Martial Solal : l’héritage d’un géant du jazz

— Par Sarha Fauré —
Martial Solal, l’un des plus grands pianistes de jazz du XXe siècle, s’est éteint le 12 décembre 2024 à l’âge de 97 ans. Né à Alger en 1927 dans une famille juive, son parcours musical est une traversée unique, marquée par une quête incessante de perfection et d’innovation. Dès son plus jeune âge, il se passionne pour le piano, mais c’est en découvrant le jazz qu’il trouve sa véritable voie, un art qu’il incarnera avec audace tout au long de sa vie. Sa carrière exceptionnelle, traversant les époques et les genres, fait de lui une figure incontournable du jazz mondial.

La carrière de Martial Solal a débuté à Paris dans les années 1950, en plein essor de la scène jazz parisienne, où il se distingue rapidement par son talent et son originalité. Il se produit au célèbre Club Saint-Germain, un haut lieu du jazz, et accompagne les plus grands noms du genre, de Dizzy Gillespie à Sidney Bechet, en passant par Sonny Rollins et Stéphane Grappelli. Mais c’est son esprit libre et son approche unique de l’improvisation qui le démarque. Ne cherchant jamais à imiter, il refuse de se conformer aux standards et œuvre toujours pour faire évoluer le jazz. « Je n’écoutais jamais de disques, je ne voulais ressembler à personne », disait-il souvent, soulignant son désir de créer un style qui lui soit propre, sans chercher à imiter ses idoles.

Martial Solal n’était pas seulement un virtuose du piano, mais aussi un compositeur et un arrangeur hors pair. Il a écrit de nombreuses œuvres, dont la fameuse Suite en ré bémol et des compositions pour des formations variées, du trio au big band. Sa passion pour l’expérimentation le conduira également à collaborer avec des cinéastes emblématiques comme Jean-Luc Godard pour le film A Bout de Souffle, marquant ainsi son empreinte sur la musique de film. Ces collaborations, aux côtés de grands noms du cinéma comme Jean-Pierre Melville ou Jean Cocteau, ont contribué à établir son nom au-delà des frontières du jazz.

Il n’a jamais cherché à se limiter à un seul genre ou à une seule forme musicale. Martial Solal a toujours refusé de faire une séparation entre la musique classique et le jazz, deux univers qu’il voulait rapprocher. Il considérait que la musique, toute musique, devait se nourrir de ses racines pour évoluer. Son travail en tant que compositeur reflète cette fusion entre les traditions musicales et une approche contemporaine de l’improvisation, cherchant à repousser constamment les frontières de l’art musical. Il aimait dire qu’il « s’ennuyait trop vite », et c’est ce besoin de nouveauté et de défi constant qui le poussait à créer sans relâche.

Dans les années 1960, il se rend aux États-Unis, où il est invité à se produire au célèbre Newport Jazz Festival, un événement majeur pour tout musicien de jazz. Pourtant, après quelques mois passés dans le New York bouillonnant, il choisit de revenir en France, préférant la scène européenne et sa famille. Sa carrière se poursuit avec des tournées internationales, mais il n’a jamais oublié ses racines françaises. De retour à Paris, il fonde plusieurs orchestres, dont le Dodecaband et le Newdecaband, et continue à explorer de nouvelles formes musicales, sans jamais sacrifier son indépendance artistique.

Loin des modes et des courants dominants, Martial Solal est resté fidèle à sa vision du jazz, un art en perpétuelle évolution. Ce respect des structures musicales, tout en laissant libre cours à l’improvisation, l’a rendu unique. Son jeu de piano, brillant et lyrique, faisait de lui un improvisateur hors pair, capable de réinventer les standards avec une étonnante virtuosité et une grande liberté. Mais c’est aussi un artiste profondément engagé dans l’avenir du jazz. S’il n’a jamais enseigné formellement, il a, à travers ses collaborations avec des jeunes musiciens, influencé des générations entières de jazzmen.

Sa rigueur et sa discipline au piano, combinées à son esprit créatif sans limite, ont fait de Martial Solal un artiste d’exception, dont l’héritage est désormais indélébile. À plus de 90 ans, il continuait de jouer tous les jours, de donner des concerts et de partager sa passion pour la musique. Un dernier hommage lui a été rendu en 2021 lorsqu’il a reçu le grand prix de l’Académie du jazz pour son album Coming Yesterday : Live at Salle Gaveau 2019.

Martial Solal nous laisse un héritage musical immense. Sa contribution au jazz, mais aussi à la musique en général, fait de lui une légende vivante, un créateur qui a su, par son génie et son exigence, redéfinir les contours de son art. Son piano, son « fidèle compagnon », n’aura jamais cessé de chanter, de créer, de surprendre. Un artiste inclassable, libre et passionné, qui n’a cessé de repousser les limites de la musique tout au long de sa vie.