« Grand Tour » de Miguel Gomes : un film qui bouscule les attentes et défie les conventions du genre.
À première vue, on pourrait s’attendre à une épopée aventureuse à travers l’Asie ou un drame intimiste sous le couvert d’une quête romantique. Mais loin de suivre cette trajectoire prévisible, le réalisateur nous livre une œuvre d’une grande originalité, où se mêlent drame, documentaire et exploration des contrastes entre tradition et modernité.
Le film se déroule en 1918, une époque où les tensions de la Première Guerre mondiale se font encore sentir, mais l’intrigue nous est racontée à travers des images contemporaines. Gomes situe son récit dans des villes d’Asie du Sud-Est, mais choisit de capturer la vie moderne dans ces lieux. Les scènes en noir et blanc, représentant l’histoire fictive d’Edward (Gonçalo Waddington), un fonctionnaire britannique fuyant sa fiancée Molly (Crista Alfaiate), sont entrecoupées de séquences colorées montrant la réalité actuelle des villes traversées par les personnages. Cette approche audacieuse transforme le film en un voyage visuel à travers le temps et l’espace, où la fiction et le documentaire se répondent de manière subtile.
Le film se divise en deux parties distinctes. Dans la première, on suit Edward dans son périple de fuite, une sorte de comédie burlesque où il tente d’échapper à un mariage qui le terrifie. Puis, dans la deuxième partie, c’est au tour de Molly de prendre le devant de la scène, et l’histoire prend un tournant plus dynamique. Ce contraste entre les deux perspectives – celle d’un homme fuyant et celle d’une femme déterminée à le retrouver – crée une tension et une énergie renouvelées.
Ce qui est frappant dans « Grand Tour », c’est la façon dont Gomes joue avec la forme cinématographique pour manipuler l’illusion du réel. En mélangeant des éléments fictionnels et documentaires, il invite le spectateur à explorer la vérité derrière les images, tout en offrant une réflexion sur l’Orient et l’Occident. La narration en voix off, en plusieurs langues, et les scènes de la vie quotidienne contemporaine nous plongent dans une atmosphère de voyage où le passé et le présent se confondent, rendant chaque instant de la narration à la fois étrange et familier (Cf.Das Unheimliche, de Freud) .
Avec une durée de 2h08, « Grand Tour » est un film hypnotisant, un peu comme un voyage qui nous emporte dans une aventure intérieure et extérieure. Il est à la fois magnifiquement absurde et profondément mélancolique, en abordant des thèmes tels que la solitude, l’identité et la quête de sens dans un monde en perpétuelle évolution.
« Grand Tour » ne se contente pas de raconter une histoire, mais nous invite à vivre une expérience sensorielle unique, où chaque image, chaque son, et chaque contraste nous poussent à réfléchir sur notre propre rapport au monde et à l’histoire. Ce film de Miguel Gomes, à la fois excentrique et poétique, nous laisse un sourire doux et perplexe, comme si, en fin de compte, l’essentiel n’était pas dans la destination, mais dans le voyage lui-même. Sublime!
M’A
27 novembre 2024 en salle | 2h 08min | Aventure, Comédie dramatique De Miguel Gomes | Par Miguel Gomes, Telmo Churro| Avec Gonçalo Waddington, Crista Alfaiate, Teresa Madruga