« L’Or », d’après Blaise Cendrars

Jeudi 16 janvier, Vendredi 17 janvier & Samedi 18 janvier à 19h30 au T.A.C.

Spectacle musical Adaptation, mise en scène et jeu Xavier Simonin

Adapté et mis en scène par Xavier Simonin, L’Or, le chef-d’œuvre de Blaise Cendrars, est un spectacle qui nous plonge dans une épopée à la fois héroïque et tragique. À travers l’histoire vraie de Johann August Sutter, un aventurier suisse devenu l’un des hommes les plus riches du monde avant de tout perdre, Cendrars nous raconte une aventure humaine d’une grande intensité, marquée par l’espoir, l’ambition et la ruine. Ce roman publié en 1925 est l’une des œuvres majeures de l’écrivain, qui abandonne ici la poésie pour se consacrer à la fiction romanesque, tout en conservant son goût pour l’aventure et les récits flamboyants.

Xavier Simonin, acteur et metteur en scène prolifique avec une carrière de plus de trente ans, a su s’emparer de ce récit épique et de ses enjeux universels. De ses premières créations comme L’Or et Les Raisins de la colère qui ont tourné dans de nombreux pays, à ses plus récentes productions comme Oreille Rouge (inspirée de l’œuvre d’Eric Chevillard), Simonin mêle avec brio théâtre classique et enjeux contemporains. Dans cette adaptation, il transforme le roman de Cendrars en un spectacle visuel et émotionnel puissant, où la grandeur des paysages californiens, l’intensité des relations humaines et la fatalité des événements s’entrelacent.

L’histoire de L’Or nous raconte l’ascension et la chute d’un homme, Johann Sutter, qui, après avoir acheté un immense territoire en Californie et y avoir installé une prospère industrie agricole, se trouve ruiné par la découverte d’or sur ses terres en 1848. La ruée vers l’or qui s’ensuit entraîne des milliers de prospecteurs sur ses terres, détruisant tout ce qu’il avait mis des années à bâtir. La corruption, l’injustice et l’égoïsme de ceux qui l’entourent, armés de faux titres de propriété, le poussent dans une spirale de désespoir et de folie.

À travers l’histoire de Sutter, Cendrars nous invite à réfléchir sur les dérives du capitalisme, sur l’illusion du progrès, et sur la manière dont l’avidité peut anéantir même les rêves les plus ambitieux. C’est une réflexion sur la nature humaine, l’ambition, mais aussi la fragilité du destin.

Xavier Simonin, qui a longtemps été attaché au continent africain à travers son association GLOBE et le Festival A Sahel Ouvert, trouve dans L’Or une matière à la fois historique et universelle, un terrain où se mêlent les thématiques du colonialisme, de l’exploitation des terres et des peuples, et de la quête effrénée de richesses. Cette vision, à la fois locale et globale, est enrichie par l’expérience de Simonin en tant qu’artiste engagé, et par sa compréhension intime de l’Afrique et de ses enjeux sociaux et culturels.

Dans ce spectacle, les acteurs, portés par la direction de Simonin, incarnent avec intensité la lutte du général Sutter contre la ruée vers l’or qui ravage tout sur son passage. Ils rendent palpable la montée en puissance des événements, où la folie et la colère prennent le pas sur la raison. Les scènes s’enchaînent avec une force dramatique qui nous saisit dès le premier acte et ne nous lâche plus jusqu’à la fin de cette tragédie humaine, où l’injustice sociale, la cupidité et le destin prennent des visages multiples.

Le théâtre devient ici un lieu de questionnement sur les racines du mal humain et sur les limites de la volonté individuelle face à la machine implacable de l’Histoire. Le général Sutter, épuisé par ses luttes contre la société, finit par se retrouver seul et brisé, un symbole de la défaite de l’homme face à l’avidité de son époque.

L’adaptation de L’Or par Xavier Simonin est donc un spectacle total, une fresque grandiose qui résonne profondément dans notre époque, où l’exploitation des ressources naturelles et la recherche effrénée du profit restent des moteurs de l’histoire humaine. Ce spectacle, porté par une mise en scène audacieuse et une interprétation poignante, est un voyage captivant dans un monde à la fois lointain et étrangement familier, où les rêves de gloire et de richesse finissent souvent par se briser dans les cendres du réel.

À travers ce voyage dramatique, L’Or nous invite à réfléchir sur la nature du pouvoir, du rêve américain, et sur ce qui reste quand tout s’effondre. Une expérience théâtrale saisissante, d’une portée universelle, qui emporte le spectateur dans un tourbillon d’émotions et de réflexions sur le destin humain.

Hélène Lemoine

Adaptation, mise en scène et jeu
Xavier SIMONIN
Avec Xavier LAUNE à l’harmonica | Direction musicale Jean-Jacques MIlteau | Régie Thomas Chelot | Production Sea Ar.

La presse en parle
Télérama
La prose somptueuse, flamboyante, épique de Blaise Cendrars est chantée, dansée par un acteur formidable. Un spectacle de qualité à ne pas manquer.

Le Monde
Un spectacle bouleversant, tendu comme la corde d’un pendu.

Libération
une élocution qui frôle la perfection… Une heure et demie de rêve, de plaisir, d’un déluge ininterrompu de pépites. Xavier Simoni

 

« L’Or », d’après Blaise Cendrars

L’Or, Blaise Cendrars, 1925
Chapitre 1
La journée venait de finir. Les bonnes gens rentraient des champs, qui une bine sur l’épaule ou un panier au bras. En tête venaient les jeunes filles en corselet blanc et la cotte haut-plissée. Elles se tenaient par la taille et chantaient :

Wenn ich ein Vöglein wär
Und auch zwei Flflglein hätt
FIög ich zu dir...

Sur le pas de leur porte, les vieux fumaient leur pipe en porcelaine et les vieilles tricotaient de longs bas blancs. Devant l’auberge « Zum Wilden Mann » on vidait des cruchons du petit vin blanc du pays, des cruchons curieusement armoriés d’une crosse d’évêque entourée de sept points rouges.
Dans les groupes on parlait posément, sans cris et sans gestes inutiles. Le sujet de toutes les conversations était la chaleur précoce et extraordinaire pour la saison et la sécheresse qui menaçait déjà la tendre moisson.
C’était le 6 mai 1834.
Les vauriens du pays entouraient un petit Savoyard qui tournait la manivelle de son orgue de SainteCroix, et les mioches avaient peur de la marmotte émoustillée qui venait de mordre l’un d’eux. Un chien noir pissait contre l’une des quatre bornes qui encadraient la fontaine polychrome. Les derniers rayons du jour éclairaient la façade historiée des maisons. Les fumées montaient tout droit dans l’air pur du soir. Une carriole grinçait au loin dans la plaine.
Ces paisibles campagnards bâlois furent tout à coup mis en émoi par l’arrivée d’un étranger. Même en plein jour, un étranger est quelque chose de rare dans ce petit village de Rünenberg; mais que dire d’un étranger qui s’amène à une heure indue, le soir, si tard, juste avant le coucher du soleil? Le chien noir resta la patte en l’air et les vieilles femmes laissèrent choir leur ouvrage. L’étranger venait de déboucher par la route de Soleure. Les enfants s’étaient d’abord portés à sa rencontre, puis ils s’étaient arrêtés, indécis. Quant au groupe des buveurs, « Au Sauvage », ils avaient cessé de boire et observaient l’étranger par en dessous. Celui-ci s’était arrêté à la première maison du pays et avait demandé qu’on veuille bien lui indiquer l’habitation du syndic de la commune. Le vieux Buser, à qui il s’adressait, lui tourna le dos et, tirant son petit-fils Hans par l’oreille, lui dit de conduire l’étranger chez le syndic. Puis il se remit à bourrer sa pipe, tout en suivant du coin de l’œil l’étranger qui s’éloignait à longues enjambées derrière l’enfant trottinant.
On vit l’étranger pénétrer chez le syndic.

L’Or, Chapitre 2, 7
Blaise Cendrars, 1925
Un jour, il a une illumination. Tous, tous les voyageurs qui ont défilé chez lui, les menteurs, les bavards, les vantards, les hâbleurs, et même les plus taciturnes, tous ont employé un mot immense qui donne toute sa grandeur à leurs récits. Ceux qui en disent trop comme ceux qui n’en disent pas assez, les fanfarons, les peureux, les chasseurs, les outlaws, les trafiquants, les colons, les trappeurs, tous, tous, tous parlent de l’Ouest, ne parlent en somme que de l’Ouest.
L’Ouest.
Mot mystérieux.
Voici la notion qu’il en a.
De la vallée du Mississipi jusqu’au-delà des montagnes géantes, bien loin, bien loin, bien avant dans l’ouest, s’étendent des territoires immenses, des terres fertiles à l’infini. La prairie. La patrie des innombrables tribus peaux rouges et des grands troupeaux de bisons qui vont et viennent comme le flux de la mer.
Mais après, mais derrière ?
Il y a des récits d’Indiens qui parlent d’un pays enchanté, de villes d’or, de femmes qui n’ont qu’un sein. Même les trappeurs qui descendent du nord avec leur chargement de fourrures ont entendu parler sous leur haute latitude de ces pays merveilleux de l’Ouest, où, disent-ils, les fruits sont d’or et d’argent.
L’Ouest ? Qu’est-ce que c’est ? Qu’est-ce qu’il y a ? Pourquoi y a-t-il tant d’hommes qui s’y rendent et qui n’en reviennent jamais ? Ils sont tués par les Peaux Rouges ; mais celui qui passe outre ? Il meurt de soif ; mais celui qui franchit le col ? Où est-il ? Qu’a-t-il vu ? Pourquoi y a-t-il tant parmi ceux qui passent chez moi qui piquent directement au nord et qui, à peine dans la solitude, obliquent brusquement à l’ouest ?
La plupart vont à Santa Fé, cette colonie mexicaine avancée dans les montagnes Rocheuses, mais ce ne sont que de vulgaires marchands que le gain facile attire et qui ne s’occupent jamais de ce qu’il y a plus loin.
Johann August Suter est un homme d’action.

L’Or, Chapitre 13, 52
Blaise Cendrars, 1925
Extrait du discours de Kewen, premier maire de San Francisco :
« … Ce pionnier, plein d’un grand courage et poussé par un étrange pressentiment, se détache des beaux souvenirs de sa jeunesse, s’arrache aux charmes de son foyer, abandonne le cercle familial, quitte sa patrie pour venir, par des sentiers insoupçonnés, se jeter dans le pays des aventures et des dangers. Il traverse des plaines arides sous un soleil de feu, il franchit des montagnes, des vallées, des chaînes rocheuses. Malgré la faim, la fièvre, la soif, malgré les sauvages sanguinaires qui lui dressent des embuscades et sont à son affût dans la prairie, il passe outre, les yeux fixés sur cet endroit du ciel où le soleil plonge tous les jours dans la mer de l’Ouest. Ce point l’attire comme le voyageur dans les Alpes de sa belle patrie qui ne quitte pas des yeux le sommet de la montagne recouvert de neiges éternelles, qui franchit les abîmes et les glaciers, et qui ne pense qu’au panorama grandiose et à l’air pur et vivifiant que l’on trouve sur ces hauteurs.
« Et comme autrefois Moïse au sommet du Pisgah, c’est ainsi qu’il est debout sur la crête neigeuse de la Sierra, et son œil s’éclaire et son âme se réjouit : son regard découvre enfin la Terre promise.
Mais, plus heureux que le législateur d’Israël, il lui est donné de pénétrer dans ce pays, et il y descend armé d’un nouveau courage et d’une force fraîche qui lui font braver la solitude et les privations, et lui permettent de dédier à Dieu ce nouveau pays qu’il vient de découvrir, à Dieu, à la liberté et à sa chère patrie, l’Helvétie.
Dans l’Histoire des siècles écoulés et des peuples disparus il y a des noms de grands hommes qu’on ne peut jamais oublier. Epaminondas, vertu et amour de la patrie, rayonne comme une gloire sur l’histoire de la délivrance de Thèbes. Hannibal, le courageux, qui mena ses armées victorieuses par dessus les Alpes et foula le sol classique d’Italie, survivra longtemps à l’histoire de Carthage. En nommant Athènes, on nomme ses divins fils, et le nom de Rome est consacré par la gloire d’hommes illustres. Ainsi, dans les temps futurs, quand la plume de l’historien voudra tracer l’origine et la fondation de notre chère Patrie, qui sera alors un des plus puissants pays du monde, quand cette plume voudra décrire la misère et les privations du début et raconter la lutte pour la liberté de l’Ouest, un nom rayonnera au-dessus de tous : c’est celui de l’immortel SUTER ! »