— Par Michel Lercoulois —
Quel beau titre pour un recueil mêlant images et poèmes, issu de la toute jeune maison d’édition, Ad Verba, bel objet de surcroît avec son élégante couverture à rabats, le papier et la typographie soignés. Ce petit mais beau livre est né du pari des deux fondateurs de la maison, deux plasticiens – l’une qui tisse, Christine Lumineau, l’autre, Xavier Ribot, qui crée des installations, en général de taille réduite – de proposer les photographies d’une centaine et plus de leurs œuvres à la libre inspiration des poètes. Seule contrainte : se maintenir entre dix et vingt lignes. On sait quelle soif d’écrire anime tant de nos contemporains. Alors que le lancement de ce concours fut discret, ils furent deux-cent-vingt poètes à répondre, proposant exactement trois-cent-quatre-vingt-neuf textes comme nous l’apprend la quatrième de couverture. On est en droit de parler de concours car ne furent finalement retenus que trente-huit poèmes (soit à peu près un sur dix) à raison d’un seul par auteur, soit trente-huit auteurs, poètes ou apprentis poètes plus ou moins aguerris mais, avec une sélection aussi drastique, le résultat ne pouvait qu’être bon, même si, évidemment, la sensibilité du lecteur s’accordera plus facilement avec celle de certains des auteurs plutôt que d’autres.
C’est un signe des temps : seuls des poèmes en vers libres ont passé cette rigoureuse sélection. Les poètes le savent, même les plus chevronnés, s’il est déjà très difficile de se faire éditer, pour des vers réguliers c’est mission impossible (1). Seule exception qui n’en est pas vraiment une, un poème toujours en vers libre, certes, mais monorime (« Vieux os » de Brigitte Sisco). Parmi les autres, j’ai particulièrement remarqué – dans l’ordre du recueil – Zoé Besmond de Senneville pour son poème en prose et sans titre :
…Je lanterne mon chemin noir. Noir comme la nuit sans nuit dedans sans lune sans étoile sans rien dedans, une nuit sans nuit même à l’intérieur alors…
Michel Herland qui revisite le thème du cheval dans la poésie moderne (« Le cheval bleu »).
Ellis Dickson (« D’une fenêtre à l’autre ») :
… je voudrais
Pouvoir offrir ma fenêtre en grand et passer par la vôtre
en suivant un fil à linge
Tendu d’un bout à l’autre et puis
Me glisser à l’intérieur de votre chambre comme ça…
Béatrice Verniaud qui joue agréablement sur « L’Albatros de Baudelaire » ; Éric Lotterie (« Avis d’obsèques ») ; François Béchu pour un autre poème en prose et sans titre ; Alex Mishma (« Incertitude ») ; Stéphane Keruel, … Ni n’est l’eau ni n’est l’homme, n’est le linoleum… (sans titre).
On ne saurait citer tout le monde.
Les auteurs étaient invités à s’affranchir autant que possible de l’image, de partir d’elle sans la décrire mais c’était sans doute plus difficile qu’il n’y paraissait à première vue et la plus grande réussite – avis certes personnel et subjectif – est un poème-calligramme très directement inspiré par la forme du dessin : « Courbatures » d’Octavie.
Faire courir le monde, Niort, Ad Verba, 96 p., 14 €.
Pour commander le livre : https://adverbaeditions.com/
NB : Les Éditions Ad Verba ne reçoivent pas de manuscrits. Elles proposent des appels à textes sur leur site.
(1) Une anecdote très récente. Jean-Noël Chrisment que je tiens pour le plus grand poète de sa génération, qui pratique une poésie à la fois savante (vocabulaire, vers réguliers, rimes complexes) et modernes (enjambements, etc.), dont deux recueils (Extrémités, Pollen) ont été publiés par Jacques Réda dans la Collection blanche et de nombreux poèmes dans la NRF, a vu son dernier et considérable travail, encore plus ambitieux mais tout aussi talentueux que les précédents, refusé cette fois par son éditeur Gallimard, et n’a trouvé preneur après bien des démarches que chez un éditeur confidentiel.