L’Outre Mer vers une ornière avec l’équation impossible de la crise des finances publiques ?

— Par Jean-Marie Nol —

La Martinique et la Guadeloupe, comme l’ensemble des territoires d’outre-mer à l’exemple de la Nouvelle Calédonie et Mayotte , se trouvent confrontées à une situation économique et financière particulièrement complexe, dans un contexte national marqué par de profondes incertitudes. Alors que la France métropolitaine peine à résoudre l’équation du redressement de ses finances publiques, les répercussions sur les économies insulaires sont de plus en plus visibles, aggravées par des fragilités structurelles du fait de la crise de la dette et une conjoncture économique et financière défavorable.
En moins de dix ans, la dette publique a grimpé de plus de 1000 milliards d’euros. Elle atteint 113,7% du PIB fin septembre et a augmenté de plus de 71 milliards d’euros en trois mois. Aujourd’hui, la dette de la France atteint le niveau stratosphérique de 3303 milliards d’euros. En effet, la dette publique de la France a encore gonflé au troisième trimestre 2024.
La crise du Covid et le «quoi qu’il en coûte» sont bien sûr passés par là, cependant il faut signaler que la France est le seul pays d’Europe qui n’a pas réduit sa dette depuis, a rappelé en guise d’avertissement le gouverneur de la Banque de France François Villeroy de Galhau . Seules la Grèce et l’Italie font pire, lorsque l’on mesure la dette rapportée au PIB, selon les données Eurostat.  Cet endettement excessif risque d’entraîner une crise très dure et va nécessairement impacter l’ensemble des citoyens soit exactement 48. 308 euros par Français , et c’est ce que représentent concrètement la dette publique et ses intérêts. Un État dont les comptes sont presque toujours déficitaires , comme l’État français, doit rembourser ses dettes en réempruntant les montants nécessaires à ces remboursements. Il doit aussi emprunter pour financer le déficit de l’exercice en cours. l’Agence France Trésor (AFT) vient d’annoncer qu’elle lèverait 300 milliards d’euros de dette sur les marchés financiers tout au long de l’année 2025. Du jamais vu. En 2024 elle avait levé le montant déjà inédit de 285 milliards, qui suivait le record précédent de 270 milliards en 2023. Ainsi année après année, la France doit emprunter davantage pour pouvoir rembourser ses dettes. L’année 2025 ne dérogera pas à la règle. D’après le figaro, 174,8 milliards vont être dédiés au remboursement de la dette de l’Etat à moyen et long terme. Et le chiffre de cet emprunt, qui constitue un nouveau record, risque de ne pas être sans conséquences pour les finances de l’Hexagone. En effet, l’emprunt de l’État l’an prochain va représenter 300 milliards d’euros. Ce montant était de 270 milliards en 2023 et 285 milliards en 2024. L’un des premiers objectifs de cet emprunt, pour l’État, est de rembourser à ses créanciers les prêts qui arrivent à échéance. Mais tout aussi alarmant, la somme de l’endettement des entreprises et des ménages , elle aussi en forte hausse durant la dernière décennie. Comment expliquer aujourd’hui cette progression de la dette globale au sein du pays ?
Dans quelle mesure est-elle alarmante pour l’Outre Mer ?
Les réponses à ces questions est en corrélation avec le coût financier du modèle social français. Le modèle social français, longtemps considéré comme un pilier de l’État-providence, repose sur des dépenses significatives en matière de santé, de retraites et de prestations sociales. Ces choix collectifs, bien que répondant à une volonté de protection et de solidarité, ont un coût considérable. Chaque année, l’État doit non seulement financer les déficits courants, mais aussi rembourser des dettes précédentes en contractant de nouveaux emprunts. Ce mécanisme d’endettement perpétuel s’accélère dans un contexte où les dépenses publiques augmentent tandis que les recettes fiscales peinent à suivre.
Cependant, la dette publique n’est que la partie émergée de l’iceberg. L’endettement des entreprises et des ménages français dépasse désormais 4 000 milliards d’euros, un chiffre qui témoigne d’une tendance générale à la surconsommation de crédits dans l’ensemble de l’économie. Cette situation est particulièrement préoccupante, car elle accentue la vulnérabilité financière du pays face aux chocs économiques et aux hausses des taux d’intérêt. La conjugaison de ces dettes, publiques et privées, alimente un cercle vicieux dans lequel la soutenabilité économique à long terme est remise en question.
Pourtant, derrière ces chiffres alarmants se cache un enjeu sociétal majeur : le modèle social français est-il devenu trop généreux pour ses moyens ? Le débat est inévitable et risque de polariser les discussions politiques à l’approche des prochaines échéances budgétaires, notamment sous l’égide du nouveau Premier ministre François Bayrou. Certains estiment qu’il est urgent de revoir les mécanismes de redistribution, en particulier dans les domaines des retraites et de la santé, qui concentrent une part importante des dépenses publiques. D’autres plaident pour une réforme fiscale plus ambitieuse, visant à accroître les recettes de l’État sans pour autant fragiliser la croissance économique.
L’impact de cette situation sur les territoires ultramarins, comme la Guadeloupe et la Martinique, ne saurait être sous-estimé. Ces régions, déjà confrontées à des fragilités économiques structurelles, ressentent avec acuité les conséquences de l’endettement public. Les budgets locaux, souvent dépendants des dotations de l’État, subissent des pressions croissantes, limitant les marges de manœuvre pour financer des infrastructures ou des politiques sociales. Par ailleurs, le poids des dettes privées, combiné à un pouvoir d’achat souvent plus faible qu’en France hexagonale, aggrave les inégalités et alimente un sentiment de marginalisation dans ces territoires.
La situation actuelle des territoires ultra marins soulève donc des questions fondamentales sur l’avenir du modèle social français. Peut-on continuer à financer des prestations généreuses dans un contexte de croissance économique modérée et de dettes record ? Les générations futures seront-elles en mesure de supporter le fardeau d’une dette accumulée au nom de choix collectifs passés ?
L’Outre Mer où les politiques publiques reposent en grande partie sur le social pourrait elle faire face à une augmentation des dépenses sociales où se dirige -t-on vers une politique de rigueur et d’austérité.
Ces interrogations exigent des réponses claires et des décisions courageuses . Mais pour l’instant, les conséquences économiques et financières de cette dégradation des finances publiques de la France hexagonale sont déjà palpables en Guadeloupe et Martinique. Selon les données récentes de l’IEDOM, le climat des affaires dans les deux îles poursuit une tendance inquiétante à la baisse. En décembre, cet indicateur crucial enregistrait son troisième recul consécutif, atteignant son niveau le plus bas depuis fin 2023. Cette détérioration reflète un sentiment croissant de défiance chez les chefs d’entreprise, pris en tenaille entre une trésorerie exsangue, un pouvoir d’achat en berne, et des incertitudes politiques persistantes. La dissolution de l’Assemblée nationale et l’absence de clarté quant à l’avenir des orientations économiques du pays n’ont fait qu’accentuer les doutes.
Cependant, des signaux plus contrastés apparaissent en Guadeloupe. Malgré des signes d’essoufflement, l’esprit entrepreneurial résiste. Les données de l’Insee montrent une progression de 4 % des créations d’entreprises en novembre 2024 par rapport au mois précédent, marquant une certaine résilience. Néanmoins, cette dynamique reste fragile : sur les trois derniers mois, les créations reculent de 2 % par rapport à la même période de 2023, principalement en raison des difficultés rencontrées dans des secteurs clés tels que la construction et le soutien aux entreprises. Ces secteurs, essentiels pour le tissu économique local, subissent un net décrochage qui illustre les défis structurels auxquels sont confrontées les économies ultramarines.
Les causes de ces turbulences sont bien identifiées. La baisse du pouvoir d’achat, liée à une inflation persistante et à des politiques économiques fluctuantes, a profondément modifié les comportements des consommateurs. Les entreprises, déjà fragilisées par une clientèle moins solvable, peinent à s’adapter à ces changements rapides. Le recul du soutien public, dans un contexte où la priorité est donnée au redressement des finances nationales, complique davantage leur situation. À cela s’ajoutent les turbulences financières qui touchent le pays. La dégradation par Moody’s de la note de plusieurs banques françaises, dont le Crédit Agricole, renforce la méfiance des investisseurs et limite l’accès au crédit, indispensable à la survie et au développement des entreprises locales.
La Martinique apparaît comme l’exemple le plus alarmant de cette crise. Les perspectives économiques pour l’île s’assombrissent considérablement. Le PIB, indicateur clé de la santé économique, est en passe de reculer significativement en 2025. Les entreprises locales, déjà confrontées à une trésorerie historiquement basse, voient leurs marges de manœuvre se réduire à mesure que les défaillances s’accumulent. Le spectre de faillites en cascade plane sur l’île, menaçant l’emploi et la stabilité sociale. Ce contexte de précarité économique exacerbe les tensions et les frustrations, dans un territoire où le chômage reste structurellement élevé. En conséquence, la Collectivité Territoriale de Martinique (CTM) fait face à une crise budgétaire croissante, accentuée par le contexte économique tendu en France et les restrictions budgétaires imposées par l’État. Lors de la dernière séance plénière de décembre 2024, l’exécutif a officiellement reconnu une période d’austérité, marquant un tournant dans la gestion des finances publiques locales. Cette situation découle de plusieurs années d’enlisement financier, caractérisées par des retards de paiement et une incapacité à répondre pleinement aux besoins des différents secteurs économiques et sociaux du territoire.
Les conséquences de cette crise se font déjà sentir sur de nombreux acteurs locaux. Les agriculteurs et artisans ont été parmi les premiers à subir les retards de paiement, affectant leur trésorerie et leur capacité à maintenir leurs activités. Aujourd’hui, les particuliers, les entreprises, les associations et les structures satellites de la CTM se retrouvent également touchés. Ces dernières, au nombre de 19, incluent des entités clés comme le Campus Caribéen des Arts , le Pôle agro-ressource et de recherche, l’abattoir, ou encore le Service Territorial d’Incendie et de Secours. L’exécutif martiniquais affirme avoir réalisé des économies d’environ 100 millions d’euros sur ces satellites, mais ces coupes budgétaires, bien que nécessaires pour réduire le déficit, limitent fortement la capacité de ces structures à mener leurs projets les plus ambitieux. Les financements extérieurs, déjà difficiles à obtenir, deviennent une nécessité pour compenser ce désengagement partiel de la CTM.  Le désengagement progressif de l’État, dans un contexte où les finances publiques nationales sont sous pression, exacerbe les difficultés rencontrées par la Martinique. Les transferts financiers, autrefois cruciaux pour le fonctionnement et le développement du territoire, sont désormais limités par les politiques de restriction budgétaire. Ce désengagement se traduit par une diminution des moyens alloués pour soutenir les secteurs clés de l’économie martiniquaise, tels que l’agriculture, le tourisme et les infrastructures. Ces restrictions affectent également les politiques sociales et environnementales, aggravant les tensions sur un territoire déjà confronté à des défis structurels.
Les perspectives d’avenir apparaissent sombres, bien que des solutions soient envisagées. Et c’est vrai que pour autant, la collectivité territoriale de Martinique ne reste pas inerte face à ces difficultés et bouleversements de la vie sociale .
La Collectivité Territoriale de Martinique (CTM) a ainsi adopté récemment deux dispositifs financiers visant à soutenir l’investissement des TPE/PME dès 2025 : un fonds de prêts d’honneur à taux zéro et un fonds régional de garantie en partenariat avec Bpifrance. Ces initiatives, financées en partie par le fonds FEDER, visent à renforcer les fonds propres des entreprises, faciliter leur accès au crédit bancaire et stimuler le tissu économique local. Le Fonds Régional de Garantie permettra aux banques locales d’accorder des prêts avec une couverture allant jusqu’à 70 %, libérant une capacité de garantie de 20 millions d’euros et garantissant 28,5 millions d’euros de prêts entre 2025 et 2029. Le Fonds de Prêts d’Honneur, doté d’un budget prévisionnel de 4 millions d’euros, offrira des prêts à taux zéro sans garantie personnelle, jusqu’à 60 000 euros, pour soutenir la création, le développement ou la reprise d’entreprises. Ces dispositifs, soutenus par des ressources publiques et privées, visent à favoriser la résilience des entreprises face aux défis économiques, environnementaux et digitaux, tout en renforçant leur capacité à créer de la valeur et de l’emploi. Dans ce contexte, la Martinique et la Guadeloupe doivent faire face à une équation complexe : préserver le tissu économique et social tout en respectant des contraintes budgétaires de plus en plus rigides. Les projets structurants pour les territoires, pourtant indispensables pour relancer la dynamique économique et sociale, risquent d’être reportés ou abandonnés faute de financements. Par ailleurs, l’incertitude qui plane sur les perspectives économiques de la France dans son ensemble laisse peu d’espoir quant à une amélioration rapide de la situation.
Il convient bien de noter que l’économie ultramarine, intrinsèquement dépendante des politiques et des performances économiques de l’Hexagone, souffre de cette interdépendance. Les hésitations et incohérences de la politique nationale pèsent lourdement sur ces territoires déjà vulnérables. Les besoins spécifiques de la Martinique et de la Guadeloupe semblent négligés dans une gestion centralisée qui peine à répondre aux réalités locales. En conséquence, les chefs d’entreprise, les salariés et les habitants en général doivent composer avec une double contrainte : celle d’un environnement local difficile et celle d’une crise nationale qui ralentit toute perspective de redressement.
Face à cette situation, les perspectives de court terme restent sombres. Les initiatives locales, bien qu’encourageantes, ne suffisent pas à pallier les lacunes structurelles ni à compenser les effets des politiques nationales. Les économies de la Martinique et de la Guadeloupe, fragilisées par des décennies de dépendance et par une forte inflation dans un contexte international incertain, apparaissent plus que jamais dans une impasse. Si aucune réponse coordonnée et adaptée en matière de réforme du modèle économique n’est apportée rapidement, ces territoires risquent de s’enfoncer davantage dans la crise, avec des conséquences sociales et économiques potentiellement dévastatrices pour la cohésion sociale ,  et menaçant le développement à moyen et long terme.

 » Sé an lanmen ka lavé lot « .

– traduction littérale : C’est une main qui lave l’autre.

– moralité :  On a besoin les uns des autres . / Il faut savoir s’aider les uns les autres dans la difficulté !

Jean-Marie Nol économiste