L’impuissance publique doit désormais interpeller très fortement l’Outre Mer !

— Par Jean-Marie Nol —

La dégradation de la note souveraine de la France par l’agence de notation Moody’s, qui rétrograde le pays à Aa3 avec une perspective stable, reflète une profonde inquiétude quant à la capacité de l’État français à maîtriser ses finances publiques. L’annonce intervient dans un contexte de crise politique et économique marqué par une dissolution de l’Assemblée nationale en juin dernier, et l’arrivée récente de François Bayrou à la tête du gouvernement. Ce climat d’instabilité politique alimente les doutes quant à la possibilité d’une consolidation budgétaire significative dans les années à venir en raison de l’augmentation inexorable de la dette. La dette publique française est la somme des déficits publics annuels cumulés. Depuis 1975, le budget de l’État français a toujours été en situation de déficit. C’est une situation très délicate voire même dangereuse pour la France car il faut savoir que l’endettement public a connu au cours de son histoire de grandes variations, et est l’une des causes de la Révolution française.

La dette publique française, estimée par l’INSEE ( l’Institut national de la statistique et des études économiques) , a connu une trajectoire ascendante continue depuis les années 1980, en valeur absolue comme rapportée au PIB. Elle s’élevait à 3 228,4 milliards d’euros (112 % du PIB) à la fin du deuxième trimestre 2024, contre 55,8 % à la fin de 1995 et 66,8 % à la veille de la crise économique mondiale de 2008.

Moody’s justifie sa décision en soulignant la fragmentation politique croissante qui limite la capacité des gouvernements successifs à mener des réformes structurelles ambitieuses pour retrouver l’équilibre des comptes publics . Malgré les objectifs affichés par l’ancien gouvernement Barnier de ramener le déficit public à 5 % du PIB d’ici 2025, puis sous la barre des 3 % en 2029, l’agence anticipe une réalité bien différente. Elle prévoit un déficit stagnant à 6,3 % en 2025, et encore à 5,2 % en 2027, tandis que la dette publique pourrait atteindre 120 % du PIB à l’horizon 2027, contre 113,3 % en 2024. Ces projections traduisent une impuissance des pouvoirs publics à inverser la tendance, exacerbée par les contraintes budgétaires imposées par la dette croissante.L’augmentation continue du stock de la dette, sous l’effet de l’accumulation des déficits, notamment dans la période récente, explique cette situation et ces perspectives dégradées.

La dette de l’État devrait ainsi dépasser 2 560 milliards d’euros en 2024, contre 1 760 milliards d’euros en 2018. Toutes administrations publiques confondues, la dette française représentait 3 100 milliards d’euros à la fin de 2023. Trois ans après la sortie de la crise sanitaire, le ratio de dette publique se maintient ainsi à un niveau historiquement élevé.

Selon les prévisions du FMI, par contraste avec l’immense majorité des États européens, la France ne connaîtrait pas de désendettement à l’horizon 2029 par rapport à 2020, avec un ratio de dette qui se maintiendrait à plus de 110 % du PIB.Selon les derniers éléments communiqués par le Gouvernement dans le cadre du programme de stabilité d’avril 2024, le poids de la charge de la dette ( les intérêts) de l’État devrait connaître une forte croissance dans les prochaines années, pour quasiment doubler à l’horizon 2027, atteignant 72,3 milliards d’euros, contre 39 milliards d’euros en 2023. Il devrait s’inscrire autour de 50 milliards d’euros en 2024.

Les intérêts de la dette de l’État se rapprocheraient alors voire même dépasseraient des dépenses du budget de l’éducation nationale, premier poste budgétaire. Si l’on devait poursuivre cette trajectoire haussière, les intérêts de la dette pourraient bientôt absorber le produit d’un impôt comme l’impôt sur le revenu (102 milliards d’euros en 2023).

Dans ces conditions, la trajectoire de la charge de la dette française devrait connaître une divergence notable avec la majeure partie des États membres de la zone euro. Compte tenu du rythme de refinancement de la dette, les effets de la remontée des taux sur la charge d’intérêts ne sont pas encore totalement perceptibles. Cet impact devrait se matérialiser graduellement dans les prochaines années.

Cette situation critique se répercute avec acuité sur les territoires d’Outre-Mer, où les défis économiques et sociaux sont encore plus aigus. La Guadeloupe, la Martinique, et plus encore la Nouvelle-Calédonie, affrontent des crises structurelles profondes qui compromettent leur développement. À Mayotte, les infrastructures et l’économie locale ont récemment été dévastées par un cyclone, aggravant des conditions déjà précaires. Ces territoires, fortement dépendants des transferts financiers de l’État central, se trouvent confrontés à une double impasse : la réduction inévitable des dépenses publiques pour maîtriser les déficits, et la nécessité de mobiliser des ressources colossales pour faire face à des enjeux d’avenir majeurs.

Les défis auxquels l’Outre-Mer est confronté sont vertigineux. Les crises environnementales, marquées par le changement climatique et ses conséquences dévastatrices, s’ajoutent à des problématiques économiques telles que la montée du chômage, la précarité, et l’augmentation des charges sociales dues à l’accroissement de la pauvreté. Les transformations technologiques, comme l’automatisation croissante, le numérique et l’intelligence artificielle, redéfinissent les dynamiques de l’emploi et accentuent les inégalités. Par ailleurs, le vieillissement de la population et les besoins liés à la transition écologique nécessitent des investissements massifs qui dépassent largement les capacités locales.

Dans ce contexte, les appels à une autonomie accrue ou à une gestion locale renforcée, portés par certains élus de Martinique, de Guadeloupe et de Guyane, apparaissent comme des solutions largement illusoires. Les contraintes budgétaires et les besoins financiers colossaux pour affronter ces défis rendent ces perspectives difficilement réalisables. Les territoires ultramarins restent structurellement dépendants du soutien de l’État français, sans lequel il serait impossible d’assurer le financement des infrastructures, des services publics et des grands projets nécessaires pour répondre aux crises actuelles et futures.

Alors que la France s’enfonce dans une crise politique et économique d’ampleur, l’avenir de l’Outre-Mer semble encore plus incertain. Les restrictions budgétaires inévitables, combinées à des problématiques globales complexes, imposent une réflexion urgente et collective. Il est impératif de repenser les relations entre l’État central et ses territoires, et d’élaborer des stratégies inclusives qui permettent de surmonter les obstacles à venir. L’heure n’est plus aux illusions, mais à une prise de conscience lucide et à une action concertée face à une réalité irréfutable qui devrait interpeller très fortement toutes les peuples de l’Outre Mer.

Pa konnet mové !

Traduction littérale : Il est mauvais de ne pas savoir. Moralité : il est important de s’instruire sur les choses qui conditionnent notre existence, qui façonnent notre vie quotidienne et d’acquérir des connaissances sur les faits économiques.

Jean-Marie Nol économiste