A l’appel de Kamel Daoud, mobilisation internationale pour la liberté d’expression et la libération de Boualem Sansal

— Par Jean Samblé —

Kamel Daoud, écrivain franco-algérien et lauréat du prix Goncourt 2024, a lancé un appel vibrant à la solidarité internationale suite à l’arrestation de son ami et confrère Boualem Sansal, survenue le 16 novembre 2024 à Alger. Cette arrestation, confirmée par l’agence officielle algérienne, a immédiatement suscité une mobilisation de la part de nombreux écrivains et intellectuels à travers le monde, notamment des lauréats du prestigieux prix Nobel de littérature tels qu’Annie Ernaux, Jean-Marie Le Clézio, Orhan Pamuk et Wole Soyinka, ainsi que des figures emblématiques du monde littéraire et de la pensée critique, dont Salman Rushdie, Peter Sloterdijk, Andreï Kourkov, Roberto Saviano et Alaa El Aswany. Ensemble, ils se sont joints à l’appel de Kamel Daoud, signant une pétition demandant la libération immédiate de Boualem Sansal, et exprimant leur profonde inquiétude face à cette nouvelle attaque contre la liberté d’expression en Algérie.

Dans son texte, publié dans le journal Le Point, Daoud exprime une « profonde inquiétude » et dénonce la situation dramatique qui prévaut en Algérie, où la liberté d’expression est de plus en plus réprimée par un pouvoir autoritaire. Pour lui, l’arrestation de Sansal n’est pas simplement un acte isolé, mais le reflet d’une réalité alarmante : en Algérie, la répression, les emprisonnements arbitraires et la surveillance généralisée font désormais partie du quotidien. Daoud explique que, dans ce contexte de terreur intellectuelle, « tout est possible : la perpétuité pour un texto, la prison pour un soupir d’agacement ». À travers cette formulation, il illustre le climat de peur dans lequel évoluent les intellectuels et les écrivains, contraints de se censurer ou de se taire sous la menace de sanctions violentes.

Boualem Sansal, âgé de 75 ans, est un écrivain et intellectuel algérien reconnu pour son engagement courageux et sa critique acerbe du pouvoir algérien, de l’islamisme radical et des injustices sociales. Daoud décrit son ami comme un « vieux prophète biblique, souriant », qui provoque autant l’admiration que la haine. Sansal, selon lui, incarne cette liberté d’expression qui dérange les régimes autoritaires. Il rappelle que l’écrivain n’a jamais été violent dans ses propos : « Sansal écrit, il ne tue pas et n’emprisonne personne. » Cependant, son indépendance d’esprit et ses critiques de la dictature algérienne l’ont mis sur une trajectoire de collision avec le pouvoir.

L’œuvre de Boualem Sansal, qui traite de sujets aussi sensibles que la guerre civile algérienne, l’islamisme et les relations conflictuelles entre l’Algérie et la France, lui a attiré de nombreuses inimitiés, particulièrement en Algérie. Il a souvent été accusé, à tort ou à raison, d’être islamophobe, ce qu’il a toujours fermement nié, précisant que son combat n’était pas contre l’islam en soi, mais contre son instrumentalisation à des fins politiques et sociales. Sansal a également été un ardent défenseur de la laïcité et a pris des positions très fermes contre les dérives autoritaires et religieuses. Son livre Le village de l’Allemand (2008), qui évoque l’histoire de l’Algérie, la mémoire de la guerre d’indépendance, et les relations complexes avec la France, a été censuré dans son pays, un exemple parmi tant d’autres de la manière dont le pouvoir algérien réprime la parole dissidente.

Kamel Daoud ne manque pas de souligner que, en Algérie, cette répression ne touche pas seulement les écrivains comme Boualem Sansal, mais aussi l’ensemble des intellectuels, éditeurs, libraires et journalistes, qui vivent dans une peur constante des représailles. Ces derniers sont confrontés à des accusations d’espionnage, des arrestations arbitraires, des procès politiques et des diffamations violentes dans les médias. Ce « terrorisme éditorial », comme le qualifie Daoud, crée un climat d’intimidation permanent où l’expression libre devient un acte risqué. Il rappelle que, lors du dernier Salon du livre d’Alger, des perquisitions ont eu lieu pour retirer certains livres, illustrant ainsi le contrôle absolu exercé par le régime sur la culture et l’information.

Au-delà de la simple défense de la liberté d’expression, Kamel Daoud invite la communauté internationale à prendre position contre cette répression systématique en Algérie. Il fait appel à une solidarité globale pour exiger la libération immédiate de Boualem Sansal et de tous les écrivains emprisonnés pour leurs idées. Pour Daoud, il ne s’agit pas seulement de défendre un homme, mais de protéger des valeurs essentielles : la liberté d’expression, le droit à la culture, et la dignité humaine. Dans un monde où la répression des voix dissidentes se généralise, cet appel résonne comme une mise en garde contre l’érosion des droits fondamentaux dans de nombreuses régions du monde.

L’appel de Kamel Daoud a également une dimension politique, car il dénonce la situation géopolitique complexe dans laquelle l’Algérie se trouve. L’arrestation de Boualem Sansal survient dans un contexte de tensions croissantes entre l’Algérie et la France, particulièrement à la suite de la reconnaissance par Paris de la souveraineté du Maroc sur le Sahara occidental, un sujet extrêmement sensible pour Alger. Sansal, qui a critiqué l’Algérie sur cette question et a même rendu hommage à la position du Maroc, s’est retrouvé au cœur d’une tempête politique. L’Algérie, dans ce contexte, semble chercher à marquer une rupture avec la France, et l’arrestation de Sansal pourrait être perçue comme une manière de régler des comptes avec une voix dissidente, en particulier après ses prises de position sur le Sahara et ses critiques envers le pouvoir algérien.

L’arrestation de Boualem Sansal n’est donc pas seulement un acte de répression à l’encontre d’un écrivain, mais un symbole de la lutte pour la liberté d’expression face à un pouvoir autoritaire. L’appel de Kamel Daoud et des nombreux signataires internationaux est un cri de ralliement pour la défense des principes démocratiques et un refus de la dictature de la pensée. Il invite tous ceux qui croient à la liberté et à la dignité humaine à se lever et à exiger la libération de Boualem Sansal, ainsi que de tous les intellectuels persécutés pour leurs idées.