— Par Jean-Marie Nol —
L’histoire de la colonisation , qui de tout temps a été associée à des épisodes de guerres de conquête , est étroitement liée à l’appropriation des ressources et à l’exploitation des richesses naturelles, souvent en réponse aux besoins des puissances dominantes à des moments clés de leur développement économique ou technologique. Bien que jouissant d’une plus grande antériorité dans l’histoire de l’humanité, le fait colonial débute à l’ère moderne avec les grandes inventions et les grandes découvertes qui marquent la fin du Moyen Age. Christophe Colomb met pied en Amérique le 12 octobre 1492. C’est alors que l’Europe à cette époque , et elle seule, va s’étendre, conquérir, dominer et coloniser.Il commence au XVe siècle pour s’achever au cours de la seconde moitié du XXe. A son apogée, vers 1938, l’Europe colonisatrice étend sa domination sur plus de 40 % du monde habité. La Grande-Bretagne et la France possèdent, à elles seules, à la veille de la seconde guerre mondiale, 85 % du domaine colonial existant. Au point qu’on estime que 70 % des habitants actuels de la planète ont un passé colonial, soit en tant qu’anciens colonisateurs, soit comme ex-colonisés.( Sources Le monde diplomatique)
Ce même schéma pourrait se reproduire à l’avenir pour plusieurs raisons tenant notamment à la nouvelle géostratégie mondiale. Plus de doute dans mon esprit que l’Afrique, l’Amérique du Sud, une partie du sud-est asiatique et surtout la région Caraïbe vont faire l’objet d’une nouvelle période de colonisation aussi brutale que dans le passé. La question d’une potentielle troisième vague de colonisation au XXIe siècle va ainsi émerger comme un enjeu crucial, à la croisée des avancées technologiques majeures et des ambitions géopolitiques renouvelées. L’avènement de la quatrième révolution industrielle, marquée par la montée en puissance de la robotisation , du numérique, et de l’intelligence artificielle, s’inscrit dans une dynamique où la maîtrise des ressources naturelles, notamment celles de l’espace et des grands fonds marins, devient un objectif stratégique de premier ordre pour les principales puissances économiques et militaires du monde moderne . Cette ruée vers l’espace et les océans, alliée à des politiques protectionnistes comme celles incarnées par Donald Trump aux États-Unis, redéfinit les rapports de force internationaux et pose des questions profondes sur l’équilibre économique, environnemental et géopolitique mondial. Ainsi dans ce nouveau contexte, nul doute que la course au contrôle des ressources naturelles critiques est d’ores et déjà lancée entre les grandes puissances avec comme point d’orgue une nouvelle politique de recolonisation .
Le progrès technologique contemporain, en particulier la transition énergétique et la révolution numérique, repose sur des matériaux rares et stratégiques (comme le lithium, le cobalt, le nickel, et les terres rares). Ces ressources sont souvent concentrées dans certains pays (principalement en Afrique, en Amérique latine , en Asie du Sud-Est , l’Arctique, et dans la région Caraïbe ). La demande croissante pour ces minerais essentiels pourrait provoquer une nouvelle vague d’exploitation économique ou de domination politique, notamment du fait de la raréfaction des ressources terrestres. L’épuisement des ressources terrestres accessibles pousse à chercher de nouvelles sources, notamment dans l’espace et les grands fonds marins ou dans des zones encore inexploitées.
Les technologies permettant d’explorer et d’exploiter ces milieux extrêmes deviennent aujourd’hui accessibles aux grandes puissances, créant un terrain de compétition intense surtout dans le cadre de la nouvelle géopolitique des terres agricoles et ressources minières rares . Avec les défis posés par le changement climatique et la sécurité alimentaire mondiale, les terres agricoles fertiles deviendront encore plus stratégiques. Certains pays riches en capital mais pauvres en terres arables (comme certains États asiatiques ou du Golfe) investissent déjà massivement dans l’acquisition de terres dans des pays en développement. Cela pourrait mener à une nouvelle forme moderne de colonisation économique et de domination technologique avec pour résultat une dépendance économique et financière . Les nouvelles technologies, comme l’intelligence artificielle, les biotechnologies, et les infrastructures numériques, ainsi que la finance pourraient devenir des outils d’assujettissement.
Les pays capables de maîtriser ces technologies et maîtrisant le capital pourraient les utiliser pour établir une domination économique et politique sur les pays moins développés économiquement et technologiquement, ce qui s’apparente à une nouvelle forme de colonisation. En effet, certains pays riches en ressources mais fragiles sur le plan politique et institutionnel pourraient être pris dans des conflits géopolitiques entre grandes puissances (États-Unis, Chine, Europe ,Russie, etc.). Cette dynamique pourrait reproduire des schémas d’exploitation et de domination similaires à ceux de l’époque coloniale, bien que sous des formes différentes . Tout laisse accroire que l’on s’achemine de nouveau vers un processus d’appropriation de la part de certains pays des espaces non régulés : les océans et l’espace.
La perspective d’exploitation des fonds marins pour leurs richesses minières (comme les nodules polymétalliques) ou des ressources spatiales (comme les métaux précieux présents sur certains astéroïdes) risque de reproduire des logiques coloniales. Les premières nations ou entreprises capables de s’approprier ces richesses pourraient instaurer une domination économique mondiale.Au lieu d’une colonisation directe, on pourrait assister à des formes plus subtiles telles que le contrôle de la dette , les accords commerciaux déséquilibrés et l’influence militaire. Ainsi en endettant massivement certains pays, les puissances économiques pourraient les forcer à céder leurs ressources ou infrastructures stratégiques. C’est aujourd’hui le cas de la stratégie de la Chine avec la nouvelle route de la soie . Par ailleurs pour ce qui concerne les accords commerciaux déséquilibrés , ils peuvent contraindre des pays à exporter leurs ressources brutes à bas coût tout en restant dépendants des produits finis importés. Dans cette configuration de la course à la valeur ajoutée , l’influence militaire devrait être déterminante avec l’installation de bases militaires ou l’interventionnisme pour « protéger » des investissements stratégiques .
C’est la ligne de conduite des Etats Unis. Depuis sa première élection en 2016, Donald Trump a adopté une politique économique fondée sur le protectionnisme et le slogan « America First », visant à conserver aux États-Unis leur statut de première puissance mondiale. Cette posture a exacerbé les tensions avec la Chine, qui, de son côté, poursuit son expansion économique et stratégique dans des zones clés, y compris dans les océans. La guerre commerciale sino-américaine et les velléités américaines de réindustrialisation traduisent une rivalité exacerbée pour le contrôle des ressources stratégiques. Dans ce contexte, les grands fonds marins représentent une nouvelle frontière. Ils recèlent des gisements immenses de terres rares, de minerais précieux et de ressources énergétiques, indispensables au développement des technologies de pointe, comme les batteries, les microprocesseurs, ou encore les outils d’intelligence artificielle.
Les avancées technologiques permettent aujourd’hui une exploration et une exploitation des océans à des profondeurs inégalées. Les robots sous-marins et les systèmes d’intelligence artificielle sont au cœur de cette transformation, rendant accessible l’extraction de ressources autrefois inaccessibles. Toutefois, cette quête effrénée soulève des questions éthiques et environnementales majeures. L’exploitation des grands fonds marins menace des écosystèmes encore largement méconnus, où la biodiversité joue un rôle essentiel dans la régulation des équilibres planétaires. À cela s’ajoutent les incertitudes juridiques sur la gouvernance des océans, régis par la Convention des Nations unies sur le droit de la mer, mais insuffisamment protégés face à cette nouvelle course aux ressources situées dans les ZEE .
Dans ce contexte international tendu, la France se distingue par des atouts stratégiques significatifs. Avec la deuxième plus grande zone économique exclusive (ZEE) au monde, couvrant environ 11 millions de kilomètres carrés, la France possède un accès privilégié à des zones marines riches en ressources. Cette étendue maritime, héritée de son passé colonial et de son positionnement ultramarin, confère à la France une position unique pour s’imposer dans cette nouvelle compétition mondiale. De plus, la France bénéficie d’une expertise reconnue dans les technologies marines et sous-marines, grâce à des acteurs industriels de premier plan tels que Naval Group, Ifremer et TotalEnergies, qui maîtrisent des techniques d’exploration et d’exploitation à haute valeur ajoutée.
Sur le plan diplomatique, la France dispose également d’un rôle moteur au sein de l’Union européenne et dans les organisations internationales. Elle a l’opportunité de promouvoir une approche équilibrée entre exploitation économique et protection de l’environnement, en s’appuyant sur des initiatives comme la stratégie de l’UE pour une économie bleue durable. Enfin, la France peut capitaliser sur ses avancées en intelligence artificielle et robotique pour développer des outils à la fois performants et respectueux des écosystèmes, offrant ainsi un modèle alternatif à la course prédatrice observée ailleurs.
Toutefois, la stratégie française ne peut se déployer efficacement qu’en renforçant sa souveraineté technologique et industrielle. Face à des puissances comme les États-Unis , la Russie ou la Chine, qui investissent massivement dans la recherche et développement, la France devra intensifier ses efforts pour rester compétitive. Cela passera nécessairement par un renforcement de sa domination sur ses territoires ultramarins et un soutien accru à l’innovation, à l’éducation, et à la formation dans les domaines technologiques clés, tout en renforçant ses partenariats internationaux.
La ruée vers les grands fonds marins et l’impact de la quatrième révolution technologique illustrent une nouvelle phase de l’histoire humaine, où la conquête de ressources naturelles s’allie à la maîtrise des technologies disruptives pour façonner les rapports de force mondiaux. Alors que les tensions entre grandes puissances s’accentuent, la France a l’opportunité de jouer un rôle pivot dans cette transformation, en mettant à profit ses atouts géostratégiques et technologiques. Cependant, la réussite de cette ambition dépendra de sa capacité à concilier exploitation durable, protection environnementale et affirmation de sa souveraineté dans les régions d’outre-mer face aux défis planétaires de ce siècle.
Les tensions autour des ressources, combinées aux disparités technologiques et économiques, annoncent un risque élevé de nouvelles formes de colonisation notamment des territoires d’outre-mer . Toutefois, celles-ci pourraient être moins visibles et plus complexes que les colonisations historiques, prenant des formes financières , économiques, technologiques et géopolitiques. La clé pour éviter ce scénario réside dans le renforcement des capacités institutionnelles et technologiques des pays vulnérables, ainsi que dans l’établissement de règles internationales claires pour réguler l’accès aux ressources stratégiques.
« Chak bèt a fé ka kléré pou nanm’ a yo « .
Traduction littérale : Les lucioles éclairent leur propre âme.
Moralité : l’ère du protectionnisme, de l’appropriation des ressources et du chacun pour soi est devant nous .
Jean-Marie Nol économiste