La déconsommation est déjà en marche aux Antilles pour  2025.

— Par Jean-Marie Nol —

Dans la droite ligne de notre précédent article portant sur les mutations climatiques , technologiques et les conséquences attendues sur l’économie de la Martinique et de la Guadeloupe , nous jugeons nécessaire présentement de susciter la réflexion de nos lecteurs sur le processus quoiqu’on en dise inquiétant de déconsommation en cours aux Antilles. Récession, pas récession en Martinique et Guadeloupe pour l’année prochaine ? Depuis la chute du gouvernement Barnier, le 4 décembre, les inquiétudes sur la conjoncture française s’accumulent et provoquent l’incertitude aux Antilles . D’après la banque de France, l’investissement des entreprises souffre de « l’incertitude politique et fiscale ». L’économie détruirait 40.000 emplois en 2025.
Si, en cette fin d’année, l’économie de la Guadeloupe et de la Martinique n’a pas vraiment basculé dans le rouge à l’instar de la France hexagonale , elle est sur le fil , mais la déconsommation, phénomène observé en France hexagonale , touche également les Antilles. Martinique et Guadeloupe se trouvent au cœur d’une tourmente économique et sociale exacerbée par des contextes locaux , nationaux et internationaux incertains qui vont à brève échéance faire chuter la consommation , un des éléments clés de la croissance avec l’investissement .
En fait, selon certains économistes, nous serions entrés dans une phase de décroissance au niveau mondial avec la crise économique et écologique , et de déconsommation en Guadeloupe et Martinique .
La décroissance est un concept économique et politique plus global qui prône une réduction volontaire de la production et de la consommation à l’échelle d’une société, dans le but de préserver les ressources naturelles, de réduire les inégalités et de repenser la notion de progrès. Contrairement à la simple absence de croissance, la décroissance repose sur une vision positive de la transition vers des modes de vie plus sobres et soutenables.
La  décroissance et la déconsommation sont deux concepts distincts, mais étroitement liés, qui s’inscrivent dans la critique des modèles économiques actuels basés sur la croissance illimitée et la surconsommation. Bien qu’ils n’aient pas exactement les mêmes origines ni les mêmes objectifs, ils partagent plusieurs points communs en matière de principes et de finalités.La déconsommation et la décroissance mettent l’accent sur la qualité plutôt que sur la quantité. Elles valorisent une consommation plus réfléchie, qui privilégie les produits durables, locaux et éthiques, ainsi qu’un mode de vie centré sur des valeurs immatérielles (temps libre, relations sociales, épanouissement personnel).
Les deux concepts ont en commun de partager une critique fondamentale des modèles économiques actuels, basés sur une consommation illimitée et souvent superflue. Ils dénoncent les impacts négatifs de la surconsommation sur l’environnement (épuisement des ressources, pollution), sur la société (inégalités croissantes) et sur les individus (aliénation par le consumérisme).
La déconsommation peut être temporaire ou réversible, par exemple en période de crise économique. La décroissance est, quant à elle, un processus de long terme, qui vise à créer un modèle de société durable et résilient.
La déconsommation en œuvre actuellement aux Antilles , quant à elle, désigne la réduction volontaire ou forcée de la consommation de biens et services par les ménages. Elle peut être motivée par des raisons économiques (spirale inflationniste , perte de pouvoir d’achat ), écologiques (réduction des déchets, sobriété énergétique) ou sociétales (recherche de simplicité, rejet de la surconsommation). Si elle permet de limiter les dépenses des ménages, elle peut également avoir des effets négatifs sur l’économie, notamment par la baisse de la demande qui fragilise les entreprises. La problématique de la déconsommation et les perspectives offertes par l’économie circulaire sont intrinsèquement liées, car elles répondent toutes deux à la nécessité de repenser les modes de production et de consommation dans un contexte de contraintes économiques, environnementales et sociales croissantes.
La déconsommation incite les individus à repenser leurs achats, ce qui peut stimuler des pratiques comme l’achat d’occasion, le troc ou la location, au cœur de l’économie circulaire. Avec déjà une tendance à un resserrement du budget des ménages en cette fin d’année, nul doute que la déconsommation prévue en 2025 aura des effets significatifs sur la Guadeloupe et la Martinique, touchant de nombreux aspects économiques et sociaux.Si la déconsommation réduit les ventes de produits neufs, il faut savoir que l’économie circulaire peut compenser en créant de nouvelles chaînes de valeur (réparation, recyclage, reconditionnement), favorisant ainsi la création d’emplois locaux et durables.
La déconsommation appelle à consommer moins mais mieux, ce qui s’aligne parfaitement avec les objectifs de durabilité de l’économie circulaire, mais le revers de la médaille est l’augmentation du coût de la vie, notamment à travers la hausse des prix des services et des tarifs des complémentaires santé et des impôts locaux, qui limitera le pouvoir d’achat des foyers antillais. Les ménages, contraints de prioriser leurs dépenses, pourraient réduire leurs achats non essentiels, impactant directement les secteurs comme le commerce de détail, la restauration, le tourisme et les loisirs, piliers de l’économie locale.

La déconsommation qui devrait somme toute s’accélérer avec la crise de la dette, réduira la demande globale, mettant en difficulté les petites et moyennes entreprises qui constituent une large part du tissu économique des Antilles. Les secteurs les plus vulnérables, comme l’artisanat, le tourisme, et les commerces de proximité, pourraient voir leur chiffre d’affaires chuter. Par ailleurs, l’incertitude économique freine l’investissement, aggravant la situation et entraînant des suppressions d’emplois, avec une prévision de destruction de 2 300 emplois en Martinique en 2025.

La réduction du pouvoir d’achat combinée à une pression fiscale plus importante pourrait exacerber les tensions sociales déjà perceptibles en raison de la vie chère. Les deux territoires insulaires des Antilles déjà fragilisés par des niveaux de précarité plus élevés que dans l’Hexagone, subiront des conséquences spécifiques dues à leur dépendance économique et à leur structure sociale particulière. Bien que la récession soit évitée de justesse en cette fin d’année, la croissance économique reste stagnante. Selon nous, l’activité du quatrième trimestre devrait afficher un taux nul  en Martinique, résultat d’un contrecoup des évènements facheux liés à la vie chère  qui ont impacté  le produit intérieur brut (PIB) entre septembre et décembre 2024. .
Par ailleurs, la situation économique et financière difficile de l’hexagone n’arrange rien à l’affaire.
Pour 2024, la croissance française est prévue à la baisse, avec une projection révisée par la Banque de France à 0,9 % pour 2025 contre 1,2 % initialement. Cette révision s’explique principalement par l’incertitude politique et l’absence de budget pour 2025, plongeant l’économie française dans une situation critique. L’instabilité au niveau gouvernemental, conjuguée à un ralentissement de l’économie européenne, place les régions d’outre-mer dans une situation précaire. En Guadeloupe et Martinique, plusieurs emplois dans le secteur de la banane et de la filière canne pourraient être détruits en 2025, conséquence d’une économie affaiblie par le manque de financement , les aléas climatiques, le coût en augmentation des intrants et l’absence de visibilité budgétaire en raison d’une fiscalité jugée excessive. Au vu de cette morosité ambiante, nous subodorons que les habitants, confrontés à la vie chère et à un sentiment croissant d’insécurité, envisageront de plus en plus souvent l’expatriation.Face à un contexte économique et social difficile, de plus en plus d’Antillais pourraient être intéressés par l’expatriation vers des régions offrant de meilleures opportunités économiques. Cela entraînerait une perte de compétences et de talents locaux, affectant davantage le développement économique des deux îles. Tout cela est la résultante d’un déficit d’attractivité de nos territoires ultra marins de la caraïbe.
Et pour couronner le tout , le coût de la vie devrait continuer à augmenter avec l’augmentation des tarifs des mutuelles et des coûts médicaux qui pourrait limiter l’accès aux soins pour les populations les plus vulnérables. Cela pourrait aggraver les inégalités en matière de santé et conduire à une détérioration des conditions de vie. Par ailleurs, les dépenses liées à la prévention, pourtant cruciales dans un contexte de vieillissement de la population, risquent d’être mises de côté par manque de moyens.

En effet , la population antillaise, déjà touchée par des niveaux de précarité élevés, subira de plein fouet les conséquences des hausses tarifaires dans le domaine de la santé. La Mutualité Française a annoncé une augmentation moyenne de 6 % des cotisations des complémentaires santé au 1ᵉʳ janvier 2025, soit une hausse bien supérieure à l’inflation. Les contrats individuels, principalement souscrits par des retraités, augmenteront de 5,3 %, tandis que les contrats collectifs obligatoires grimperont de 7,3 %. Ces hausses interviennent après une série d’augmentations continues depuis 2021, avec un record de 8,1 % en 2024. Les raisons avancées incluent l’augmentation structurelle des dépenses de santé, le vieillissement de la population, et l’accès à des technologies médicales innovantes.

Ces augmentations sont également dues à la revalorisation des consultations médicales, effective dès le 22 décembre, et à des baisses de remboursement par l’Assurance maladie, imposant aux complémentaires de prendre en charge près de 900 millions d’euros supplémentaires en 2025. À cela s’ajoutent les dépenses croissantes dans des secteurs comme l’immobilier et le BTP, qui augmentent respectivement de 5,7 % et 8,3 % en 2024.
Pour les Antilles, la situation économique et sociale reste donc préoccupante. Les habitants, déjà fragilisés par des contraintes budgétaires et un pouvoir d’achat réduit, devront affronter une année 2025 marquée par des difficultés accrues. Dans ce contexte, la déconsommation apparaît autant comme un choix que comme une contrainte, imposée par un environnement économique de plus en plus hostile.
La déconsommation peut être considérée comme un premier pas vers la décroissance. En effet, elle sensibilise les individus à la surconsommation et encourage des pratiques plus sobres, comme la réduction des achats inutiles, la réparation ou la mutualisation des biens. Ces comportements, s’ils se généralisent, pourraient nourrir un mouvement plus large vers une transition décroissante.

De même, la décroissance peut donner un cadre à la déconsommation en en faisant une composante d’un changement systémique, visant à aligner les politiques économiques et sociales sur des objectifs environnementaux et humains. C’est dans ce contexte de mutation du système sociétal que les disparités économiques pourraient se creuser davantage aux Antilles entre les ménages les plus aisés, capables de maintenir un certain niveau de consommation, et les plus précaires, contraints de réduire drastiquement leurs dépenses. Cela risque d’accentuer le sentiment d’injustice sociale et de fracture au sein de la société antillaise.

En somme, la déconsommation en 2025 pourrait entraîner un ralentissement économique majeur pour la Guadeloupe et la Martinique, exacerbant les défis structurels auxquels ces territoires sont déjà confrontés. Dans un contexte où la déconsommation pourrait devenir une tendance durable, une lueur d’espoir réside cependant dans l’économie circulaire qui devrait représenter une voie alternative essentielle pour maintenir une activité économique viable tout en répondant aux exigences environnementales et sociales. En somme , ce qui essentiel à retenir c’est que la déconsommation et la décroissance convergent sur de nombreux points, notamment leur volonté de promouvoir une société plus sobre, durable et équitable. Si la première s’exprime principalement à l’échelle individuelle ou locale, la seconde se positionne au plan national et propose une vision globale voire systémique du changement nécessaire pour répondre aux défis environnementaux et sociaux de notre époque. Leur articulation pourrait être un levier puissant pour construire un futur soutenable à condition toutefois de disposer d’un volant financier important de l’État pour financer la transition .
En associant ces deux dynamiques, il est possible de construire une société où le bien-être et la durabilité prennent le pas sur l’obsolescence programmée et la simple accumulation matérielle. Mais pour l’instant, l’absence de solutions claires sur la problématique de la vie chère, tant au niveau national que local , et la hausse de la précarité ne fait cependant que renforcer l’inquiétude pour l’avenir.

« Vyé canari ka fè bon soup »

Littéralement    :  Les vieilles casseroles font de la bonne soupe.

Moralité   :  C’est dans les vieilles casseroles que l’on fait de la bonne soupe. Il s’agit là d’un proverbe créole illustratif qui invite à tirer parti des solutions existantes, même dans des circonstances difficiles.

Jean-Marie Nol économiste