Marguerite Duras, un siècle entier en littérature

— Par Alain Nicolas —

marguerite_durasIl y a cent ans naissait la romancière de Barrage contre le Pacifique, la cinéaste d’India Song, la dramaturge de 
Des journées entières dans les arbres. Elle a marqué son siècle littéraire et artistique, et fut une résistante, une militante anticoloniale et une féministe.

Il y a cent ans, le 4 avril 1914, naissait à Gia Dinh, en Indochine française, aujourd’hui au Vietnam, Marguerite, ­Germaine, Marie, fille d’Henri Donnadieu et de son épouse Marie Legrand. C’est ce que dit, avec toute la sécheresse voulue, l’acte de naissance de celle qui sera célèbre sous le nom de Marguerite Duras. Rien, ni dans sa vie ni dans son œuvre, ne montre qu’elle attachait la moindre importance aux anniversaires et aux commémorations. Elle était pourtant suffisamment consciente de sa place dans la littérature française pour ne pas refuser un hommage, même relevant de ceux que Borges rattachait à la « superstition décimale ». Et Marguerite Duras est de ces écrivains qui ont façonné un siècle de littérature française.

On pouvait rire et s’agacer de ses interventions intempestives sur la scène politique ou judiciaire, être ému par la fragilité intransigeante de ses dernières années. Mais la lecture de ses romans, nous en avons fait l’expérience lors de la publication, il y a deux ans, des deux premiers volumes de ses œuvres en « Pléiade » – montre une œuvre résistant au temps, parfois inégale, mais où l’on chercherait vainement un texte simplement un peu faible. La séquence « célébrité-purgatoire-redécouverte » ne s’applique pas à Marguerite Duras. Peu d’auteurs gardent ainsi, près de vingt ans après leur mort, autant de lecteurs et autant d’influence.

Marguerite Donnadieu passe son enfance en Indochine où son père et sa mère sont ­directeurs de collège. La mort d’Henri, le père, emporté par le paludisme en 1921, les difficultés matérielles, la catastrophique tentative de mise en valeur d’une concession au Cambodge, autant de jalons d’une biographie que ne cessera de travailler la littérature. De Barrage contre le Pacifique à l’Amant, la Douleur ou la Vie ­matérielle, les lieux, les thèmes, les personnages reviendront dans ses textes, comme ceux qu’elle croisera ou parcourra plus tard. La vie de ­Marguerite Duras est celle d’une personnalité peu commune, et surtout le matériau d’une œuvre littéraire essentielle.

Après quelques allers-retours entre la France et Saigon, c’est le retour définitif. Marguerite, en 1937, termine brillamment ses études : double diplôme d’études supérieures en droit public et économie politique. Mais sa vraie passion, c’est la littérature. Elle suit des cours de lettres à la Sorbonne et, quatre ans plus tard, envoie un premier manuscrit à Gallimard, qui le refuse. Entre-temps, juste avant le début de la Seconde Guerre mondiale, elle s’est mariée à Robert Antelme. En 1944, ils entrent dans la Résistance. Robert est très vite arrêté, déporté à Dachau. Son témoignage donnera l’Espèce humaine. Peu après la Libération, elle adhère au Parti communiste. Elle y sera très active jusqu’en 1950. Avec Dionys Mascolo, son compagnon, et Robert Antelme, dont elle a divorcé, elle réunit des intellectuels communistes et sympathisants. C’est ce qu’on appellera le « groupe de la rue Saint-Benoît », qui est considéré comme activité fractionnelle. Exclue en 1950, elle restera, toute sa vie, très engagée. Le Manifeste des 121 aura pour premier rédacteur Dionys Mascolo, elle en sera une des premières signataires. On sait la place qu’elle prendra par la suite dans la cause des femmes, en particulier avec un autre manifeste, celui des 343.

Sa priorité reste cependant la littérature. Révélée en 1950 au grand public par Barrage contre le Pacifique, qui manquera de peu le Goncourt, elle s’éloigne de ce style extérieur, sans psychologie, marqué par le roman américain de l’époque, avec Moderato Cantabile (1958), et trouve avec le Ravissement de Lol V. Stein, en 1964, ce centrage sur le trou noir passionnel et ce phrasé inimitable qui font reconnaître un Duras entre mille romans. Entre-temps, elle a écrit en 1958 le scénario d’Hiroshima mon amour, tourné par Resnais, puis passe au théâtre en 1965 avec Des journées entières dans les arbres, interprété par Madeleine Renaud. Une année encore, et c’est un premier film, la Musica, puis, seule, c’est ­Détruire dit-elle, sur un scénario refusé par Resnais.

Marguerite Duras devient dès lors telle que les médias nous la restituent, romancière, dramaturge, cinéaste, et aussi journaliste et militante. Elle se partage entre Neauphle-le-Château et Trouville, réalise ses plus grands films, India Song (1975), le Camion et Baxter, Vera Baxter (1977), tout en continuant à écrire des romans. Dernière malice, en 1984, elle fait avec l’Amant un retour direct à la case biographie qui lui vaudra le Goncourt et un accueil enthousiaste d’un public débordant largement ses premiers lecteurs.

Elle a l’âge d’être appelée la « grande dame de la littérature française », et n’est pas insensible aux couronnes qu’on lui tresse, et même (sans le dire) aux parodies qui s’amusent de ses particularités de style. Elle sait ce que cela signifie : plus que « grande dame », une grande, tout simplement.

Duras et alentours

– Lilttérature : l’événement le plus attendu est la parution des tomes III et IV des œuvres complètes de l’auteure dans la « Bibliothèque de la Pléiade ». Prévue le 13 mai et accompagnée d’un Album Duras réalisé par Christiane Blot-Labarrère, essayiste et biographe de référence.

Elle reste disponible chez ses éditeurs historiques, Gallimard, Minuit, POL 
et Mercure de France.

– Filmographie : la plupart de ses films, 
y compris ceux dont elle a signé le scénario, 
se trouvent en DVD.

– Exposition  :  la Bibliothèque publique d’information (BPI) du Centre Georges-Pompidou et l’ l’Institut Mémoires de l’édition contemporaine s’associent pour « Duras Song ». Commissariat, Jean-Max Colard, direction artistique, Thu Van Tran. Du 15 octobre 2014 
au 12 janvier 2015.

– Rencontres : la Maison des écrivains 
et de la littérature a organisé une rencontre, 
le 29 mars, au Petit Palais. Captation sur 
son site www.m-e-l.fr

Alain Nicolas

http://www.humanite.fr/culture/marguerite-duras-un-siecle-entier-en-litterature-562739