentation de la collectivité unique nécessite une période de transition durant laquelle les nouvelles institutions devront se structurer et se mettre en place de manière effective. Les premières années seront déterminantes pour assurer le succès de cette réforme. Outre la mise en place des nouvelles structures, l’un des enjeux majeurs résidera dans l’efficacité de la gestion des compétences entre la collectivité unique et les intercommunalités (EPCI). Une trop grande fragmentation de l’action publique pourrait nuire à l’efficacité des politiques menées.
La coordination entre les différents niveaux de gouvernance – local, intercommunal et régional – devra être optimisée pour éviter toute confusion ou rivalité institutionnelle. En outre, la gestion des grands projets d’infrastructures et des politiques publiques d’aménagement du territoire devra faire l’objet d’une attention particulière, notamment dans des domaines clés comme les transports, l’environnement et le développement économique.
Une véritable expérimentation institutionnelle
La création des collectivités territoriales uniques en Guyane et en Martinique n’est pas simplement une réforme administrative, mais une véritable expérimentation institutionnelle qui pourrait servir de modèle pour d’autres territoires. Cette réforme ambitionne de simplifier les structures administratives, tout en répondant aux défis uniques des territoires ultramarins. Toutefois, son succès dépendra de la capacité des acteurs locaux à faire preuve d’innovation et d’adaptabilité dans un cadre institutionnel redéfini. Plus qu’une simple fusion, la création de la collectivité unique doit devenir un outil stratégique de développement, porté par une vision partagée et une volonté commune
Sarha Fauré
Le référendum martiniquais du 10 janvier 2010 est un référendum local qui a eu lieu en Martinique, le même jour que celui identique organisé en Guyane, afin de proposer une plus large autonomie à la région. Plus encore que celui guyanais, il se solde par une large victoire du non.
Contexte
Article détaillé : Grève générale en Guyane et aux Antilles françaises en 2008-2009.
Le référendum est décidé courant 2009 à la suite de la grève générale aux Antilles ayant eu lieu en début d’année. La consultation propose une autonomie accrue, en passant sous le statut de collectivité d’outre-mer au lieu de celui de département et de région.
Question
« Approuvez-vous la transformation de la Martinique en une collectivité d’outre-mer régie par l’article 74 de la Constitution, dotée d’une organisation particulière tenant compte de ses intérêts propres au sein de la République ? »1
Résultats
Résultats2
Choix Votes %
Pour 32 954 20,69
Contre 126 298 79,31
Votes valides 159 252 96,99
Votes blancs et nuls 4 946 3,01
Total 164 198 100
Abstention 132 604 44,68
Inscrits/Participation 296 802 55,32
Approuvez-vous la transformation de la Martinique en une collectivité d’outre-mer régie par l’article 74 de la Constitution, dotée d’une organisation particulière tenant compte de ses intérêts propres au sein de la République ?
Pour
32 954
(20,69 %) Contre
126 298
(79,31 %)
▲
Majorité absolue
Second référendum
À la suite de ce rejet, un nouveau référendum est organisé le 24 janvier, proposant simplement un régime d’assemblée unique remplaçant le Conseil général et le Conseil régional. Après ce scrutin, qui voit la population approuver le projet à une large majorité, la création de l’Assemblée de Martinique prend effet le 1er janvier 2016.
Source : Wikipedia