« Grand Tour » : un voyage entre fiction et réalité selon Miguel Gomes

Miguel Gomes, le réalisateur de « Grand Tour » (2024), dans une interview accordée à Notebook, révèle les coulisses de la conception de son dernier film. Il explique que la pandémie n’a pas modifié la structure du film, bien qu’elle ait retardé sa production. L’idée initiale provient d’un récit de Somerset Maugham, un livre qui raconte un voyage à travers le Cambodge, la Thaïlande et la Birmanie. Une scène en particulier, où un homme s’enfuit de sa fiancée dès son arrivée en Birmanie, devient le point de départ de l’histoire de « Grand Tour ». Mais au-delà de cette anecdote, c’est l’atmosphère d’un voyage initiatique et la quête de sens qui l’ont profondément inspiré. Il parle d’une époque où les Européens fortunés faisaient leur « Grand Tour »en Asie, allant de l’Inde jusqu’à la Chine. Ce voyage, qu’il a effectué avec son équipe, a été une base pour l’écriture et l’archivage visuel et sonore du film.

Lors de son périple en Asie, Gomes a cherché à capturer des moments imprévus, amusants ou poétiques, qu’il a ensuite intégrés dans le récit de fiction. Ce mélange d’images réelles et de scènes fictives tournées en studio est un moyen de créer une résonance entre les deux univers. « Nous avons essayé de capturer des ambiances différentes—la mélancolie, le stress, la lumière—pour nourrir l’histoire de fiction », confie-t-il. Ce contraste entre réalité et fiction, entre le documentaire et la reconstitution, est au cœur du film, que Gomes imagine comme un jeu avec le spectateur, un voyage à la fois géographique et émotionnel.

Le film est structuré de manière à ce que le point de vue change radicalement entre les deux personnages principaux. Dans la première moitié, nous suivons Edward, un homme fuyant son engagement, et dans la seconde, c’est au tour de Molly, sa fiancée, de prendre la place de protagoniste. « Ce n’est pas la manière classique de structurer un film, mais cela permet de donner une perspective différente au spectateur », explique-t-il. Le changement de personnage, mais aussi de sexe et de point de vue, transforme l’expérience cinématographique, plongeant le spectateur dans un décalage d’informations et d’émotions.

Visuellement, la partie tournée en studio s’inspire des grands maîtres du cinéma classique, notamment Josef von Sternberg, un réalisateur célèbre pour sa maîtrise de l’éclairage en studio. Gomes admet que la contrainte de tourner en studio était un défi pour lui, car il est plus habitué à filmer en extérieur, avec toutes les imprévus que cela implique. Mais il se laisse aussi séduire par la possibilité de créer un monde à partir de zéro, avec l’aide de son équipe technique et artistique.

Concernant la narration, « Grand Tour » joue avec les langues et les accents, une idée née pendant le montage. « Au fur et à mesure que les personnages traversent différents pays, la langue change, tout comme le décor », précise-t-il. Cette diversité linguistique, qui reflète la diversité géographique du film, permet d’enrichir le thème du voyage, tout en soulignant l’aspect artificiel du cinéma, où les personnages sont comme des marionnettes dans un grand théâtre.

Enfin, Gomes évoque la notion de tourisme culturel dans son film. Plutôt que de l’éviter, il l’aborde frontalement, choisissant de filmer en Asie sans prétendre s’approprier la culture locale. « Le monde est beau, il n’y a pas de droit d’auteur sur sa grâce », dit-il, soulignant que, pour lui, chaque pays peut être une toile de fond pour raconter des histoires, peu importe d’où l’on vient.

Au fil de l’interview, Gomes évoque aussi « Savagery », un projet longuement retardé, qu’il souhaite relancer sous une nouvelle forme. « Je vais essayer de le faire à ma manière », conclut-il, avec l’ambition de donner vie à ce projet d’une manière différente, tout comme il a su le faire avec « Grand Tour », un film où le spectateur, tout comme les personnages, doit accepter de voyager dans un monde inventé, entre rêve et réalité.