— Par Gary Klang —
Écœuré par la lâcheté et l’imposture qui règnent en France de nos jours, j’aimerais faire un retour aux années 60. Depuis le départ du Général De Gaulle, la France s’enfonce de plus en plus jusqu’à toucher le fond avec Emmanuel Macron. Les massacres quotidiens perpétrés à Gaza ne dérangent ni les hommes politiques, ni les journalistes français qui répètent tous en chœur les mêmes litanies mensongères, et gare à celui qui sortirait des rangs. Seules quelques rares exceptions sauvent l’honneur, tels Rony Brauman ou Dominique de Villepin.
Mais qu’est-ce que les années 60 avaient de si différent ? Tout d’abord le grand souffle de liberté qu’apporta Mai 68. J’habitais alors au 34 de la rue Gay-Lussac et toutes les journées avaient un air de fête. Je mangeais au café, juste en face de chez moi, et j’y étais si bien accueilli que je pouvais occuper une table sans consommer. J’y rencontrais des gens très intéressants, comme Claude Couffon, l’un des meilleurs traducteurs de l’espagnol, et qui connaissait tous les grands écrivains d’Espagne et d’Amérique latine. Il était également l’ami de Fidel Castro et de Garcia Marquez et m’en parlait souvent. C’est lui qui m’a dit que Marquez était selon lui aussi grand que Cervantès. Un jour, il m’invita à l’accompagner à la Sorbonne où il devait présenter Pablo Neruda, dont je fis la connaissance. Il se passa alors un événement inoubliable. C’était pendant les événements de Mai et les esprits étaient surexcités. Un étudiant, plus énervé que les autres, se mit à insulter Pablo et le traita de traître. Il aurait, paraît-il, trahi le Che. Neruda l’écouta puis lui demanda s’il pouvait répondre. Très calmement, il lui dit que lorsque le Che est mort, il avait sur lui un livre : El Canto General du même Pablo. La salle éclata de rire et l’étudiant dut s’enfuir sans demander son reste. C’est également à cette époque que la photo de mon ami Gérard Aubourg parut dans le journal fasciste Minute, ce qui l’obligea à partir se cacher en province pour ne pas être lynché par les fachos.
Dans le même café de la rue Gay-Lussac, je rencontrai également l’un des fils de Maurice Thorez, secrétaire général du Parti communiste français, qui nous raconta que lorsqu’il était petit il allait passer des vacances en Union Soviétique et avait rencontré Staline.
Un jour, le professeur Gilles, de l’Institut hispanique – qui se trouvait à côté du café – me demanda de jouer dans une pièce de Cervantès. Moi qui n’ai jamais eu envie de faire du théâtre, j’acceptai je ne sais pourquoi. Il m’arriva alors quelque chose que je n’oublierai jamais : paralysé par le trac, la déclaration d’amour que je devais faire s’évapora de mon esprit. Je dus alors inventer une déclaration, mettant du Gary Klang dans le texte de l’auteur du Quichotte. Soulignons que nous jouions en présence d’un autre écrivain espagnol, Fernando Arrabal.
Dans cette pièce, jouait également un blondinet d’apparence tout à fait normale, lequel se métamorphosa quelques jours plus tard en tueur psychopathe de l’autoroute, qui prenait plaisir, à partir d’un pont, à jeter des blocs de pierre sur les automobilistes. Docteur Jekyll and Mister Hyde.
Tous ces souvenirs, bons ou mauvais, pour vous dire la nostalgie que j’éprouve aujourd’hui en pensant à mes années 60. Sans oublier que plusieurs grands écrivains étaient encore vivants : Aragon, Mauriac… et que maintenant il n’y a plus rien.
GARY KLANG